Le combat oublié des Kachins
Après dix-sept ans de cessez-le-feu, la guerre éclatait de nouveau, en juin 2011, dans le nord de la Birmanie. La question politique est au coeur du différend opposant les Kachins au gouvernement birman. Le comportement « colonisateur » et prédateur de certaines compagnies chinoises, alliées des militaires birmans, n’arrange pas les choses. Un an et demi après cette reprise des hostilités, rien n’indique que les combats puissent cesser rapidement
Rien n’y fait. Les appels à la « paix » lancés par Barack Obama lors de sa visite à Rangoon, le 19 novembre dernier, les demandes de cessez-le-feu répétées du secrétaire général des Nations unies depuis mai 2012, les ordres du président birman Thein Sein à ses troupes leur intimant, dès le 10 décembre 2011, l’ordre de « stopper leur offensive », restent lettre morte. Dix-huit mois après la reprise des hostilités, la guerre perdure, opposant l’armée birmane à la KIA, bras armé de l’Organisation pour l’indépendance kachin (KIO), née dans les années 1960 et qui tente d’obtenir une plus grande autonomie pour les Kachins.
Des populations terrorisées fuient les combats
Et il n’est pas un jour sans que l’on entende parler de ponts dynamités, de mines explosées, de bombardements, d’échanges de « tirs nourris » entre les deux camps ; et aussi de villages pillés et brûlés, de massacres, de tortures ; de Kachins abattus pour de présumés liens avec la KIO ou son bras armé, la KIA, quand ils ne sont pas réquisitionnés comme porteurs ou détecteurs de mines humains par l’armée birmane ; de jeunes filles et de femmes violées ; de populations terrorisées fuyant les combats pour trouver refuge dans des camps surpeuplés et démunis ou errant dans la forêt.
« Notre village était situé à côté d’un camp militaire et, avant la guerre, nos contacts avec l’armée birmane étaient, disons, “normaux”», raconte Hla Pya, un fermier d’une cinquantaine d’années.
« Les choses se sont détériorées quand la guerre a repris. Les soldats ont demandé aux hommes de leur servir de porteurs et de marcher en tête de colonne. Ceux qui ont essayé de s’échapper ont été rattrapés, torturés ou tués, poursuit-il.
Quand les combats se sont rapprochés et que l’armée a commencé à subir de sérieuses pertes, elle a bombardé, détruit et pillé le village, et tué tous les animaux », dénonce-t-il. « Heureusement, la plupart d’entre nous avions pu nous réfugier dans la jungle. »
La jungle ? Maran y restera pendant six mois avant de pouvoir rejoindre un camp de réfugiés. « On s’est retrouvé à quatre- vingts : jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants », se souvient le jeune homme.« On se construisait des abris de fortune. On se nourrissait de ce que l’on trouvait dans la forêt, des plantes, des herbes, des fruits. »
Mais le plus dur n’était pas là. « On ne pouvait pas faire de feu », frissonne-t-il encore. « Nous n’étions qu’à une dizaine de kilomètres d’un poste de l’armée birmane et nous avions peur, s’ils voyaient de la fumée, qu’ils nous repèrent et nous bombardent. »« Au cours des dix-sept années de cessez le-feu, il n’y a pas eu de dialogue politique possible. Les militaires birmans n’ont jamais voulu en entendre parler », déplore le Dr Tu Ja, qui faisait partie de la délégation kachin qui parapha l’accord de cessez le-feu signé en 1994 entre la junte et les Kachins.
« L’ouverture d’un dialogue politique était pourtant l’un des points essentiels de cet accord »
Une politique de « birmanisation »
Le gouvernement en a profité pour se lancer dans une véritable « birmanisation » de l’État kachin. Augmentant la présence militaire, s’appropriant de grandes étendues de terres, de forêts, des entreprises… Construisant des pagodes bouddhistes un peu partout, une incongruité pour des Kachins en majorité chrétiens.
« Quand, en 2009,après plusieurs tentatives faites par la KIO pour amorcer ce dialogue, le gouvernement lui a demandé de s’autodissoudre pour se transformer en parti politique et de fondre les effectifs de son armée dans les Forces de sécurité des frontières birmanes, la KIOa jugé cela inacceptable »
Inacceptable, face au manque de volonté des autorités birmanes d’entrouvrir le moindre espace politique aux Kachins.
Un autre aspect de ce conflit introduit un nouveau protagoniste. « Ce n’est pas seulement une guerre entre Birmans et Kachins. C’est aussi une guerre menée indirectement par la Chine pour des raisons économiques», affirme le père Noël Naw Lat, responsable à Myitkyina, de l’aide aux réfugiés. Il qualifie même le voisin chinois de principal intervenant ». Une implication qui, selon lui, expliquerait que « le gouvernement ne veuille pas parler politique ».
Car, en Birmanie, les militaires contrôlent, à travers de multiples sociétés, pratiquement toute l’économie du pays. Or, l’État kachin regorge de ressources naturelles. Des forêts riches en bois précieux comme le teck, le bois de fer ou le bois de rose, et une vaste quantité de terres arables. Un sous-sol où abonde le fer, le molybdène, le nickel, le platine ou encore le cuivre. D’importants filons d’or et d’argent, des mines de jade, pierre très prisée en Chine, mais aussi des rubis, des saphirs, de l’ambre. Enfin, un réseau hydrographique dont le potentiel hydroélectrique reste très largement sous-exploité.
« La Chine connaît un développement économique très rapide et a besoin de plus en plus de ressources », explique le père Naw Lat. Du coup, les compagnies chinoises ont débarqué en masse. « Pour obtenir les autorisations de s’implanter, ces compagnies ont arrosé de millions de dollars la junte, sans s’occuper de la KIO ni de la population locale », continue l’homme d’Église.
« Quand la KIO ou la population ont commencé à s’insurger contre leurs pratiques, et notamment contre le fait que les Kachins n’en tiraient aucun bénéfice, les entreprises chinoises ont appelé les militaires birmans à la rescousse pour assurer leur sécurité, laquelle était garantie dans les contrats. »
Et le père de rappeler que les premiers affrontements de cette guerre – le 9 juin 2011 – se sont déroulés autour d’une centrale hydroélectrique construite sur une rivière du sud-est de l’État kachin par la China Power Investment Corporation, l’une des cinq plus grosses compagnies nationales chinoises. Un schéma qui s’est, depuis, répété et étendu à l’ensemble du territoire kachin. Autour de mines de jade, de plantations d’hévéas ou de manioc, de concessions forestières ou aurifères, de barrages…
Fin de non-recevoir politique ou colonisation économique chinoise, une chose est sûre : les conséquences de cette guerre sont une catastrophe pour la population locale. Entre 80 et 100 000 personnes ont dû quitter précipitamment leurs villages pour échapper à la violence des combats et aux exactions des militaires birmans. Des milliers de déplacés se sont soudain retrouvés sans rien, regroupés dans des camps improvisés à la hâte.
« Environ 50 villages sur les 480 dans lesquels nous avons des projets de développement ont été détruits ou réduits en cendres », recense Lu Ja, qui, à Myitkyina, capitale de l’État kachin, dirige la branche locale de Metta, une ONG birmane de développement, partenaire du CCFD-TerreSolidaire.
« Nous avons dû suspendre de nombreuses activités et la question de l’aide aux déplacés est devenue notre priorité », reconnaît-elle. Une aide d’autant plus difficile à apporter que la situation varie grandement selon que ces déplacés ont trouvé refuge en zone contrôlée par le gouvernement ou parla KIO.
Car si les premiers camps, relativement faciles d’accès, peuvent bénéficier de l’assistance du Programme alimentaire mondial, qui distribue de la nourriture, ou de celle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) – qui a construit des abris et fourni quelques objets indispensables : moustiquaires, maté riel de cuisine… –, en revanche, dans les zones contrôlées par la KIO, le régime est beaucoup plus spartiate.
L’UNHCR s’est en effet vu interdire la région par les militaires birmans pour « raisons de sécurité » depuis juin 2012. Les déplacés dépendent donc uniquement de la solidarité et de la générosité des villages situés aux alentours ou de la diaspora kachin. Et du ravitaillement qu’arrivent à leur faire parvenir quelques courageuses ONG locales.
« Sur les quelque trente-cinq camps de déplacés que comprend le diocèse de Bhamo, un certain nombre se trouvent en zone non gouvernementale », explique le père Paul, qui, dans ce diocèse, coordonne l’aide aux déplacés pour la Karuna Bhamo SocialServices, autre partenaire local du CCFD- Terre Solidaire. « En tant qu’organisation religieuse, notre neutralité est reconnue par les deux camps et nous pouvons nous rendre dans les zones sous le contrôle de la KIO. Mais cela reste très aléatoire et ne peut se faire qu’avec des moyens très limités », regrette-t-il.
Ce qui l’inquiète le plus, c’est l’enlisement du conflit.
« Nous sommes aujourd’hui les principaux pourvoyeurs de denrées alimentaires dans la zone non gouvernementale, mais, après un an et demi de conflit, personne ne sait quand cela va s’arrêter et nos fonds sont épuisés. Que va-t-il advenir de ces populations ? Qui va leur procurer de quoi manger ? Qui va s’occuper de l’éducation des enfants dans les camps ? Qui va gérer les innombrables traumatismes engendrés par ce conflit ? »
La question ethnique ne peut être résolue que par le dialogue
« Le retour à la paix est une condition essentielle à l’avenir de la Birmanie », plaide le Dr Tu Ja. Il faut que le gouvernement comprenne que rien ne peut se résoudre sur les champs de bataille et accepte d’entamer un dialogue politique sincère avec les minorités ethniques. »
Car les Kachins ne sont pas les seuls à souffrir de cette « birmanisation » parfois brutale. Malgré de nombreux cessez-le-feu avec des représentants d’autres minorités, comme, récemment, les Karens ou les Chins, la situation en zone « ethnique » reste très instable.
Les revendications de fédéralisme, d’autodétermination et d’égalité des droits des minorités ont encore du mal à trouver une oreille attentive auprès des militaires. Mi-décembre, les militaires birmans lançaient une nouvelle offensive contre les Kachins. Et depuis Noël, l’armée birmane, équipée d’hélicoptères d’attaque et d’avions de combat d’origine chinoise, bombarde les positions kachins. Et cela dans l’indifférence de la communauté internationale, qui, depuis un an et demi, ne s’est jamais mobilisée pour ce conflit et n’a même pas conditionné la levée des sanctions à un cessez-le-feu… ■ le 15 janvier 2013.
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