Opinion : pourquoi parfois ça explose et parfois pas ?
Si certains peuples se soulèvent pour dénoncer les injustices dans leur pays, d’autres, malgré des motifs légitimes, ne bougent pas. Pourquoi ? s’interroge Jean-Baptiste Cousin, directeur du partenariat international du CCFD-Terre Solidaire. A lire dans la nouvelle rubrique Opinion de notre magazine !
Novembre 2018 au Liban, j’écoute des dignitaires religieux, des dirigeants d’ONG, et des leaders sociaux nous narrer le drame du pays : la dérive mafieuse communautaire où la religion n’est qu’un prête-nom.
Ils sont las, face à l’apathie de la population qui – par peur de l’inconnu – préfère un système où « je vote pour un mec corrompu de ma communauté, plutôt que de voter pour une personne honnête qui n’est pas de ma communauté ! »
Je repars avec un sentiment de découragement. Comment, face à ces faits publics et documentés, les gens ne se lèvent-ils pas pour exiger la fin de la corruption ?
La contestation fait chuter le gouvernement libanais
Un an plus tard, le Liban est dans la rue ; des manifestations citoyennes, où le drapeau national remplace celui des partis communautaires font, en quelques semaines, « tomber le gouvernement ».
Août 2014, au Chili, Mario, un partenaire de longue date du CCFD-Terre Solidaire me décrit les stigmates les moins visibles de la dictature : la Constitution néolibérale, le système des fonds privés pour les retraites, la privatisation de l’éducation, l’endettement des jeunes pour accéder à l’université. Comme si ma fille, au sortir de ses études, devait travailler 10 ans pour payer le coût du prêt bancaire !
Car si la dictature est officiellement tombée depuis 25 ans, les structures, elles, sont restées en place. Le pouvoir est confisqué par l’élite chilienne, et les rares initiatives d’organisations que nous soutenons ont bien du mal à se faire entendre. La situation est bloquée. Mon ami Mario ne pensait sans doute pas voir en 2019, la jeunesse obliger le gouvernement à s’engager sur la voie d’une refondation du pays, suite à la révolte citoyenne durement réprimée.
J’ai d’autres exemples en tête : l’Algérie, le Soudan, la Bolivie, l’Éthiopie, l’Irak, Hong Kong… où cela bouge fort actuellement. Mais aussi le Brésil, l’Inde, le Cameroun, l’Égypte… où, malgré des motifs légitimes, cela ne bouge pas beaucoup !
Pourquoi le président Duterte est-il si populaire ?
Les Philippines par exemple. En août 2017 à Manille, les chaînes d’information continue montrent en boucle les images d’un jeune garçon traîné par deux policiers en civil. Le garçon semble leur parler, mais ils ne l’écoutent pas. Le groupe sort du champ de la caméra, puis on entend une détonation. C’est l’une des nombreuses « bavures » de la guerre contre la drogue du président Duterte.
À l’époque, Human Rights Watch dénombrait 7 000 exécutions de ce type. Pourquoi la population tolère-t-elle ces agissements ? Pourquoi Duterte est-il si populaire ? D’où ma question existentielle : pourquoi parfois ça explose et parfois pas ?
Bien sûr, après coup, nous sommes tous capables d’analyser, d’expliquer que cela ne pouvait pas durer, que cela devait arriver. Mais, en général, on n’a rien vu venir. Comme pour les gilets jaunes !
Non pas que nous n’ayons pas d’espoir. Les moyens mobilisés au CCFD-Terre Solidaire – limités face à l’ampleur de la tâche – via des soutiens à des organisations de la société civile qui « se lèvent » contre les injustices, ont toujours pour but ultime de construire un monde plus juste.
C’est notre pari commun. Mais pendant combien d’années avons-nous pensé que notre soutien à des organisations de la société civile allait contribuer aux changements ? Et ces changements se sont produits quand nous nous y attendions le moins !
Je n’ai donc pas de réponse à ma question. Plutôt une intime conviction :
Rester humble et bien connaître les contextes
Mais il faut rester humble face à des situations où notre contribution au changement (via notre action partenariale) n’est pas facile à décrypter, car elle n’est qu’une parmi des milliers d’autres contributions.
Une autre certitude : pour être utile et efficace, il faut bien connaître les contextes locaux. Mieux nous les connaîtrons, mieux nous pourrons identifier les personnes avec qui travailler, et plus notre action aura d’impact.
Enfin, il faut que nous soyons capables de nous adapter à ces changements et évolutions contextuels très différents. C’est un peu du « sur-mesure », qu’il faut penser en fonction d’une histoire qui donne l’impression que tout s’accélère.
Jean-Baptiste Cousin, directeur du partenariat international du CCFD-Terre Solidaire
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