Responsabilisons les multinationales

Publié le 12.03.2012| Mis à jour le 09.09.2021

Face à l’ampleur de la crise actuelle, les responsables politiques rivalisent de discours, rappelant l’importance d’encadrer les activités des entreprises multinationales et des acteurs financiers. Prenons-les au mot ! La raison d’être d’une entreprise n’est pas seulement de générer des profits et de produire des biens et services. Ainsi, les petites et moyennes entreprises sont également créatrices d’emplois et génératrices de revenus fiscaux et sont strictement encadrées et responsables juridiquement en cas de préjudices liés à leurs activités.

Il n’en va pas toujours de même pour les multinationales dans le monde, dont le nombre a été multiplié par dix en trente ans. L’absence de règles internationales pour encadrer leur activité − et surtout celles de leurs filiales − autorise une course éperdue aux profits à court terme, qui ne s’embarrasse ni d’éthique, ni d’objectifs de développement économique local, en France comme ailleurs. Droit du travail bafoué, exploitation du travail des enfants, accaparement des ressources naturelles, pollutions irréversibles, évasion fiscale massive grâce aux paradis fiscaux… les filiales de certaines de ces entreprises commettent ou laissent commettre des abus inacceptables, aux conséquences graves pour les sociétés qui en sont victimes. Ainsi, l’essence que consomment nos voitures vient peut-être du delta du Niger, pollué par des fuites massives de pétrole provoquées, entre autres, par les activités de Shell. 80 % des jouets que nous achetons à nos enfants sont produits en Chine, dans des conditions déplorables, sans parler de nos vêtements, fabriqués dans des ateliers qui imposent parfois des cadences proches de l’esclavage. La course au moins-disant social et environnemental est destructrice pour notre planète, pour les populations exploitées dans les pays du Sud, mais aussi pour les entreprises et les salariés des entreprises françaises qui respectent les règles du jeu et ne peuvent s’aligner sur des coûts de fabrication aussi bas. Il s’agit là d’une concurrence déloyale qui nuit directement à la compétitivité des petites et moyennes entreprises et des tissus économiques locaux auxquels ces dernières contribuent. Pourtant, les gouvernements des pays du Nord, sous la houlette des institutions financières internationales, continuent à faire des ponts d’or aux multinationales. Par nos choix en tant que consommateurs, mais aussi par les messages que nous adressons à nos dirigeants en tant que citoyens, nous pouvons faire la différence. Bien sûr, il est normal et souhaitable que les multinationales fassent des profits. Mais elles doivent aussi, comme les autres, assumer leurs responsabilités, en France comme à l’étranger. Nombreux sont d’ailleurs les femmes et les hommes salariés de ces entreprises qui souhaiteraient faire évoluer leur entreprise de l’intérieur. Malheureusement, ils n’en ont souvent pas les moyens. Depuis trente ans, si la communauté internationale n’a cessé de légiférer pour faciliter et développer les échanges commerciaux mondiaux, les mesures législatives visant à protéger les droits humains et l’environnement des impacts négatifs de la mondialisation économique restent quasi inexistantes. Mettons fin à cette impunité immorale et destructrice !

– Exigeons la responsabilité juridique des multinationales vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants –

Aujourd’hui, si la filiale, ou le sous-traitant, d’une entreprise multinationale européenne, installée en dehors des frontières européennes, commet des violations des droits humains ou provoque des dommages environnementaux irréversibles, la responsabilité de l’entreprise mère ou donneuse d’ordre n’est pas engagée. En multipliant filiales et sous-traitants, les multinationales peuvent ainsi profiter d’un cadre juridique extrêmement flou. Aux yeux du droit, chaque entité composant le groupe est considérée comme autonome et n’ayant pas de lien juridique avec la maison mère. Résultat : si un groupe multinational est économiquement cohérent (le profit de chaque filiale remonte à la maison mère), les violations demeurent dans les pays d’implantation, où le groupe jouit d’une impunité souvent totale. Pour agir concrètement, il est essentiel d’adapter le droit des sociétés aux nouveaux enjeux d’un monde mondialisé, en levant la séparation juridique entre la maison mère et ses filiales et sous-traitants en cas d’abus vis-à-vis des droits humains ou de l’environnement. En instaurant ce régime de responsabilité, la France faciliterait l’accès à la justice des victimes de multinationales françaises dans des pays non européens. Une première étape incontournable pour que l’État remplisse son devoir de protection, et que les multinationales agissent de manière responsable.

– Nos autres propositions –

  • Renforcer l’obligation de transparence des multinationales en matière d’impacts sociaux, environnementaux et de droits humains.
  • Obliger les entreprises bénéficiaires de subventions publiques à étudier l’impact des projets financés sur l’environnement et les droits humains. Ainsi, les fonds publics ne pourront pas être à l’origine de violations des droits humains, des droits des travailleurs et de l’environnement.
  • Lever les obstacles à l’accès à la justice en France pour les victimes des pays non européens, par exemple, en inversant la charge de la preuve et en introduisant dans le droit national la possibilité d’action de groupe (action de classe), permettant ainsi à un ou plusieurs demandeurs d’intenter une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes.

– En chiffres –

En trente ans, le nombre de multinationales dans le monde a été multiplié par dix. On compte aujourd’hui 70 000 multinationales qui possèdent 690 000 filiales [[Source : la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), chiffres 2010. ]] et ont acquis un pouvoir supérieur à bien des États. Le chiffre d’affaires cumulé des 10 premières dépasse le PIB cumulé de l’Inde et du Brésil ! Selon le ministère des Finances [[http://www.izf.net/pages/accueil/4786]], en 2002, les entreprises françaises comptaient 2 637 filiales en Afrique. Responsabilisons les multinationales Pourquoi s’attacher spécifiquement aux entreprises multinationales ? Les entreprises multinationales (ou transnationales) sont des actrices majeures de la mondialisation économique. En 30 ans, leur nombre a été multiplié par 10 : on compte aujourd’hui 70 000 multinationales et près de 700 000 filiales. En raison de leur nature « transnationale », elles profitent de leurs implantations multiples et échappent à tout contrôle étatique alors que les PME-PMI françaises, elles, sont strictement encadrées par la loi nationale. Certaines d’entre elles ont acquis un poids démesuré face à des Etats plus faibles. En 2008 le chiffre d’affaires du groupe européen de distribution Metro s’élevait à 96 milliards de dollars, plus que le PIB du Maroc. S’il est clair que les entreprises peuvent être des actrices du développement (en créant des emplois, en reversant des impôts aux Etats, en participant à l’aménagement du territoire, etc.), il faut cependant qu’elles puissent être tenues comme juridiquement responsables pour les impacts négatifs que leurs activités peuvent avoir sur les droits de l’Homme et l’environnement. Les démarches volontaires de RSE sont-elles suffisantes ? Non. Face aux citoyens, mais aussi face à leurs cadres et employés choqués par une conception dévoyée de l’entreprise (concentrée sur une logique de profits au prix des droits de l’homme, de la justice fiscale et de la protection de l’environnement) les multinationales ont démontré une formidable capacité d’adaptation. Elles ont pris conscience qu’elles devaient répondre de leur comportement, que l’enjeu sur leur image était considérable. Les plus connues d’entre elles ont développé des politiques de « responsabilité sociale ». Elles se sont engagées volontairement à travers des chartes et des codes des conduites. Mais la volonté affichée ne suffit pas tant les codes, chartes, normes volontaires peuvent êtres détournés ou vidés de leur substance. La RSE entendue comme une démarche volontaire et d’autorégulation s’est donc révélée être une chimère et certains Etats sont passés à l’action dans l’idée d’un encadrement juridique et d’une transparence réelle s’imposant par le biais de la puissance publique. Les États reconnaissent peu à peu la nécessité de mieux réguler les entreprises : ainsi la déclaration finale du G8 de juin 2008 stipule que les mesures volontaires « ne se substituent pas à des régulations et un encadrement adéquat par les gouvernements ». En juin 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté les «Principes directeurs sur les droits de l’homme et les entreprises transnationales ». Ce texte introduit l’obligation pour les Etats de protéger les citoyens des éventuels abus à l’égard des droits de l’Homme. Il exige aussi des entreprises qu’elles veillent au respect des droits humains en vertu d’un principe de diligence raisonnable. Enfin, la Commission européenne a mis à jour sa Communication RSE en donnant une nouvelle définition qui souligne que l’autorégulation ne peut-être le seul moyen pour faire avancer la responsabilité des entreprises. Instaurer la responsabilité juridique entre la maison-mère et ses filiales constitue donc une première étape incontournable pour que l’Etat remplisse son devoir de protection, et que les multinationales agissent de manière responsable. Qu’est ce que la responsabilité mère-filiale ? Aux yeux du droit, chaque entité composant un groupe multinational est considérée comme autonome et n’ayant pas de lien juridique avec la maison-mère. Instaurer la responsabilité juridique entre une entreprise mère et ses filiales, mais aussi ses sous-traitants, revient à lever ce que l’on appelle le « voile juridique ». Cela signifie que la maison-mère répond des actes de ses filiales et de ses sous-traitants et porte la responsabilité en cas d’abus vis-à-vis des droits de l’Homme et de l’environnement. Il s’agit tout simplement d’adapter le droit des sociétés désormais obsolète, à l’ère de la mondialisation économique. Pourquoi vouloir imposer la responsabilité juridique entre les entreprises mères et leurs filiales ? Si les multinationales ont connu un essor réel, le droit des sociétés lui n’a que peu évolué depuis les années 1960. Alors que les PME-PMI et les entreprises qui évoluent dans le cadre européen sont soumises à certain nombre de règles sociales, environnementales et fiscales, les entreprises multinationales opérant dans les pays du Sud ne connaissent pas les mêmes contraintes. Les multinationales, qui agissent dans plusieurs juridictions et multiplient filiales et sous-traitants, profitent d’un cadre juridique extrêmement flou. Si un groupe multinational est économiquement cohérent (le profit de chaque filiale remonte à la maison-mère) les violations demeurent dans les pays d’implantation, où le groupe jouit souvent d’une impunité presque totale en raison d’un appareil juridique faible et peu efficace ou de relations privilégiées avec des gouvernements peu soucieux des droits de leurs citoyens. Cette impunité, qui biaise par ailleurs le jeu commercial avec les PME-PMI installées en France, s’applique à des préjudices causés aux droits de l’homme ou à l’environnement. En quoi cette mesure concerne-t-elle à la France ? 5ème puissance économique mondiale, la France compte de nombreuses entreprises multinationales qui comptent elles-mêmes de très nombreuses filiales et s’appuient sur des chaines de sous-traitants. Rien qu’en 2002, les entreprises françaises comptaient 2.637 filiales en Afrique. En 2010, le groupe français Total a réalisé un chiffre d’affaires de 159,3 milliards d’euros, pour un résultat net de plus de 10 milliards d’euros. En comparaison, les recettes budgétaires de la République Démocratique du Congo sont de moins de 4 milliards de dollars. Les entreprises multinationales françaises sont donc des actrices majeures et sont donc des entités « contrôlantes » (de leurs filiales) et « dominantes » (de leurs sous-traitants). Les pouvoirs publics, au niveau français puis au niveau européen et international, doivent donc agir en levant la séparation juridique entre la maison-mère et ses filiales en cas d’abus vis-à-vis des droits humains et de l’environnement. Ils peuvent aussi renforcer le devoir de transparence en matière d’impacts sociaux, humains et environnementaux, obliger les entreprises bénéficiant de subventions à instaurer des mesures de diligence raisonnable et inciter les autres entreprises à faire de même. Il existe une mesure simple, déjà présentée à 2 reprises au Parlement français, à savoir l’élargissement de la responsabilité du fait d’autrui à la relation entre une maison-mère et ses filiales et sous-traitants.

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