Une action de longue haleine

Publié le 03.05.2010| Mis à jour le 08.12.2021

Les informations fournies par les uns et les autres concluent assez largement sur le fait que les candidats au départ ne s’adressent presque jamais aux relais d’accueil durant la « montée ».

Informer et sensibiliser les candidats au départ

Plusieurs intervenants ont cependant souhaité un débat collectif sur l’attitude à tenir vis-à-vis de ces derniers. Divers avis ont été exprimés et en l’absence de position commune dégagée, voici quelques extraits choisis de la discussion :

“Les associations qui viennent en aide aux migrants sont comme des « stations services » sur le bord de la route. Elles sont là pour aider ceux qui sont dans le besoin et pour informer sur les risques et les dangers mais elles ne doivent pas empêcher les gens de partir. Le retour vers le pays doit toujours être volontaire et les quelques succès que nous obtenons, loin d’être des victoires décisives pour les politiques de retour de l’UE, doivent être simplement perçus comme un bon service offert à une personne en situation d’échec, qui choisit de retourner vivre parmi les siens”.
(Jan Heuft, Rencontre et Développement)

“Les gens quittent leurs pays parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils ne peuvent pas faire autrement. Et ils continueront de les quitter tant que la situation ne se sera pas améliorée. Il est important de les informer sur les risques de trafic (notamment pour les jeunes filles souvent sujettes aux réseaux de prostitution) mais l’essentiel, c’est aussi de mettre nos forces ensemble, de crier ensemble, pour lutter contre les turpitudes de nos États comme la mal gouvernance, la corruption, l’abandon des jeunes”.
(Jérôme Dukiya, Caritas Nouadhibou)

“Il est important d’informer mais on ne peut pas empêcher les gens de partir ! À cet égard, les campagnes de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont beaucoup d’effets pervers car leur objectif est bien d’empêcher les gens de quitter leur pays. Or, il faut donner la totalité de l’information. Les migrants n’ont pas besoin de l’OIM pour savoir que la route du désert est difficile ! La question se pose de la même façon pour les pêcheurs sénégalais qui partent 5 jours en mer pour atteindre
les Îles Canaries. Il faut pouvoir dire quelles sont les perspectives d’insertion si on reste au pays”.

(Hassane Boukar, Alternative Niger)

“Il n’est pas concevable dans nos sociétés africaines d’aujourd’hui que des jeunes de 20 à 30 ans, en âge de fonder un foyer et de subvenir aux besoins de leurs parents et de leurs familles, soient ainsi laissés à l’abandon et sans perspectives pour se construire le moindre avenir. Les pouvoirs publics locaux demeurent impuissants pour ne pas dire incapables d’améliorer leur situation. Il est normal dans ce contexte, que chacun tente de chercher sa voie. S’en tenir à la seule question de « pourquoi ils partent » est insuffisant. On connaît bien aujourd’hui les causes des flux migratoires du Sud et pourquoi, plus que jamais, ils alimentent la nouvelle géographie du monde. C’est de plus, un phénomène profitable pour tous et surtout pour les pays du Nord, au plan économique comme démographique. Et ce phénomène va aller crescendo. C’est dans ce contexte d’un accroissement mondial des migrations que nous devons inscrire nos perspectives d’actions de terrain. Nous ne devons pas chercher, en tant qu’acteurs de sociétés civiles, à empêcher les jeunes d’aller chercher ailleurs un mieux-être qu’ils ne trouvent pas aujourd’hui chez eux. Ils doivent pouvoir choisir. La liberté des personnes de circuler au Nord comme au Sud, dans un monde mondialisé, est le complément normal de la libre circulation des biens et des capitaux à laquelle plus personne ne s’oppose.”
(Assane Ba, CCFD-Terre Solidaire)

Une dizaine de participants de la rencontre a fait les 700 km de Gao vers la frontière algérienne, pour découvrir et pouvoir témoigner de l’enfer que vivent les migrants refoulés dans le no man’s land de Tinzaouaten.

Le séjour fut plus qu’instructif. Le constat est en effet audelà de toute prévision. Plus de 200 damnés de la terre, affamés, malades, blessés, jetés avec femmes et enfants dans un oued asséché par la police algérienne, ignorés par l’État malien et laissés à la merci des trafiquants et des réseaux de transporteurs mafieux.
Seul le défi courageux de Caritas Gao, aidée par la Croix- Rouge Internationale, permet aujourd’hui de proposer un minimum d’actions humanitaires aux refoulés de Tinza.

Améliorations proposées
Les conditions du convoyage des migrants de Tinza à Kidal et Gao laissent encore beaucoup à désirer. Une rencontre, organisée au retour de Tinza entre les représentants de la CRI et de participants à la rencontre, a permis d’évoquer les conditions d’un rééquilibrage urgent de la convention actuelle (réduction du nombre hebdomadaire de convoyés et accroissement de l’aide financière). Il y va de la capacité future de la Maison du Migrant de continuer à offrir un accueil décent aux refoulés.
Nous avons également demandé que soit mis fin au clientélisme instauré par les équipes locales CR dans le choix des publics vulnérables à acheminer en priorité, ainsi qu’aux fouilles intempestives et aux dépouillements effectués sur le trajet par la police malienne auprès d’un public précaire pris sous la responsabilité d’une organisation internationale chargée de les mettre à l’abri.
Mais par-delà ces mesures urgentes à prendre, il s’agira aussi de donner à la Maison du Migrant les moyens financiers et logistiques de sa survie, en l’aidant à trouver un partenariat financier durable. Bien évidemment, nous devons aussi l’aider à consolider les bonnes relations tissées entre les associations, la population et les autorités publiques de Gao, dont certaines tolèrent mais n’acceptent pas toujours, la présence jugée subitement trop importante des migrants refoulés dans le centre-ville.
C’est de la capacité de tous les protagonistes à vivre ensemble sereinement à Gao et à maintenir durablement la cohésion sociale dans la ville et la région, que peuvent naître une vraie sécurité des migrants et le recul de tout risque de xénophobie.

Extraits d’avis de participants
“Il nous faut organiser la visibilité de la Maison du Migrant. Et pour ce faire, il est essentiel qu’elle se dote d’un statut légal. Il lui faut une protection juridique, si elle doit être l’interlocutrice des autorités, des passeurs et de la police.
Si les gens qui montent pouvaient croiser ceux qui sont refoulés, ne serait-ce pas un moyen de faire de la sensibilisation ?”

(Père Richard, Mission de Tahoua)
“C’est l’union de toute la population qui fait notre force ici à Gao, chacun doit en être un maillon”
(Alassane Maiga, Direy Ben, Maison du Migrant)

Défendre les droits de migrants malgré l’absence de cadre juridiques précis

Outils juridiques à construire en appui au travail quotidien fait auprès des migrants
Les lois votées récemment dans les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie) ne constituent pas en tant que telles des avancées dans la protection des droits individuels des migrants. Elles sont surtout le fruit des pressions de l’Union européenne (EU) pour obtenir de ces États du Maghreb un nouveau dispositif juridique formel. La majorité de ces États n’ayant en effet aucune (ou très peu de) tradition juridique en matière de politiques migratoires et de défense des droits de l’homme, ces législations, pour la plupart des pâles copies des législations européennes, ont été faites pour « habiller » et donner un fondement légal aux pratiques abusives déjà en cours contre les migrants dans ces pays.

Mais, pour autant, elles doivent être considérées comme des outils juridiques existants. Un travail d’analyse de ces textes doit être effectué pour voir quelles marges de manœuvre elles laissent à la défense et à la protection des migrants, notamment en matière d’expulsions. Il serait également indispensable d’intéresser et de former des réseaux de juristes qui se penchent sur cette législation et sur son application dans ces pays.

En Algérie, l’adoption de la loi sur l’immigration est récente et les pratiques administratives officielles non encore suffisamment établies pour aller très loin dans
ce type de travail. Mais au Maroc, où la législation est plus ancienne, un réseau de juristes commence à se constituer sous ce mode.

Sans se faire trop d’illusions sur l’outil juridique comme unique garant du respect des droits et des libertés, il est cependant nécessaire et indispensable de s’en servir pour faire reculer certains abus.

Et pour l’avenir ?
Des pistes de travail ont été proposées que chacun, selon ses moyens et le contexte de son pays, pourra porter seul ou dans un cadre collectif plus large.

-> Un besoin d’assistance juridique aux migrants est évoqué par différents partenaires (Rencontre et Développement par exemple). Le Programme Migrants du CCFD-Terre Solidaire est prêt à examiner le financement d’un tel volet d’action qui s’inscrit parfaitement dans ses axes de travail. Si le contexte du pays rend ces initiatives possibles et pertinentes, les partenaires qui le souhaitent pourront les intégrer dans leur plan de travail actuel et dans le projet présenté au CCFD-Terre Solidaire.

-> La question de l’analyse juridique des lois existantes dans les pays du Maghreb et de leur diffusion auprès des associations et des praticiens du droit est essentielle. Il importe dans les pays dotés de vrais dispositifs juridiques, de favoriser l’analyse des textes, de surveiller leur application et de suivre l’évolution des pratiques administratives et de la jurisprudence.
Ce processus permettra à terme de constituer de vrais réseaux de praticiens et de juristes en appui à la défense des droits des migrants.

-> Dans les pays de la CEDEAO, l’application des règles de libre circulation et d’installation des ressortissants de ces pays, doit aussi être interrogée et vérifiée afin de clarifier davantage ce qu’est le droit, ce que sont les pratiques et comment se défendre en cas de non respect de la législation. Il faut notamment pousser les associations spécialisées dans la défense des droits humains à se mobiliser sur la question des migrations et à consacrer dans les rapports publiés chaque année, un chapitre d’analyse de la situation des migrants au regard des violations de droits, des abus et de l’arbitraire.

-> Au plan international, la Convention des Nations unies pour la Protection des droits des travailleurs migrants et leur famille doit devenir un outil d’interpellation et de plaidoyer politiques. L’organisation d’un plaidoyer politique fort sur la convention est indispensable. Il faut en effet rejoindre la bataille mondiale des sociétés civiles pour amener les États du Nord à signer et à ratifier cette convention et pour ceux, notamment des pays du Sud qui l’ont signée, à en respecter la bonne application.

En particulier, dans les pays déjà signataires, le processus de rédaction et de publication des rapports alternatifs auprès des Nations unies, (rapports établis par la société civile face aux rapports officiels) doit être mieux suivi et systématiquement mis à profit pour révéler à l’opinion le scandale des traitements subis par les migrants et pour affirmer qu’une autre politique est possible.

Le CCFD-Terre Solidaire s’engagera avec les acteurs de société civile qui le souhaitent, à travailler sur ce dossier plus en profondeur. L’outil juridique doit être considéré ici comme le levier d’une bataille sociale et politique de plus long terme. Il est important en effet de mener un travail de plaidoyer pour former et éclairer le jugement de l’opinion publique, très souvent instrumentalisée, et pour infléchir les choix des décideurs politiques dans ce qu’ils ont de plus contestable.

Communiquer et informer l’opinion publique sur les réalités de la migration

Nous avons décidé de parler du scandale humanitaire et politique de Tinzaouaten et d’informer l’opinion publique internationale sur les agissements des autorités algériennes, attentatoires aux droits humains et sur le silence complice du Mali, sur un bout de son territoire.

Mais nous voulons aussi parler des choses positives découvertes et observées à Gao. En particulier, de l’initiative d’espoir et de solidarité — l’ouverture de la Maison du Migrant portée par des personnes mues par un engagement sincère, qui bravent toutes les difficultés pour remettre debout des hommes et des femmes écrasées par la vie et les politiques de fermeture.

L’unanimité s’est faite sur la nécessité pour chacun de nous de communiquer sur les réalités fortes et les informations dont nous sommes témoins. Certes, il sera difficile à certaines structures, compte tenu de leur contexte et de leur identité, d’être en pointe sur cette communication, mais une information collective peut être relayée par tous, là où c’est possible. Une communication interne aux réseaux, mais aussi vers l’opinion publique.

L’information doit d’abord circuler entre nous et régulièrement. Chacun pourra ainsi alimenter son site internet et ses propres outils de communication avec une information collectivement constituée, sûre et actualisée.

Nous pouvons d’ores et déjà nous atteler à la création d’outils documentaires collectifs et commencer à bâtir une stratégie pour atteindre et intéresser des médias de plus grande influence.

Pistes de travail proposées
-> Élaboration d’un outil documentaire audiovisuel sur la situation dans les différentes zones, notamment dans les zones-frontières : Gao, Tinzaouaten, Oujda, Nouadhibou, Alger, Nord du Niger et Sénégal. Ce documentaire aura pour objectif d’informer sur les brutalités vécues par les migrants et de faire connaître nos résistances à ces violations de droits humains. Il est essentiel de capitaliser toute l’information que nous avons pu constituer pendant ce séjour à Gao et de la faire connaître par le plus grand nombre. Le CCFD-Terre Solidaire s’engage à soutenir la réalisation du documentaire.

-> Recensement dans différents pays, d’équipes de journalistes et de spécialistes médias, motivés sur les questions de migrations, pour en cas de besoin, relayer nos informations et alerter en temps réel, couvrir les initiatives publiques que nous serons amenés à réaliser et fidéliser une opinion favorable à ce que nous défendons.

Extraits d’avis énoncés par les participants
“Il faut que les gens sachent ce qui se passe dans ces endroits cachés. Nous devons relayer et si besoin, être nous-mêmes la voix des migrants. Ces migrants sont des êtres humains”.
(Jérôme Dukiya, Nouadhibou)

Une démarche politique ne peut s’appuyer que sur des informations précises. La source peut rester anonyme mais nous sommes dépositaires d’une information que nous nous devons de faire connaître. Parce que le récit va être raconté à un moment T, il va pouvoir être connu. Il nous faut construire une information collective. C’est le premier maillon vers une démarche politique. L’information est essentielle.
(Abbé Jean Marie Ndour, Caritas Dakar)

“Beaucoup d’information a circulé. La sensibilisation a déjà commencé entre nous. Si chacun décide de s’impliquer, nous pouvons véritablement faire quelque chose ensemble”.
(Père Delphin, Mission catholique Zinder)

Individuellement chacun de nous ne pourra rien faire seul. C’est pour ça que nous sommes là pour agir collectivement. Nous sommes témoins de situations humaines inacceptables que nous nous devons de dénoncer et de partager largement avec l’opinion publique.
(Guy Aurenche, CCFD-Terre Solidaire)

Insérer nos actions dans l’agenda mondial des sociétés civiles

Participer au Forum social mondial de Dakar 2011
Ce forum va réunir des centaines d’acteurs de sociétés civiles de tous les continents sur diverses thématiques de solidarité internationale, pour échanger sur leurs expériences et leurs luttes et pour construire des alliances permettant de mieux avancer dans leurs actions quotidiennes.

Il peut être pour nous une occasion à saisir, en tant qu’acteurs de terrain, pour dire ce que nous faisons avec les migrants, pour témoigner des réalités parfois inadmissibles qu’ils vivent et pour nous renforcer avec d’autres qui, sur des terrains similaires ou proches, cherchent à construire comme nous un autre monde possible, un monde fait de justice, d’égalité et de mieux être pour tous.

Pour cela, nous devons bâtir ensemble une dynamique de préparation au FSM tout au long de l’année 2010. Ce sera le « plus » collectif de ce que nous faisons déjà individuellement chacun de son côté. Il nous faut certes rester toujours proche du terrain, mais aussi quand il le faut, investir à bon escient des événements et tribunes plus larges pour gagner la bataille de l’opinion.

Trop de gens prennent la parole dans des rencontres internationales sans réellement être au fait du terrain. Des réalités de fond sont ainsi relayées par médias ou leaders d’opinion trop superficiellement pour pouvoir faire impact, faute d’informations ciblées et approfondies. Or il n’y a pas plus légitimes pour témoigner des réalités vécues par les migrants que ceux qui construisent tous les jours, avec eux, des actions pour sortir de l’impasse.

Durant le forum des activités pourront être portées par tous, en association avec d’autres avec qui nous convergeons, chacun dans son domaine d’action le plus éprouvé, et tous globalement pour renforcer la protection des migrants et la sécurisation des routes de la migration. Caritas Dakar se propose d’être chef de file de cette dynamique de préparation et de coordonner nos initiatives communes sur place.

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