En Irak, des jeunes se lèvent pour sauvegarder leur patrimoine (reportage)
Alors que la révolte gronde pour dénoncer la corruption en Irak, des jeunes se mobilisent par eux-mêmes pour sauvegarder leur patrimoine millénaire. Rencontre avec les jeunes particulièrement engagés et dynamiques que nous soutenons en Irak.
Mise à jour le 17 décembre :Soulagement après la libération d’Omar et Salman!
Le reportage ci-dessous a été réalisé avant la vague de contestations. Mais il montre la résilience des jeunes et leur volonté de construire une société soucieuse du bien commun.
L’immense édifice, énorme parallélépipède à degrés de 80 mètres de long sur 64 de large et 30 de hauteur, est, de loin, massif, solide, impénétrable. De près, il semble vertigineux et mystérieux, mais les briques ocres qui le constituent laissent voir l’empreinte humaine.
Salman Khairallah désigne d’un grand geste la ziggourat d’Ur qui se dresse au bout d’une route désolée. « C’est un des grands vestiges de la civilisation sumérienne ! », s’exclame-t-il.
La loi et l’écriture ont été inventée ici
La ziggourat d’Ur a été dressée dans la plaine, en bordure des marais des deltas du Tigre et de l’Euphrate. La Bible affirme que le prophète d’Abraham y a vu le jour.
La ville d’Ur était, au IIIe millénaire avant JC, le coeur de la Basse Mésopotamie. Une des cités les plus puissantes de ce temps. Et la ziggourat en est le vestige le plus spectaculaire. Elle a été construite pour le Dieu-Lune Nanna.
Salman est heureux de raconter comment avec d’autres jeunes irakiens, ils ont participé à ce qu’elle soit classée au Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco, avec les marais du Sud de l’Irak. C’est tout un pan de l’Histoire humaine que nous voulons ainsi contribuer à protéger. »
Salman, moins de trente ans, est reconnaissable à son dynamisme infatigable et à ses lunettes à monture orange, une rareté en Irak. Cet ingénieur spécialiste de l’environnement est membre de l’ICSSI (Initiative de Solidarité de la Société Civile Irakienne), soutenue par le CCFD-Terre Solidaire.
C’est un des fondateurs de la Campagne pour sauver le Tigre et les marais du Sud de son pays, que nous soutenons également.
Mobilisés autour de la protection de leur environnement, le combat des jeunes militants s’est étendu naturellement à la protection des sites antiques menacés par l’érosion, les guerres, les pillages.
L’initiative des jeunes pour redonner vie au site d’Ur
Les jeunes de l’ICCSI ont fondé l’Initiative Urim, du nom de la ville de Ur en langue sumérienne. « Notre principal objectif est de pousser le gouvernement à mettre en place un plan de développement et de gestion conforme aux exigences de l’Unesco», explique Bassem Tiranu, jeune architecte.
Le site d’Ur n’est plus fouillé : les équipes d’archéologues internationaux n’ont pas l’autorisation de leurs gouvernements de se rendre en Irak pour cause d’insécurité. Leurs collègues irakiens n’ont pas les moyens de mener ces travaux seuls.
Et les autorités publiques considèrent qu’elles ont d’autres chats à fouetter dans un pays exsangue depuis des décennies.
Le site n’est plus visité non plus : les Irakiens ont perdu l’habitude de visiter leur pays. Trop dangereux pendant trop longtemps. De toute façon, sur le site aucune structure n’est prévue pour les accueillir.
Le seul être humain aux alentours, c’est Abou Sharaf, toujours ravi de voir Salman. Aujourd’hui gardien des lieux, il est né ici et sa tribu a protégé le site ces dernières années y compris lors des incursions de daesch. Il parle plusieurs langues. Il les a appris par les visiteurs et il est fier de nous raconter l’histoire du site.
La terrasse la plus haute de la ziggourat était probablement surmontée d’un temple aujourd’hui disparu. Depuis, les visiteurs ont une vue complète des vestiges de la cité royale, de la même couleur ocre que les briques d’argiles de l’édifice. Les restes des murs des demeures dessinent un labyrinthe.
La nécropole aux tombes royales est à peine protégée par une clôture défoncée par endroits. Abou Sharaf déplore l’état du site: « même pas 10 % de la cité antique ont été fouillés » estime-t-il.
Ici et là, des tas de tessons, dans les murets, des briques gravées de l’écriture cunéiforme sumérienne, première de l’Histoire, sont à la portée du premier venu, sans protection.
L’ancienne cité de Ur n’est pas le seul joyau du patrimoine irakien à être en danger. Tout le monde a encore en tête le pillage du musée de Bagdad au moment de l’invasion américaine en 2003. Mais Ur a pour elle, avec Uruk, Erido et les marais du sud de l’Irak, d’avoir été classée au patrimoine de l’Unesco en 2016 et de se situer dans une zone où la sécurité est relativement assurée.
Un énorme défi
Ur représente un énorme défi, à la fois matériel, politique et populaire. Urim a présenté un plan au Haut Conseil des Antiquités, qui dépend du ministère de la Culture.
Nasser Baqer, animateur du centre culturel Mashufna à Nassiriyah, explique que e plan présenté par Urim prévoit la construction d’aménagements pour les visiteurs : toilettes, cafétéria, et structures en bois qui protègent les sols aux endroits les plus fréquentés du site.
Le plan préparé a été refusé. Urim s’est donc rabattu sur un objectif plus modeste – nettoyer et rénover le jardin du musée de Nassiriyah – espérant ainsi faire ses preuves.
Tableau à l’entrée du musée de Nassiriyah.
Urim collabore déjà bien avec la police des Antiquités et, à Nassiryah, le colonel Fouad Karim apprécie leur volontarisme. Lui-même combat avec les moyens du bord les trafiquants d’antiquités. Quand nous le rencontrons, un soir au bord de l’Euphrate, il vient de conclure une opération de récupération de pièces anciennes destinées à l’exportation clandestine. « Nous ne voulons pas voir notre patrimoine partir à l’étranger, ni enrichir les réseaux criminels », martèle-t-il, la moustache sévère.
Dans ce pays déchiré par des décennies de conflits et de guerres civiles, « faire connaître le patrimoine et le protéger, explique Bassem, c’est découvrir nos racines communes et affermir notre identité. » Et le jeune architecte de rappeler l’évidence : « les jeunes Irakiens ne connaissent pas leur héritage culturel. Nous avons grandi avec les guerres et la violence, et nous n’avons pas visité notre pays, c’était beaucoup trop dangereux. »
A Bagdad où la vie reprend ses droits, des jeunes femmes s’amusent à se photographier dans le musée rénové
Texte : Gwenaëlle Lenoir
Photos : Roberta Valerio
Lire aussi :
– Irak : les jeunes se battent pour sauver le fleuve Tigre (diaporama)
J'ai 1 minute
Partagez et relayez nos informations et nos combats. S’informer, c’est déjà agir.
Je m'informe
J’ai 5 minutes
Contribuez directement à nos actions de solidarité internationale grâce à un don.
Je donne
J’ai plus de temps
S'engager au CCFD-Terre Solidaire, c'est agir pour un monde plus juste ! Devenez bénévole.
Je m'engage