Chronique d’un rendez-vous manqué avec les sociétés civiles africaines
Une fois de plus, le sommet du G8 a accouché d’une souris. Les chefs d’Etat des 8 pays membres réunis à Deauville les 26 et 27 mai 2011 affichaient de hautes ambitions en voulant fonder un nouveau partenariat avec l’Afrique en faveur du développement.
Alertés par les ONG, dont le CCFD-Terre Solidaire, les représentants des pays membres et leurs partenaires africains ont visiblement échoué à créer une dynamique concrète et décisive en faveur de la souveraineté alimentaire, de l’encadrement des activités des multinationales et de la résolution des conflits et des crises sur le continent africain. Occultée par les enjeux autour du soutien aux révolutions arabes, l’Afrique subsaharienne est quasiment absente de la communication officielle du G8 et de la couverture médiatique du sommet.
Si le CCFD-Terre Solidaire se félicite que, sous l’impact des mobilisations citoyennes dans le monde arabe, l’Egypte et la Tunisie aient fait l’objet de déclarations fortes, il regrette que l’Afrique subsaharienne n’ait pas eu droit au même traitement. Hormis les quelques échanges sur l’aide à apporter à la Côte-d’Ivoire, sur la sécurité régionale (terrorisme, piraterie et trafic de drogue) et sur les investissements privés, l’Afrique subsaharienne a été reléguée au second plan et la question des démocraties et des droits de l’homme dans ces pays n’a été que vaguement rappelée dans la déclaration conjointe G8/Afrique « Valeurs partagées, responsabilités partagées ». Encore une fois l’approche partenariale entre les pays membres du G8, le NEPAD et les pays de l’Union Africaine s’est basée sur une vision clairement utilitariste du développement.
Il est clair que le partenariat passé avec le NEPAD et l’Union Africaine est virtuel. Idéologiquement ultralibéral, techniquement creux et politiquement infirme, ce partenariat relève de l’opération de communication et n’aura aucune portée concrète sur les problèmes des peuples africains qui de toute façon n’en attendaient rien. La déclaration conjointe, en ne faisant aucune référence aux sociétés civiles ou aux enjeux réels de la démocratie et du développement, est un non-évènement. Sur ce point, on ne peut que regretter que les états africains présents au sommet, au contraire des gouvernements de transition tunisiens et égyptiens, ne se soient pas montrés à l’écoute des aspirations démocratiques de leurs peuples.
Mais aussi, que les pays du G8 n’aient pas, dans leur dialogue avec les pays d’Afrique, apporté plus de souffle sur les exigences en faveur des droits des populations, et d’attention à leurs responsabilités propres dans ce domaine. Présent à Deauville avec des partenaires africains(1) , le CCFD-Terre Solidaire regrette que ce sommet du G8 souligne une fois de plus le manque de vision des pays riches et de leurs partenaires africains qui ne prennent pas en compte les problèmes réels et cruciaux des peuples africains.
Le CCFD-Terre Solidaire souhaite que soit engagée avec les pays d’Afrique subsaharienne la même démarche qu’avec les pays arabes, à savoir un dialogue qui n’exclue plus les acteurs civils et les forces vives des pays africains.
Souveraineté alimentaire en Afrique : le secteur privé plutôt que la souveraineté alimentaire
Alors qu’en 2009 au sommet de l’Aquila, les Etats membres du G8 s’étaient engagés à débloquer 22 milliards de dollars d’ici 2012 en faveur de la sécurité alimentaire, le rapport « redevabilité » du G8 et la déclaration finale de Deauville font une analyse erronée des résultats de l’initiative. Les sommes réellement versées ne couvrent que 22 % de l’enveloppe prévue. Sur ce point, le G8 se félicite donc d’un échec. Bien que nous accueillions avec bienveillance le renforcement de la méthodologie de l’exercice sur l’efficacité de l’aide et l’inclusion de la société civile pour le suivi, le CCFD-Terre Solidaire déplore l’absence d’engagements concrets permettant d’assurer les investissements annoncés il y a deux ans par l’apport de nouveaux fonds et non la réorientation de financements d’ores-et-déjà planifiés. Il est crucial aujourd’hui de renforcer l’Initiative de l’Aquila afin que les pays membres du G8 puissent atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, déterminants à l’aube d’une nouvelle crise alimentaire.
« Comme en 2008, le prix des denrées alimentaires flambent mais le G8 ignore l’agriculture familiale ! C’est pourtant la clef du développement des pays d’Afrique » constate Maureen Jorand, chargée de mission souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire. motcle_1413.phplors que le début de l’année 2011 a encore été marquée par un pic des prix des denrées alimentaires, la déclaration conjointe G8 / NEPAD / Union Africaine ne prend pas la pleine mesure de l’importance du soutien au secteur agricole des pays africains. Bien que 30 % des habitants du continent aient faim, elle ne consacre que quelques lignes à cette question fondamentale, sans faire mention de l’agriculture familiale et en faisant du secteur privé l’acteur central du développement rural. Cette absence d’engagement clair souligne une fois de plus le manque de cohérence des politiques en la matière. Ainsi aucune mention n’est faite de la « Déclaration de Maputo sur l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique » par laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement africains s’étaient engagés en 2003 lors de la deuxième assemblée extraordinaire de l’Union Africaine, à attribuer au moins 10% des ressources budgétaires nationales à l’agriculture et au développement rural d’ici 2008. Alors que 8 pays seulement ont atteint cet objectif (Burkina Faso, Éthiopie, Ghana, Guinée, Malawi, Mali, Niger et Sénégal), le sommet de Deauville n’aura pas été l’occasion de réaffirmer ces orientations. Les Etats membres du G8, le NEPAD et l’Union Africaine ont ainsi manqué l’occasion d’agir pour la souveraineté alimentaire et le soutien des petits producteurs des pays du Sud.
Investissement directs à l’étranger : l’Afrique ne doit pas être la zone franche du monde !
En utilisant plus de 10 fois l’expression « secteur privé » dans leur déclaration finale, les pays membres du G8 ne voient en l’Afrique qu’un marché prometteur pour la croissance de leurs propres entreprises multinationales. Les dirigeants des pays membres du G8 et du NEPAD semblent continuer de penser que le développement passe uniquement par les investissements étrangers et le seul secteur privé, et continuent de prôner la dérégulation économique, l’ouverture à la concurrence et la libéralisation des marchés. Ils omettent de prendre en compte les effets pervers de ces politiques sur les conditions de vie des populations, des consommateurs et des travailleurs. Les aspects liés à l’éducation ou la santé publique, pourtant importants dans la hausse de l’indice de développement humain, n’ont pas fait l’objet d’initiative ou de décision de la part des participants au sommet. De plus, alors que la déclaration du G8 sur les printemps arabes s’engage sur la restitution des avoirs volés par les régimes déchus, la déclaration G8 / NEPAD / Union Africaine ne fait pas mention des biens mal acquis par certains dirigeants, et de leur restitution. Cette omission regrettable, illustre l’impression du « deux poids deux mesures » très présente dans ce sommet.
« Les pays du G8 n’arrivent pas à trouver un consensus sur la question de la transparence dans le secteur extractif. Or la plupart des entreprises du secteur ont leurs sièges dans ces pays. A fortiori, il sera encore plus difficile de parvenir à un accord plus large pour obtenir des avancées au G20 ou à l’ONU. » Mathilde Dupré, chargée de mission Financement du développement au CCFD-Terre Solidaire.
Bien qu’ils aient multiplié les déclarations au sujet de la transparence des industries extractives au cours des années, les pays membres du G8 ont raté une véritable occasion d’aller au-delà de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE). Ils ne sont pas parvenus à un consensus sur un engagement en faveur de régulations contraignantes en matière de transparence financière des entreprises multinationales, pour soutenir l’initiative de régulation mise en place aux Etats-Unis. En restant ouverts à des normes à caractère volontaire pour encourager les entreprises gazières, minières ou pétrolières à rendre des comptes sur les paiements effectués aux Etats, les Etats du G8 renoncent à la mise en place de lois et de règlements contraignants. Sur ce sujet, la déclaration finale envoie donc un message décourageant aux populations des pays pauvres dotés de ressources naturelles(2) .
Antonio Manganella chargé de mission Responsabilité Sociétale des Entreprises au CCFD-Terre Solidaire, déplore que « une fois de plus, aucune conditionnalité en matière de droits humains, de respect de l’environnement et de responsabilité fiscale appliquée aux investissements direct à l’étranger ne soit mentionnée »
Le CCFD-Terre Solidaire déplore que le G8 ignore les avancées récemment réalisées en matière de régulation des entreprises multinationales dans d’autres enceintes. A défaut de promouvoir un modèle de développement durable et économiquement équitable, les pays membres du G8 auraient dû saluer et promouvoir les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies (qui seront discutés la semaine prochaine au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies). De même la fin du processus de révision des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales adoptés cette semaine à Paris n’a servi à rien dans ce sommet.
Le CCFD-Terre Solidaire, attentif aux conséquences économiques, sociales et environnementales des investissements directs étrangers, regrette qu’une fois de plus le sommet du G8 couronne une approche ultralibérale du développement qui ne satisfait pas les besoins fondamentaux des peuples africains.
Des efforts restent à faire dans la recherche de solutions aux causes profondes de l’instabilité
Le CCFD-Terre Solidaire a pris acte de l’engagement des pays membres du G8 à soutenir la démocratie en Afrique. Il restera cependant vigilant sur les attitudes des pays membres du G8 pendant cette année au cours de laquelle plusieurs pays de l’Afrique sub-saharienne connaîtront des processus électoraux à haut risque. Les pays du G8 devront s’illustrer par un appui financier et politique aux processus électoraux comme celui de la République Démocratique du Congo et un rejet clair et déterminé des gouvernements non démocratiques.
La question de la sécurité dans le Sahel, menacée par des intérêts criminels et terroristes, n’a pas donné lieu à une initiative en faveur d’une solution durable. La promesse du G8 d’assister les pays confrontés au terrorisme est vague et est symptomatique d’une absence de volonté et de vision. Ce qui fait craindre que, sous couvert de lutte contre le terrorisme, les droits des citoyens des pays de la zone soient menacés. Le CCFD-Terre Solidaire, pour qui la solution au problème ne peut pas être que militaire, regrette que cette question ne soit pas abordée avec tous les pays concernés, dans l’écoute des sociétés civiles locales et en privilégiant en faveur le développement de ces zones.
Zobel Behalal, chargé de mission prévention et résolution des conflits au CCFD-Terre Solidaire, souligne qu’alors qu’ils contrôlent plus de 80 % du commerce mondial des armes conventionnelles, les pays du G8 ne disent rien sur la régulation de ce commerce.
La circulation irresponsable des armes conventionnelles représente encore un des principaux fléaux du continent en grevant les budgets nationaux, en participant aux violations des droits de l’homme et en alimentant les conflits armés. Suite à une mobilisation citoyenne mondiale initiée en 2006 via la campagne « Contrôlez les armes » et à la résolution 64/48 des Nations Unies, des négociations internationales avaient été ouvertes et se poursuivent. Mais dans leur déclaration les pays membres du G8, ceux du NEPAD et de l’Union Africaine restent silencieux sur la nécessité d’une meilleure régulation du commerce des armes conventionnelles.
Enfin, le soutien à la lutte contre le commerce des « ressources des conflits armés » notamment dans la région des Grands Lacs est mou. Les pays du G8 n’ont pas clairement apporté leur soutien au guide de l’OCDE sur la diligence raisonnable. Pire encore, ils ne se sont pas engagés à l’imposer aux entreprises sous leurs juridictions.
Sur ces points, les pays membres du G8 devront développer de gros efforts pour qu’enfin les mots s’incarnent en actions concrètes.
Contacts Presse :
Nathalie Perramon : 01 44 82 80 67 n.perramon@ccfd.asso.fr
Véronique de La Martinière : 01 44 82 80 64 v.delamartiniere@ccfd.asso.fr
(1) Jean-Marc Bikoko, association Dynamiques citoyennes et coordinateur de la plate-forme d’information et d’action sur la dette du Cameroun et Hammadou Boulama, association Alternative Citoyenne (Niger).
(2) Voir communiqué de presse commun CCFD-Terre Solidaire, OXFAM France, Secours Catholique, Symposium des conférences épiscopales d’Afriques et de Madagascar. « Transparence des industries extractives : les pays du G8 encore loin de répondre aux espoirs des populations du Sud ». 27 mai 2011.
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