Liban : résister pour retrouver l’espoir
Le pays traverse depuis octobre 2019, une crise économique, sociale et politique sans précédent, que la pandémie du Covid-19 n’a fait qu’aggraver. Le principal objectif du collectif Nahnoo, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, est la restitution au secteur public du domaine littoral, actuellement aux mains du privé. Des usurpations symptomatiques de la corruption et de la mauvaise gouvernance dénoncées par les manifestants au cours des derniers mois.
Nous vous proposons de (re)lire cet article de Doha Chams, journaliste libanaise, sur la situation du Liban d’aujourd’hui. Et appelons au soutien de la population et de nos partenaires libanais après la double explosion dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020.
Article publié le 26 juin 2020, mis à jour le 8 août 2020.
« Ils mettent le feu au camp ! » Le cri retentit dans la nuit beyrouthine le 18 janvier dernier. Ce camp avait été érigé dans la capitale libanaise, le 17 octobre, pour exiger le départ du gouvernement et la fin du système confessionnel.
Les manifestants – plusieurs centaines – réclamaient également la restitution des fonds publics détournés par ceux qu’ils appellent les « mafias du régime », accusés d’avoir fait sortir frauduleusement les capitaux du pays avec l’évidente et scandaleuse complicité d’un système bancaire corrompu.
C’est à coups de cocktails Molotov que des « inconnus » ont pris d’assaut les tentes installées sur la place Riad el-Solh et la place des Martyrs, tout près du siège du gouvernement et du Parlement. Ils y ont mis le feu pour intimider les occupants et les déloger une fois pour toutes.
Créé il y a tout juste cent ans, le Liban connaît depuis le mois d’octobre dernier une crise sans précédent : celle d’un système moribond basé sur les quotas confessionnels et sur une économie de rente qui ignore toutes les exigences du développement, dans un contexte marqué par la mauvaise gouvernance, la corruption endémique et l’opacité.
Si ces dérives étaient déjà présentes dans le Liban de l’après-guerre civile (1975-1990), la situation a toutefois pris un tour nettement plus grave ces dernières années.
Les Libanais ont compris que les autorités, après les avoir dépouillés de toutes les façons possibles et imaginables, s’attaquaient cette fois directement à leurs poches, pourtant vides. C’est alors que la révolte a éclaté.
Une économie basée sur la rente
Une explosion tardive, certes, mais bien réelle et qui a redonné espoir à une nouvelle génération de jeunes. Ceux qui ont choisi de rester pour essayer de sauver leur patrie malade, au lieu de s’exiler et d’être parmi les « matières premières » exportées par le Liban, comme le disent amèrement certains. Les transferts des émigrés sont en effet l’une des quatre ressources essentielles de l’économie libanaise, une économie improductive basée sur le système de rente.
Ces manifestants ont donc refusé de rejoindre les quelque 800 000 émigrés libanais [[Dans la dernière décennie (2008-2017), le nombre d’émigrés libanais a atteint 72 000 par an en moyenne. Alors que la moyenne annuelle n’excédait pas 60 000 durant la guerre civile (1975- 1990) et 40 000 pour la période 1992-2007.]] qui, fuyant l’absence de perspectives et un taux de chômage effrayant, ont quitté le pays durant la dernière décennie. Ils préfèrent rester et agir pour le changement de l’intérieur. Parmi eux, les militants de l’association Nahnoo, qui ont dû quitter leur tente elle aussi incendiée par les services de sécurité dans la nuit du 18 janvier dernier.
Le collectif Nahnoo au coeur de manifestations
Mohammed Ayoub, fondateur de l’association, s’amuse de nos questions : « Qu’est-ce que nous avons fait quand les violences ont éclaté ? » « Nous avons tout arrêté pour protéger nos bénévoles. Nous sommes restés sur la place des Martyrs, mais sans tente. »
Ce n’était pas la première fois qu’exaspérées par ce mouvement présent sur l’ensemble du territoire, les autorités tentaient de réprimer le soulèvement du 17 octobre. Elles sont en effet intervenues à plusieurs reprises – en vain – pour en finir avec « l’occupation » des espaces publics par des citoyens qui y campaient nuit et jour. Des lieux publics pour lesquels Nahnoo livre bataille, depuis au moins une décennie, afin de les arracher aux mafias du pouvoir.
En faisant la connaissance des militants du collectif, je me suis rendu compte que plusieurs des manifestations, auxquelles j’avais moi-même participé, étaient co-organisées par ce collectif. La chute du régime confessionnel, la liberté d’accéder à Horch Beyrouth (le Bois des pins) – l’unique parc subsistant dans la capitale libanaise –, la récupération du domaine côtier occupé, tels étaient les mots d’ordre de ces rassemblements.
Nahnoo n’aurait-il pas été évincé de l’actualité par le soulèvement, dont les mots d’ordre financiers et économiques ne coïncident pas forcément avec ses priorités ? « Pas du tout », proteste Mohammed Ayoub. « Nous avons réagi très vite en installant une tente au coeur de Beyrouth, sur la place des Martyrs. Nous y avons organisé des activités sur les thèmes d’actualité qui sont justement au centre des préoccupations de notre collectif. Prenez par exemple, la revendication de la restitution des fonds détournés, poursuit le jeune homme. Notre objectif principal, à savoir la restitution du domaine littoral occupé, qui relève des fonds publics, entre exactement dans ce cadre. Les fonds détournés ne sont pas seulement de nature financière, ce sont également les espaces et les biens publics (maritimes, par exemple) qui, une fois restitués pourraient rapporter au Trésor des milliards de livres en étant correctement exploités. »
Mohammed Ayoub cite en exemple l’étude réalisée par Nahnoo sur la ville de Tyr, au sud du pays. « Elle montre que la plage (occupée dans sa majeure partie par des individus et des sociétés) pourrait à elle seule fournir plus de 70 emplois locaux et générer des recettes de 4 milliards de livres. Imaginez un peu : on ne parle ici que d’une plage de quelques kilomètres, alors que dire du reste du littoral, qui fait 220 kilomètres de long ? » Il explique : « Nous avons donc demandé le recouvrement des 1 200 milliards de livres, correspondant à l’ensemble des amendes infligées pour empiètement sur les biens publics maritimes et jamais payées par les contrevenants. Ces sujets devaient figurer dans les revendications du soulèvement : il fallait montrer aux Libanais que nos biens publics sont usurpés, et que cela fait partie de la corruption générale. »
Dès le début du soulèvement, le collectif s’est donc mis au travail. « Nous avons publié une carte des empiètements sur l’ensemble du littoral maritime [[Le collectif Nahnoo a créé une carte des empiètements sur le domaine littoral, disponible sur son site : http://nahnoo.org]], ainsi que sur Horch. Partout, de Tripoli au nord jusqu’à Tyr au sud en passant par Beyrouth et Saïda, nous sommes allés parler des biens publics et des revenus que pourrait générer leur exploitation. Nous avons expliqué sans relâche l’importance des investissements côtiers pour améliorer les recettes du Trésor. Nous avons utilisé tous les moyens : conférences en live sur les réseaux sociaux, participation à des programmes de discussion sur les principales chaînes télévisées aux heures de grande écoute… Le but était aussi d’écouter les solutions proposées par des citoyens afin d’en tenir compte ensuite dans notre programme. »
Pour ces militants la question de la transparence est primordiale. « Pour nous, explique Ayoub, avec enthousiasme, il s’agit d’un aspect essentiel lié à la corruption puisque l’on ignore où passe l’argent public. En travaillant avec plusieurs municipalités, nous avons constaté que la plupart des recettes étaient affectées à des projets pilotés par les partis majoritaires de telle ou telle municipalité. Du coup, il ne reste plus rien pour le développement. C’est l’une des causes des problèmes économiques que nous connaissons aujourd’hui. »
Un pays qui n’exporte que ses enfants
Pour plusieurs ONG comme Nahnoo, le soulèvement a été l’occasion de redoubler d’ardeur dans les actions menées depuis de nombreuses années, et aussi d’attirer l’attention du public et de faire connaître leurs idées.
La crise économique a mis en évidence les dysfonctionnements d’un pays qui ne produit plus rien depuis longtemps : ni agriculture, ni industrie, ni artisanat. Un pays qui importe tout et n’exporte que… ses enfants.
Un pays qui, lors de la pénurie de devises, s’est trouvé dans l’incapacité d’assurer sur place ses besoins vitaux après la flambée du dollar.
Nahnoo signifie « Nous tous »
« La principale cause de la faillite de notre système, c’est le confessionnalisme, explique Mohammed Ayoub, et c’est pour changer radicalement de système que nous avons créé notre collectif. Étymologiquement, le terme nahnoo signifie « nous tous », c’est-à-dire l’ensemble. »
L’association travaille sur le thème de l’aménagement urbain en tant qu’espace de rencontre pour briser les barrières entre les gens et les rassembler autour de leur identité. « Nous existons parce qu’il y a un régime en panne, et l’une des principales raisons de cette panne se trouve dans les tensions confessionnelles qui paralysent tous les mécanismes de rencontre entre les Libanais. Nous sommes convaincus que la faillite du système financier national est due au confessionnalisme, qui permet à des criminels de guerre et à des personnalités corrompues de participer à l’administration de l’État. Cela a conduit à une explosion de la corruption. Chaque communauté religieuse reçoit des subsides d’un protecteur étranger, et le représente dans des conflits internes. Une partie essentielle de notre combat porte donc sur la mise en place d’un système électoral qui représente les intérêts des citoyens. »
Il poursuit : « Nous voulons aussi encourager la transparence, lutter contre la corruption et promouvoir la décentralisation administrative pour empêcher une monopolisation du pouvoir. Nous savons très bien qu’en l’absence de mécanismes de surveillance indépendants (comme c’est le cas aujourd’hui), nous n’obtiendrons rien de tout cela. »
Certains de ces bénévoles, auteurs de magnifiques vidéos, ont quitté le pays. Quel est l’impact de leur départ ? Mohammed Ayoub hoche tristement la tête : « Le pays perd ses jeunes qui partent à la recherche d’une vie meilleure. Pour les remplacer, nous essayons d’attirer ceux qui restent. Mais l’émigration est la conséquence d’une certaine politique, et tant que cette politique ne changera pas, l’émigration continuera. Cela demande du temps. Et puisque nous avons décidé de rester, nous devons aller jusqu’au bout et oeuvrer au changement des politiques publiques afin que les gens puissent demeurer dans leur pays. »
Par Doha Chams, journaliste à Beyrouth
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