2015, une année charnière pour le développement

Publié le 01.09.2015

En 2015, une occasion historique de poser les bases d’un monde plus juste se présente avec trois événements majeurs : la conférence internationale sur le financement du développement, l’adoption par l’Assemblée générale de l’Onu des Objectifs du développement durable et la COP 21 sur les changements climatiques. La communauté internationale saura-t- elle s’en saisir ?


2015 s’annonce comme une année décisive : après la conférence d’Addis-Abeba, en Éthiopie, sur le financement du développement en juillet dernier (voir p. 24), la communauté internationale a rendez-vous à l’Onu à New-York en septembre. Au programme : l’adoption des Objectifs du développement durable (ODD) pour les années 2015 à 2030 qui s’inscrivent dans le prolongement des Objectifs du millénaire pour le développement (2000 à 2015). La communauté internationale n’a pas souhaité rester sur un demi-succès, car la feuille de route qu’elle s’était fixée au tournant du millénaire a atteint des résultats en demi-teinte. La population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour a certes été divisée de moitié cinq ans même avant l’échéance, passant de 50 % en 2000 à 22 % dix ans plus tard [[ Sauf mention contraire, les chiffres cités sont issus du Rapport 2014 des Objectifs du millénaire pour le développement. http://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2014/index.shtml]]

Mais les progrès n’ont pas été les mêmes sur toute la planète : l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud accusent toujours un retard. L’engagement à assurer le plein emploi pour tous a quant à lui été freiné par la crise économique à partir de 2008. Depuis, le nombre d’emplois créés a progressé de 2,8 % contre 4 % entre 2003 et 2008.

■ Éducation : un bilan contrasté

L’objectif visant à ce que tous les enfants aient accès à l’éducation primaire a obtenu des résultats contrastés. Si globalement le taux d’accès à l’école primaire s’est amélioré, en 2012, un enfant sur dix n’était toujours pas scolarisé. De plus, dans tous les pays en développement, le taux d’abandon en cours de cycle a fait du surplace : 27 % des enfants quittent l’école sans maîtriser les connaissances de base. En dépit des progrès, le nombre d’analphabètes reste lui aussi à un niveau élevé : 781 millions d’adultes et 126 millions de jeunes dans le monde – dont 60 % de femmes – ne savent toujours ni lire ni écrire.

■ Santé : peut mieux faire

Sur le front de la santé, les comptes n’y sont pas non plus : si le taux de mortalité infantile a été divisé par deux depuis 1990, passant de 90 à 48 décès pour 1 000 naissances, en 2012, un enfant sur dix est mort avant de fêter ses cinq ans. La plupart des décès sont dus à des maladies infectieuses – pneumonie, diarrhées et paludisme – et nombre d’entre eux se produisent chez des enfants très affaiblis par la malnutrition qui reste la première cause de mortalité infantile.

La lutte contre les maladies – VIH, paludisme et tuberculose – a elle aussi pris du retard. Concernant le sida, le nombre de nouvelles infections a diminué de 44 % entre 2001 et 2012. Mais 2,3 millions de personnes, de tous âges, ont été infectées en 2012. On comptait la même année 1,6 million de décès liés à cette maladie. Plus grave encore : au cours de la dernière décennie, il n’y a pas eu de diminution substantielle de nouvelles infections chez les jeunes de 15 à 24 ans.

En ce qui concerne le paludisme, le taux de mortalité a chuté de 42 %. Reste que la maladie est loin d’être éradiquée : en 2012, près de 207 millions de cas de paludisme ont été enregistrés. La maladie a tué 627 000 personnes dont 80 % d’enfants de moins de cinq ans. Seul réel succès : les progrès dans la lutte contre la tuberculose. Le nombre de nouveaux cas et de décès étant en forte diminution.

■ La croissance durable encore dans les limbes

La communauté internationale s’était également donné pour objectif d’assurer un environnement durable aux populations des pays en développement. Ce qui est encore loin d’être le cas… 13 millions d’hectares de forêts ont ainsi disparu entre 2000 et 2010 à la suite de ravages naturels ou de la conversion des terres à d’autres usages : urbanisation, voies de communication, agriculture… La destruction de la forêt fragilise les sols, favorisant l’érosion et prive les populations indigènes de ressources indispensables à leur survie. En outre, elle rejette dans l’atmosphère le carbone contenu dans le sol et contribue à la hausse des émissions de gaz à effet de serre, en progression de 48,9 % entre 1990 et 2011. Partout la biodiversité, indispensable à la vie, est en recul. Quant à l’accès à des services d’assainissement, la situation s’améliore : le taux de couverture est passé de 49 %, en 1990, à 64 %, mais en 2012, 2,5 milliards de personnes ne sont toujours pas raccordées.

Le bilan est plus encourageant pour l’accès à l’eau potable, devenu une réalité pour 2,3 millions de personnes depuis 1990. 89 % des habitants contre 76 % sont concernés. L’objectif visant à diminuer de moitié le nombre de personnes sans accès à l’eau potable a même été atteint en 2010, soit cinq ans avant l’échéance. Mais en 2012, 748 millions de personnes dépendaient encore de sources d’eau insalubres.

■ Nouveaux objectifs et changement de paradigme

Rien d’étonnant, si au vu de ces résultats, les nouveaux objectifs du développement durable reprennent pour partie les axes définis précédemment : que ce soit en matière de lutte contre la pauvreté, de politique de santé ou d’accès à l’eau. Mais ils visent, au-delà, à prendre en compte les nouveaux défis tels l’accroissement des inégalités, la raréfaction des ressources naturelles ou les changements climatiques, qui seront débattus lors de la COP 21 à Paris en décembre prochain.

Autant d’enjeux qui nécessitent de changer de modèle de développement. Car le modèle à l’œuvre au cours des derniers 50 ans a montré ses limites et s’avère incapable d’assurer le bienêtre de 9 milliards d’humains en 2050. Ce changement de paradigme ne concerne pas que les pays du Sud. C’est pourquoi les ODD sont universels, s’appliquant à tous les États, chacun étant invité par les Nations unies à communiquer son propre plan d’action.

L’élargissement de ces objectifs à des sujets qui n’étaient pas traités dans les Objectifs du millénaire, comme l’accès à l’énergie, le développement d’une industrie durable ou la justice pour tous dénote en outre d’un tournant : le développement ne saurait plus aujourd’hui se limiter aux seuls besoins de base. En témoignent par exemple la promotion d’une agriculture et de modes de consommation durables, la possibilité donnée à tous de se former tout au long de la vie ou la promotion d’une société pacifique et ouverte.

■ Il faut une volonté politique

La mise en œuvre de cette feuille de route demandera de dégager des moyens conséquents en mobilisant toutes les sources de revenus possibles. Déjà, malgré l’impulsion donnée par les Objectifs du millénaire, la communauté internationale s’est montrée incapable d’allouer à leur réalisation des financements suffisants. Concernant l’accès à l’école pour tous, la situation est devenue préoccupante car contrairement à leurs engagements, les pays donateurs ont réduit les montants alloués à l’éducation dans les pays en développement, notamment dans les pays à faible revenu. Même constat pour la lutte contre le paludisme. Les traitements efficaces contre la maladie gagnent du terrain, mais le budget annuel mondial nécessaire pour prévenir, diagnostiquer et traiter le paludisme est estimé à 5,1 milliards de dollars, soit deux fois supérieur aux sommes mobilisées…

Pour déployer un modèle de croissance plus juste, il faut aussi une volonté politique. Or, en dépit des discours alarmistes, le « business as usual » continue de faire des ravages. En 2010, l’Assemblée générale de l’Onu reconnaissait que l’accès à l’eau (et à l’assainissement) était un droit de l’homme et demandait une couverture universelle. Mais non contents de ne pas donner suite à cette injonction, les gouvernements ont « oublié » d’intégrer les principes du développement dura ble dans leur politique de développement : en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest, les taux de prélèvement de la quantité d’eau disponible excèdent de 75 % la limite de ce qui est considéré comme durable. En Asie du Sud, dans le Caucase et en Asie centrale, le taux de prélèvement, de l’ordre de 50 %, est proche du seuil de 60 % à partir duquel la rareté de l’eau devient un problème… Conscientes des failles, les sociétés civiles demandent d’ailleurs d’être associées au suivi des engagements qui seront pris lors de la conférence d’Addis- Abeba, du sommet de l’Onu à New York ou de la COP 21 à Paris. Une façon de ne pas manquer l’opportunité historique de changer les règles du jeu…

Ce décryptage est extrait du dossier : 2015, une année charnière pour le développement du magazine Faim et Développement d’août 2015. Vous pourrez aussi y lire les articles suivants :

Interview/Réfléchir ensemble aux politiques de développement (Tancrède Voituriez, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales-Iddri)
Focus/Colombie : Machisme et conflit, la spirale infernale (Des avancées ont été conquises mais les discriminations et violences faites aux femmes se poursuivent, dans le cadre d’un conflit armé long de cinquante ans).
Focus/Amérique latine : Santé, un bilan contrasté
Reportage/Burundi : De la chicotte à la coopérative (En s’organisant, les producteurs de café transforment leurs conditions de vie et deviennent des opérateurs économiques capables d’investir).
Financement du développement : Où trouver de nouvelles ressources financières ?

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