Liban : des jeunes palestiniens au risque de l’enrôlement

Publié le 08.01.2021| Mis à jour le 10.12.2021

Dans le camp surpeuplé de réfugiés d’Ain El Héloué au Liban, les jeunes Palestiniens sans aucune perspective d’avenir ne rêvent que d’immigration. Ils sont une proie facile pour les factions armées palestiniennes qui les enrôlent. Pour tenter de contrer ce phénomène, notre partenaire Naba’a a lancé un programme de prévention basé sur la formation.


Il faut avoir de l’imagination pour se penser un avenir quand on a quinze ans dans le camp de réfugiés palestiniens d’Ain El Héloué, près de la ville libanaise de Saïda. Ain El Héloué signifie « la douce source d’eau ». Mais ici, il n’y a ni source ni douceur. L’étroitesse des ruelles surplombées par les fils électriques masque le ciel. Les logements sont si petits que leur vie déborde sur les habitations voisines. L’intimité est un mirage, et le silence un leurre. Même la vue sur les orangers, au Sud, est bouchée depuis qu’un mur a été érigé autour du camp à partir de 2015.

Ain El Héloué est l’un des douze camps de réfugiés palestiniens du Liban, et traîne une réputation de dur. Comme les autres, il a été bâti en lieu et place de campements de tentes installées par et pour les Palestiniens contraints de fuir leurs villes et villages en 1948 devant l’avancée des troupes juives durant la guerre d’indépendance d’Israël.

En bordure de la ville côtière de Saïda se sont échoués des habitants de Galilée, le nord de la Palestine historique. Soixante douze ans plus tard, les plus âgés et leurs descendants sont toujours là, et leur situation légale ne s’est guère améliorée (voir ci-dessous).

Des droits restreints
Le statut des réfugiés palestiniens au Liban est particulièrement difficile. Si les classes sociales les plus aisées se sont fondues dans le paysage après avoir été contraintes de quitter la Palestine historique en 1948-1949, la majorité des réfugiés venaient de milieux modestes. Ce sont eux, et leurs descendants, qui habitent aujourd’hui les 12 camps de réfugiés.

L’Unrwa en dénombre 476 000, mais seuls 200 000 bénéficient des services de l’agence des Nations unies. L’État libanais a toujours refusé de leur octroyer les mêmes droits qu’à ses citoyens. Malgré un assouplissement en 2005, 39 professions leur restent interdites, dans des domaines aussi importants que la médecine, le droit, l’ingénierie. Et 70 % de la population palestinienne vit sous le seuil de pauvreté (175 euros par mois par personne).

Outre le manque de travail, elle souffre de services éducatifs et médicaux insuffisants. D’autant que les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont retiré leur contribution financière à l’Unrwa.

60 000 dans 1,2 km2

Le camp a grandi, comme les enfants, petits-enfants, et maintenant arrière petits-enfants. 60 000 personnes sont enregistrées auprès de l’Unrwa, l’agence des Nations unies chargée de l’assistance aux réfugiés palestiniens. Ce camp est le plus grand du pays, et la densité y est impressionnante sur une superficie de seulement 1,2 km2… Avec une population jeune : selon l’Unrwa, la moitié des réfugiés palestiniens du Liban a moins de 24 ans, et 20 % entre 15 et 24 ans.

« Être un jeune Palestinien au Liban, c’est vouloir émigrer, vers un pays européen, vers la Turquie, n’importe où pour échapper à l’absence totale de perspectives économique, sociale et politique, raconte un universitaire qui tient à garder l’anonymat. L’atmosphère est au désenchantement et à l’apathie. »

Une étude menée en 2017 pour le compte de l’Unrwa et de l’Unicef indiquait que la tranche d’âge des 15-24 ans était la plus touchée par le chômage, avec près de 40 % d’inactifs. Pas étonnant, dans ces conditions que plus d’un quart de ces jeunes se déclarent déprimés. C’est dans ce contexte que s’est développé un phénomène inédit : l’enrôlement de ces jeunes par les factions armées palestiniennes. « Ils le font pour avoir un salaire, explique Hachem Hachem, travailleur social de l’ONG Naba’a, partenaire du CCFD-Terre Solidaire (voir encadré ci-dessous). Ce sont en général des jeunes déscolarisés depuis trois ou quatre ans, et ils ne trouvent que ce moyen pour gagner un peu d’argent. »

Pour 100 ou 200 dollars mensuels (85 à 170 euros), ils portent les armes, font le guet, protègent les responsables des factions, et, parfois, font le coup de feu.

Avec l’accord des parents

La dernière fois, c’était en avril 2017, quand le Fatah, organisation majoritaire dans l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a affronté un groupe islamiste proche de la branche syrienne d’al-Qaïda. Des jeunes d’Ain El Héloué, entrés dans ces groupes pour des raisons économiques plus que politiques, ont participé aux combats. « Ils peuvent aussi entrer dans les factions par idéologie, explique un observateur. Un gamin de 13 ans connaît les différences entre le Fatah, le Hamas, et les djihadistes. Mais c’est surtout le salaire qui les attire. Ça leur permet d’aider la famille, d’avoir un statut, de se payer des choses. »

À telle enseigne que cet enrôlement se fait souvent avec l’accord des parents. « Nous discutons aussi avec eux », explique Hiba Hamzi, directrice
exécutive de Naba’a. Le recrutement par les groupes armés est loin d’être négligeable : plusieurs dizaines par faction, estime notre bon connaisseur. Or, il n’y a pas moins de 23 factions à Ain El Héloué…

Il y a quatre ans, Naba’a a lancé un programme de prévention. « Nous habitons nous-mêmes les camps, nous sommes issus de ces communautés. Nous avons donc les bons relais pour repérer les jeunes déscolarisés susceptibles d’être enrôlés, affirme Hachem Hachem. Nous leur proposons de développer leurs capacités individuelles et une formation professionnelle sanctionnée par un diplôme reconnu par l’État libanais. »

Renforcer l’estime de soi

Chaque session dure six mois et regroupe dix jeunes de 14 à 20 ans. Le renforcement des compétences personnelles, offert aussi à un public plus large, se déroule dans les locaux de Naba’a à l’intérieur du camp. « Il s’agit de soutien psychosocial, de renforcer l’estime de soi, de savoir s’exprimer, prendre des responsabilités, faire du plaidoyer », énumère Hiba Hamzi.


Hiba Hamzi, directrice de Naba’aL’apprentissage d’un métier, lui, se fait à l’extérieur, dans un environnement libanais : « C’est bien de les éloigner de la mentalité du camp, reprend la directrice de Naba’a, elle-même palestinienne, mariée à un Libanais. Les réfugiés ont tendance à penser que l’extérieur du camp leur est systématiquement hostile. Mais s’ils restent enfermés dans les limites de Ain El Héloué, ils ne trouveront pas de travail. Grâce au centre de formation, ils nouent des contacts, peuvent se créer des occasions sur le marché du travail libanais. »

Les derniers bénéficiaires du programme en date sont devenus barbiers coiffeurs. Sur dix jeunes, sept ont trouvé du travail. « Ils font d’abord des stages chez des professionnels. Mais il ne faut pas se leurrer, ils n’ont pas un emploi stable, reconnaît Hachem Hachem. Certains sont même journaliers. Mais ils ont d’autres perspectives que les factions. » Y compris, souligne Hiba Hamzi, celle de monter leur propre affaire. La promotion actuelle accouchera d’experts en téléphonie.

Les efforts de Naba’a et d’autres organisations – l’Unrwa elle-même offre
des formations professionnelles – se heurtent à une réalité violente : le Liban est plongé depuis octobre 2019 dans une crise économique d’une ampleur inégalée. Même les jeunes diplômés libanais de la classe moyenne ne trouvent pas de travail. Et l’épidémie de Covid-19 a encore aggravé la situation.

Parallèlement, les factions palestiniennes ont moins d’argent à mettre sur la table pour enrôler des jeunes. Faible consolation.

Par Gwenaëlle Lenoir

L’association Naba’a, créée en 2001, soutenue depuis 2018 par le CCFD-Terre Solidaire défend les populations les plus marginalisées du pays, notamment les femmes et les enfants dans les camps palestiniens. Elle cherche à augmenter leur résilience et leurs capacités à revendiquer leurs droits.

Elle travaille également à améliorer les relations entre les populations réfugiées, syrienne et palestinienne et la population hôte libanaise. Pour cela, elle développe des activités dans les domaines de l’éducation, la santé, le soutien psychosocial.

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