Burkina Faso – les grandes ombres du coton OGM
Avec l’introduction du coton Bt, en 2008, les rendements allaient bondir, promettaient les autorités et les sociétés cotonnières. Cinq ans plus tard, les désillusions se multiplient pour les petits cultivateurs.
Le chemin de terre cahote au milieu d’une belle campagne verdoyante. La fin de l’hivernage approche, mais il pleut encore fréquemment. À une heure et demie au nord-est de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du Burkina Faso, le village de Koumana s’extrait de la végétation. À l’ombre du grand manguier, une trentaine d’agriculteurs sont réunis pour parler coton. Sa culture est omniprésente dans la région. Dans les champs, les plants exhibent encore de jolies fleurs roses et blanches, de nombreuses capsules sont déjà pleines de bourre : la récolte ne tardera pas.
Sous la ramure, la moitié des vingt-cinq groupements de producteurs de coton du village sont représentés. Au Burkina, la filière est très organisée, il est exceptionnel de rencontrer des cultivateurs isolés. À Koumana, ce jour-là, seuls deux groupements sur douze déclarent ne pas cultiver de coton génétiquement modifié.
Les champs burkinabè connaissent actuellement leur cinquième campagne sous le signe des OGM. Les trois sociétés cotonnières du pays – Sofitex (région de Bobo-Dioulasso, ouest), Socoma (région du Gourma, est) et Faso coton (centre) –, qui gèrent la filière de la production à la commercialisation, distribuent des semences transgéniques aux groupements depuis 2008.
Pour la campagne 2012-2013, la Sofitex, détenue à 35 % par l’État, et qui revendique le contrôle de 80 % des surfaces semées en coton du Burkina Faso, estime que plus de la moitié – 284 000 hectares –, l’ont été en OGM.
Dans ce pays essentiellement agricole, l’un des plus pauvres au monde, l’État a fait le pari de voir bondir la production de « l’or blanc », sa principale source de devises.
La variété transgénique contient des gènes de la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt), qui produit deux toxines mortelles ou dissuasives pour plusieurs types d’insectes ravageurs du coton. Le résultat d’une collaboration débutée il y a plus de dix ans entre la firme étasunienne Monsanto et la recherche agronomique burkinabè. Avec le coton Bt, les six pénibles séances d’épandage de pesticides nécessaires à la culture des variétés conventionnelles sont réduites à deux passages.
À Koumana comme ailleurs, ce bénéfice est plébiscité sans détour. « Avant, c’était le poids sur le dos, les doses que l’on inhalait, les frais d’hôpital quand on a des vertiges, et tout à refaire si la pluie s’en mêlait… », énumère Hamadi Sawadogo, président du groupement Nomgtaaba. Et tout gain de temps est précieux pendant l’hivernage, alors que les cultures vivrières concentrent toute l’attention des petits paysans : car le coton, culture de rente, n’est jamais qu’un appoint dans leur économie.
On ne trouvera guère de francs détracteurs du coton OGM, à Koumana. Mais tout aussi rares sont les enthousiastes. Car les rendements spectaculaires – 30 % de plus –, promis par la recherche et les sociétés cotonnières, ne sont pas au rendez-vous, loin s’en faut.
À Padema, village proche de la frontière malienne, au nord-ouest de obo-Dioulasso, un cultivateur a comparé les performances des variétés sur deux parcelles. « Le gain de poids à la récolte, côté OGM, n’excède pas 10 % par hectare… » Des paysans affirment même que la balance penche en faveur du conventionnel ! Avec une certaine franchise, Déhou Dakuo directeur du développement de la production, à la Sofitex, reconnaît que le gain moyen de productivité du coton Bt, toutes tailles d’exploitation confondues, culmine à 15 %. Niveau que la grande majorité des 60 % de petits paysans qui travaillent encore à la daba[[Binette traditionnelle d’Afrique de l’Ouest.]] n’atteint donc même pas.
Des gains de productivité douteux
Les sociétés cotonnières restent néanmoins discrètes sur leurs propres difficultés, comme l’insuffisante qualité des semences, et privilégient une autre explication : les agriculteurs respectent mal « l’itinéraire technique » préconisé. Certains ont éliminé toute aspersion de pesticides : « Une erreur, les deux dernières sont indispensables, car les toxines sont inefficaces sur les insectes piqueurs-suceurs, indique Déhou Dakuo, à la Sofitex. Par ailleurs, nous savons qu’environ 30 % de l’engrais coton remis aux petits paysans est systématiquement détourné vers leurs cultures vivrières. »
Car la filière coton propose une facilité déterminante : tous les intrants (semences, engrais, urée, pesticides) peuvent être proposés à crédit aux groupements par les sociétés cotonnières qui soldent les comptes quand la récolte leur est remise, à un tarif garanti et fixé avant chaque campagne[[245 FCFA (0,37 euro) le kilogramme cette année.]].
Aline Zongo est formatrice de terrain à l’ONG Inades-Burkina. Cette organisation est membre de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique (Copagen), réseau régional de lutte contre l’introduction des OGM en Afrique de l’Ouest, toutes deux partenaires du CCFD-Terre Solidaire. Aline est familière de la stratégie des petits paysans : « Une grande majorité ne voit d’intérêt, dans le coton, que par l’accès à de l’engrais à crédit, afin d’en faire profiter le maïs, céréale prioritaire pour les ruraux. »
Or, le rendement du coton transgénique est très sensible au respect des doses d’engrais. Ainsi, à Koumana, le groupement Naan, où l’on amende les champs avec du compost naturel, l’a rapidement abandonné. « Ça ne donnait pratiquement que des feuilles ! », s’exclame Sid Mamadou Sawadogo.
De guerre lasse, la Sofitex propose aujourd’hui, avec son paquet d’intrants coton, un surplus d’engrais destiné au maïs. Mais seulement si l’on sème au moins trois hectares de coton. « Mais ce n’est pas le cas pour une moitié des exploitants », relève Aline Zongo. Le « détournement » d’engrais se poursuit donc…
Un risque financier sensiblement accru
Mais surtout, il y a le prix de la semence Bt… Il choque les paysans, même les mieux lotis : pour un hectare, 27 000 FCFA le sac, contre 814 FCFA en conventionnel – 33 fois moins ![[Respectivement 41 euros et 1,25 euro.]]. Avec le coton OGM, la dette initiale des cultivateurs s’alourdit au début de chaque campagne, augmentant leur risque financier si la récolte n’est pas bonne. « Voilà pourquoi nous avons toujours refusé le coton Bt », explique-t-on au groupement Lafia Bougon, dans le village de Banwaly, exilé sur une piste défoncée au nord-ouest de Bobo-Dioulasso. C’est que l’État ne subventionne pas les semences OGM, justifie la Sofitex, alors que c’est le cas en conventionnel, à 80 % du prix.
Mais l’énorme différence tient aussi à la très confortable rente annuelle perçue par Monsanto – 28 % des ventes de semences selon l’Agence nationale de biosécurité[[Semences produites en champs par des agriculteurs spécialisés.]]. « Nous tentons de renégocier ce pourcentage, mais en vain pour le moment… », confesse Maxime Sawadogo, responsable technique de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina.
Néanmoins, la soustraction de quatre traitements insecticides et le gain de productivité restent des atouts gagnants, veulent convaincre les pro-OGM.
À Banwaly, satisfait de son coton Bt, Seydou Cissé n’annonce pourtant que 50 000 à 75 000 FCFA de bénéfice par hectare[[De 75 à 115 euros.]], guère plus en moyenne que le coton conventionnel. Et les sujets de mécontentement ne sont pas épuisés. « Depuis cette année, le sac de semences est passé de 45 kg à 30 kg, pour le même prix, fulmine Brahima Sanoun. Elles seraient de meilleure qualité, nous dit-on. Mais bien souvent, quand on sème, ça ne lève pas ! »
La circonstance n’est plus si rare, et touche toutes les cultures. Le dérèglement climatique raccourcit les hivernages et l’arrivée des premières pluies, cruciales pour la réussite des semis, est de plus en plus erratique. « Alors, il faut racheter des semences… à 27 000 FCFA le sac, quand c’est de l’OGM ! », s’indigne Laurent Sano, à Banwaly, dont la moitié du groupement a décidé de revenir au conventionnel.
La société civile s’empare du débat
Au bord des champs, Aline Zongo attaque les questions qui troublent. « Savez-vous que le coton Bt produit des toxines en permanence ? Qu’en pensez-vous pour votre santé et celle de l’environnement ? C’est aussi l’avenir de vos enfants qui est en jeu… »
Regards surpris. « Et saviez-vous qu’il faut conserver 20 % des surfaces en conventionnel pour créer des zones refuges pour les ravageurs ciblés par les toxines Bt ? » En effet, elles ne les tuent pas systématiquement : des souches résistantes finissent par apparaître et s’imposer comme en Inde, où le coton OGM de Monsanto est cultivé depuis 2002[[La chute de rendements a provoqué la ruine de dizaines de milliers de paysans, des mouvements de contestations très violentes, et même des vagues de suicides.]]. Aussi « l’itinéraire technique » officiel compte-t-il sur les six épandages appliqués sur les portions refuges pour améliorer l’éradication.
Oui, la Sofitex est bien venue l’expliquer à Koumana, il y a deux ans, « mais ce n’est pas pratique », confessent les paysans. Harouna Belem reconnaît cultiver 100 % OGM sur ses cinq hectares. Idem pour Seydou Cissé, à Banwaly, qui allègue que « la règle des 20 % n’est obligatoire qu’à l’échelle du groupement ». À deux mètres de sa parcelle, un champ conventionnel. « Son propriétaire sait-il qu’il joue le rôle de terre d’accueil pour vos colonies de ravageurs ? », insiste Aline Zongo.
Et soudain, à Banwaly comme à Koumana, la même protestation lasse. « Peut-être faut-il penser aux générations futures, madame, mais nous sommes fatigués, nous ne savons pas nous-mêmes où nous allons ni que penser de tout cela », soupire Brahim Sanoun.
Les pro-OGM n’ignorent rien de ces doléances qui s’ajoutent à d’autres difficultés moins notoires dans les villages, comme la dégradation du prix du coton burkinabè sur la place mondiale (la variété OGM a des fibres raccourcies). Mais ils préfèrent positiver : « Comme pour toute innovation, il faut un temps d’adaptation ; les cultivateurs sont bel et bien en train d’adopter le coton Bt. »
Opinion radicalement différente, à la Fédération nationale des organisations paysannes du Burkina (Fenop), membre du réseau Copagen. « Le monde paysan n’a aucune maîtrise sur cette technologie, qui nous rend extrêmement dépendants, juge Issouf Sana,coordinateur. Les cultivateurs veulent-ils vraiment voir leur ventre contrôlé par le monde extérieur ? Je suis convaincu qu’ils finiront par abandonner d’eux-mêmes le coton OGM, parce qu’il n’a pas été conçu pour servir leurs intérêts. »
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