Françafrique : à quand la rupture ?
Tribune publiée dans Libération
Au Tchad, la France vient encore de manquer une occasion d’entamer la rupture promise avec la Françafrique. Le «soutien sans faille» apporté par Paris a surtout encouragé Idriss Déby à bâillonner durablement l’opposition et à saboter le fragile processus de dialogue démocratique. Nicolas Sarkozy saura-t-il tirer les leçons de ce nouvel échec pour amorcer entre la France et l’Afrique «une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé», comme il l’a promis en mai 2006 à Cotonou (Bénin) ? Son deuxième voyage au sud du Sahara lui en offre une opportunité. La dernière, sans doute.
Car, seulement neuf mois après l’élection présidentielle, la liste des compromissions avec «les dictatures, les pays dirigés par des régimes corrompus», que l’UMP s’est pourtant engagée à ne plus soutenir, est déjà longue. Les quelques avancées sur le plan judiciaire, dans l’affaire du juge Borrel assassiné à Djibouti et dans celle des présumés génocidaires rwandais présents sur le territoire français, ne peuvent compenser le mépris affiché à Dakar, en juillet 2007, envers «l’homme africain», à qui jamais il ne viendrait «à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin». Les honneurs réservés aux Bongo, Kadhafi, Sassou-Nguesso, Biya et consorts en disent long sur la promesse de «refonder la politique africaine de la France sur des relations transparentes et officielles entre pays démocratiques». Que dire de l’impunité dont jouissent ces dirigeants sur le sol français, après le classement sans suite d’une enquête pour recel qui démontrait pourtant l’origine douteuse du patrimoine colossal de plusieurs d’entre eux ? Las ! la justice et le sort des populations africaines semblent ne pas peser bien lourd face à l’épouvantail de la concurrence chinoise et américaine agité par Paris et au poids démesuré des intérêts économiques de groupes comme Bolloré, Total ou Areva dans la diplomatie élyséenne.
Englué dans ce qu’il qualifiait naguère de «réseaux d’un autre temps», Nicolas Sarkozy est aussi de plus en plus isolé. Car l’opinion publique est lasse que la France piétine en Afrique les valeurs qu’elle prétend incarner. La nécessité d’une réforme profonde de ces relations est aujourd’hui comprise et voulue par de plus en plus de conseillers politiques ministériels, de fonctionnaires du Trésor, de diplomates, sans oublier les députés membres de la mission d’information parlementaire sur les relations franco-africaines, créée en septembre dernier. En janvier, Jean-Marie Bockel lui-même exhortait le chef de l’Etat à «aller plus loin dans la démarche de rupture» avec la Françafrique. En somme, les conditions de cette «rupture» semblent réunies. L’Elysée saura-t-il en profiter ?
En publiant un Livre blanc pour une politique de la France en Afrique responsable et transparente, les associations de la Plateforme citoyenne France-Afrique ont souhaité apporter des analyses et des propositions concrètes au débat. Lassées des discours incantatoires, elles attendent du président de la République des actes forts :
– mettre fin au domaine réservé que s’est arrogé l’Elysée dans les relations franco-africaines, en permettant un contrôle parlementaire effectif, notamment sur les accords de défense et de coopération militaire signés avec les Etats africains ;
– rompre effectivement avec les dictatures, diplomatiquement mais aussi symboliquement, par la saisie de leurs biens et avoirs mal acquis en France ;
– cesser de recourir à l’argumentaire de la stabilité politique et de l’absence d’alternative, en soutenant massivement les processus démocratiques associant l’ensemble des forces politiques et de société civile ;
– en cas d’intervention militaire, obtenir ex ante un mandat clair d’une instance multilatérale, mais aussi du Parlement français, à l’image de ce que fait l’Allemagne ;
– européaniser la politique française en Afrique et conditionner la coopération au renforcement démocratique, dans l’esprit des accords de Cotonou ;
– annuler les dettes africaines dites «odieuses», qui résultent d’un soutien passé de la France à des régimes dictatoriaux et dont la population n’a jamais bénéficié ;
– obtenir des entreprises françaises la publication détaillée de ce qu’elles versent aux gouvernements africains et promouvoir expressément l’adhésion des pays africains à l’initiative de transparence des industries extractives.
Il y a un an, plusieurs centaines d’associations et syndicats africains écrivaient au candidat Sarkozy : «Vous avez une occasion historique d’engager votre pays dans un nouveau contrat de génération avec les peuples de nos pays.» Il serait temps de la saisir.
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