Quand les paradis fiscaux siphonnent les ressources publiques
La ou le futur Président(e) de la République élu(e) et son gouvernement devront répondre à une question cruciale : comment réduire la dette publique de notre pays pour financer des politiques publiques de qualité ? Si les caisses de l’Etat sont « vides », ce n’est néanmoins pas aux citoyens de consentir encore plus d’efforts au prix de leur santé, de l’éducation de leurs enfants ou de leurs droits sociaux. Des solutions existent mais, malheureusement, elles ne sont pas appliquées. Selon les estimations, la fraude fiscale prive l’Etat de 50 milliards d’euros chaque année, dont 20 sont le seul fait de la fraude internationale, notamment celles des multinationales via les paradis fiscaux. A cela s’ajoutent encore l’optimisation fiscale et la baisse des taux d’imposition du fait de la concurrence fiscale entre les pays (de 44 à 33% entre 1986 et 2006). Dans les pays du Sud, l’évasion fiscale des entreprises multinationales génère un manque à gagner pour les Etats de 125 milliards d’euros par an (soit plus que l’aide publique au développement)[[Christian Aid, 2008]]. Autant de ressources qui ne peuvent être affectées aux services essentiels pour les populations les plus démunies.
Les listes de paradis fiscaux établies par le G20 se sont vite vidées… Mais le problème n’a pas pour autant disparu. A ce jour, les mesures mises en œuvre, en France, ont permis de récupérer moins de 3% des recettes perdues. Seuls les « petits fraudeurs » ont été pointés du doigt, alors que les plus grands utilisateurs des paradis fiscaux, à savoir les entreprises multinationales et les banques internationales, n’ont pas été sérieusement inquiétés.
Pour mettre fin au scandale de l’évasion fiscale qui siphonnent les ressources publiques, il est urgent de faire preuve de courage en prenant des mesures concrètes et efficaces. Au delà de l’apport de ressources publiques conséquent, ces mesures permettront de remettre la justice sociale au cœur des sociétés au Nord comme au Sud, et de réaffirmer le rôle des Etats dans le pilotage de l’économie mondiale.
CHIFFRES CLE
En France
- Le montant de la fraude fiscale internationale annuelle en France représente un tiers du budget de l’éducation.
- Les 50 plus grosses entreprises européennes ont, en moyenne, plus de 20 % de leurs filiales dans des paradis fiscaux (et 26% en ce qui concerne les banques)[[Rapport du CCFD-Terre Solidaire, « L’économie déboussolée. Paradis Fiscaux, Multinationales et Captation des richesses », Décembre 2010. Sur la base de l’indice d’opacité financière développé par le Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network). ]].
- Les entreprises du CAC 40 payent en moyenne 8 % d’impôts sur les bénéfices loin des 33 % théoriques[[Conseil des Prélèvements Obligatoire, Oct. 2009]] contre 22 % dans les PME. En outre, une sur quatre n’a pas payé d’impôts sur les bénéfices en France, en 2009.
Dans les pays du Sud
- La course vers le bas en matière de fiscalité sur les entreprises est particulièrement notable en Afrique. La multiplication des régimes spéciaux instaure un véritable système parallèle avec une imposition presque nulle des entreprises[[Document de travail du FMI de janvier 2012, A. Abbas et A. Klemm.]].
DES IMPACTS AU SUD
« On nous explique que le développement passera par le soutien à des investissements privés. Or aujourd’hui, les ressources qui nous échappent à travers l’évasion fiscale des entreprises multinationales nous privent de moyens indispensables pour financer nos politiques d’éducation, de santé ou de soutien à l’agriculture. »
Sandra Kidwingira du Réseau pour la justice Fiscale en Afrique
CONSTAT
Les multinationales et les banques sont les premières utilisatrices des paradis fiscaux. Elles déjouent les contrôles et profitent de l’opacité et des lacunes des règles comptables en vigueur pour contourner l’impôt. Elles jouent notamment sur les transactions à l’intérieur du groupe qui n’ont d’autre objectif que de déplacer artificiellement les profits et de réduire les bénéfices des filiales situées dans les pays à fiscalité normale, notamment en France ou dans les pays en développement.
La première étape pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale est de renverser la charge de la preuve : il revient aux entreprises de démontrer qu’elles n’utilisent pas les paradis fiscaux à des fins d’évasion fiscale. Les pays du G20 ont demandé pour la première fois, dans leur déclaration de Cannes, « aux entreprises multinationales d’améliorer la transparence et de respecter pleinement les législations fiscales applicables ». Pour l’heure, on ne connait même pas la liste exhaustive des filiales des entreprises multinationales. Ainsi, Total ne publie la liste que de 217 filiales sur les 712 que l’entreprise consolide dans ses comptes[[Cf. rapport « L’économie Déboussolée », CCFD-Terre Solidaire, décembre 2010]].
Pour cela, il suffit, et il est urgent, d’exiger qu’elles fournissent un reporting comptable pays par pays couvrant l’ensemble des territoires dans lesquelles elles sont présentes. Cette mesure de transparence aura un effet dissuasif. Elle permettra de mettre fin aux pratiques de contournement de l’impôt les plus abusives. Outil indispensable pour mener des contrôles fiscaux efficaces, elle permettra en outre à la société civile au Nord comme au Sud de mieux mesurer les efforts de leurs gouvernements pour exiger une juste contribution fiscale des entreprises qui opèrent sur leur sol.
La demande phare du CCFD-Terre Solidaire
Imposer la transparence financière pays par pays des entreprises multinationales.
Comment ? L’Etat français peut agir très vite et faire preuve d’exemplarité. Il doit imposer ces règles à toutes les entreprises bénéficiant de marchés et de garanties publics. Leur accès doit être conditionné à la publication par l’entreprise concernée des informations comptables pays par pays demandées sur l’ensemble des pays dans lesquels elle opère :
- noms et coordonnées détaillées de toutes ses implantations dans le monde
- détail des performances financières (ventes, achats et coûts de financement, en distinguant les opérations intragroupe et les opérations avec des tiers)
- masse salariale et nombre d’employés
- bénéfice avant impôt
- charges fiscales détaillées incluses dans ses comptes pour le pays en question
- coût et valeur comptable nette de ses actifs physiques fixes
- actifs bruts et nets
Dans le cadre de sa politique de coopération internationale, l’Etat doit à minima exiger de la part de sa banque de financement, l’agence française de développement (AFD) et sa filiale dédiée au financement du secteur privé, PROPARCO, qu’elles imposent de telles règles de transparence à toutes les entreprises avec lesquelles elles travaillent.
Il est possible d’agir tout de suite !
- 17 régions françaises se sont engagées dans la lutte contre les paradis fiscaux.
- 9 d’entre elles ont déjà introduit une exigence de reporting pays par pays dans les critères de choix de leurs partenaires financiers.
- Un amendement similaire a également été adopté par le Sénat pour dupliquer cette mesure au niveau national, avant d’être rejeté par l’Assemblée Nationale en décembre 2011.
- Au niveau européen, la mesure de transparence pays par pays pour les entreprises du secteur extractif également en discussion ne pourra être adoptée sans un soutien actif de la France.
NOS AUTRES DEMANDES
- Augmenter la part de l’aide au développement consacrée au renforcement des administrations fiscales dans les pays du Sud et accompagner la reconversion économique des paradis fiscaux.
- Exiger un échange automatique d’informations de la part des intermédiaires financiers, à l’instar des Etats-Unis, qui surpris par les résultats obtenus à partir des fichiers bancaires UBS (14 700 évadés fiscaux), imposent désormais aux banques de dévoiler leurs relations avec des contribuables américains à l’étranger.
- Actualiser la liste française des paradis fiscaux pour recenser de façon exhaustive tous les territoires opaques et insuffisamment réglementés, propices au blanchiment d’argent, à la spéculation financière et à l’évasion fiscale. Cette liste, sur laquelle s’appuie le dispositif de sanction développé depuis 2009, ne doit plus exclure automatiquement les pays de l’UE et intégrer les paradis fiscaux aux portes de la France (Monaco et Andorre).
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