Israël : toujours plus répressif
Après avoir perdu les élections, le Premier ministre Benyamin Netanyahou, a invoqué le coronavirus pour faire fermer la Knesset et les tribunaux – évitant ainsi un procès pour corruption. La mise en place d’outils de surveillance électronique de masse, réservés jusque-là à l’antiterrorisme, confirme les reculs démocratiques amorcés depuis des années, qui ont conduit de nombreux intellectuels à l’exil.
Une décennie de Benyamin Netanyahou, à la tête du pays, comme Premier ministre, les ont poussés à quitter leur pays, Israël. En décembre 2019, Eitan Bronstein et Éléonore Merza, fondateurs et animateurs de l’ONG israélienne De-Colonizer, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, ont pris, comme beaucoup de militants de gauche, le chemin de yérida. Un mot hébreu qui décrit le départ de Juifs d’Israël. Moins évoqué que l’alyah, la « montée » vers Israël, invoquée souvent par Benyamin Netanyahou pour l’encourager.
Il y a cru, pourtant. Il a été sioniste, a fait son service militaire, puis a voulu, à travers les associations qu’il a fondées, Zochrot, puis De-Colonizer, bousculer les mythes israéliens et faire admettre à la société un autre récit, celui de la Nakba [« catastrophe » en arabe], le départ forcé de centaines de milliers de Palestiniens du territoire qui deviendra Israël (1) « Ceux qui ont le même profil politique que le mien ont le sentiment que nous avons été vaincus et ne pouvons plus exercer une influence quelconque en Israël », expliquait-t-il au quotidien israélien Haaretz en mai dernier, dans un article qui donnait la parole à plusieurs de ces « exilés » de gauche.
– Lire / Israël-Palestine : le défi du rapprochement en plein Covid-19
Le coronavirus a tué la démocratie
Le jour où Éléonore Merza a vu, à la crèche de leur fils de 3 ans, de petits tanks fabriqués avec les rouleaux en carton de papier toilette et peints en camouflage, au milieu des décorations pour la fête de l’Indépendance, a été le jour de trop. « L’atmosphère est très militariste et très nationaliste, ce n’est pas nouveau, mais nous en sommes devenus de plus en plus conscients, reprend Eitan Bronstein. La mémoire de la Shoah est instrumentalisée pour reproduire la peur et ériger Israël, l’État juif, comme seule protection, déplore-t-il. Même à propos du coronavirus ! »
Le 20 avril dernier, jour du Souvenir en mémoire du génocide des Juifs d’Europe, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a osé le parallèle dans son discours à Yad Vashem, le mémorial de la Shoah : contrairement à l’Holocauste, « nous avons vu venir le virus à temps ». Il se vantait ainsi de son bilan : le pays avait échappé à la pandémie grâce à la fermeture de l’aéroport international, des restaurants, écoles, universités, centres commerciaux, à l’interdiction des déplacements à plus de 100 mètres de son domicile, et aux barrages sur les routes.
D’autres mesures ont été comprises par nombre d’Israéliens comme une utilisation du risque épidémique pour protéger un Premier ministre à la tête d’un gouvernement par intérim, après des élections législatives sans réel vainqueur, et menacé par la justice.
Le procès de Benyamin Netanyahou ajourné
Ainsi, au nom de l’urgence sanitaire, les tribunaux sont fermés. Le procès de Benyamin Netanyahou pour corruption, fraude et abus de confiance, qui s’est ouvert le 17 mars, est ajourné. Les travaux de la Knesset sont suspendus. Le gouvernement autorise le service de sécurité intérieure, le Shin Bet, à utiliser les données de téléphonie mobile de tous les citoyens pour contrôler les mouvements des malades et de leurs contacts.
Des outils de surveillance électronique de masse, réservés normalement à l’antiterrorisme, sont appliqués à tous, sans autre contrôle que celui de la Cour suprême. « Le coronavirus a tué la démocratie : Bibi a perdu les élections, puis il a fermé la Knesset, ordonné aux citoyens de rester chez eux, et a émis les ordres d’urgence qu’il souhaitait. C’est ce qu’on appelle la dictature », s’indigne sur Twitter l’historien Yuval Harari Noah [[Yuval Harari Noah a notamment écrit Sapiens et Homo Deus.]]. « Nous n’avons pas été étonnés par cette instumentalisation de l’épidémie, affirme Eitan Bronstein. Mais il pourrait le payer cher. Il peut tomber à tout moment. »
L’urgence sanitaire a débouché sur un gouvernement d’union nationale et permis à Benyamin Netanyahou d’affaiblir son principal adversaire, Benny Gantz, chef du parti Bleu Blanc, arrivé presque à égalité avec le Likoud aux élections législatives du 2 mars. Il ne restait plus au Premier ministre, à la longévité inégalée, qu’à remplir sa principale promesse de campagne : l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie occupée, avec la bénédiction de Donald Trump et les froncements de sourcils des pays arabes et européens.
Partout, dans le pays, des manifestants protestent à la fois contre la corruption et la gestion de l’épidémie, et demandent la démission de Benyamin Netanyahou. « La corruption nous rend malades », a-t-on pu lire sur une pancarte en face de la résidence du Premier ministre à Jérusalem. Du coup, plus personne ne parle de l’annexion. Mais cela ne décidera pas Eitan Bronstein à rentrer au pays : « Seule une pression de l’extérieur peut faire changer la politique israélienne. »
Par Gwenaëlle Lenoir
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