Tous les modèles agricoles se valent… même si l’un détruit l’autre ?

Publié le 15.10.2013

Ces dernières années, les agricultures familiales sont revenues au centre des débats internationaux, comme porteuses de développement rural au Sud : elles concernent pratiquement la moitié de la population des pays en voie de développement, qui comptent 500 millions de fermes paysannes soit 2,7 milliards de ruraux, et produisent de 50 à 70% de l’alimentation mondiale. Et pourtant, les agriculteurs familiaux sont aujourd’hui les premiers à souffrir de la faim.


Des stratégies de défense des agricultures paysannes se sont mises en place, et les mouvements et organisations paysannes sont désormais les pivots pour faire entendre les revendications des populations rurales.

Stratégies communautaires et mobilisation paysanne en Colombie
La question agraire demeure une des clés du conflit armé qui ronge la Colombie depuis plusieurs dizaines d’années. « Toute l’histoire de la Colombie est marquée par la violence exercée contre les paysans par de grands propriétaires terriens, qui se sont constitués à leurs dépens de vastes domaines souvent consacrés à l’élevage extensif – ceux-ci couvrent aujourd’hui quelque 39 millions d’hectares, alors que seulement 5 millions d’hectares sont dédiés à l’agriculture. Les multinationales bananières sont également présentes de longue date sur le territoire colombien » rappelle Philippe Revelli dans le cadre de son reportage Terres [[Colombie : Vends ta terre ou c’est ta veuve qui le fera, Webdocumtaire de Philippe Revelli – Production CCFD-Terre Solidaire, septembre 2013, http://ccfd-terresolidaire.org/infos/souverainete/accaparement-des-terres/terres/un-tour-du-monde-pays/colombie-vends-ta-terre-4323]].
Mais depuis le début des années 2000, à la faveur de la diminution des conflits ouverts dans certaines régions, les activités agroindustrielles financées par des investisseurs étrangers se sont multipliées. De par sa superficie et ses ressources, la Colombie, partie prenante de nombreux accords de libre échange, est l’un des pays d’Amérique latine les plus convoités pour des investissements à grande échelle. Ces investissements se traduisent par des accaparements de terres pour des monocultures d’exportation, notamment pour des agrocarburants, qui mettent en péril l’accès des paysans au foncier, alors même que le pays est aujourd’hui importateur net d’aliments [[FAO stat Colombie]].
Malgré cela, la mobilisation ne faiblit pas. Des communautés s’organisent afin de se réapproprier les territoires. « Dans ces communautés, des rapports humains basés sur la solidarité sont la règle, et des modes de production alliant savoirs traditionnels et modernité de l’agroécologie sont mis en œuvre, souligne Philippe Revelli. Elles deviennent ainsi des foyers de résistance où l’on revendique la souveraineté alimentaire et le respect de l’environnement » [[Pour aller plus loin : Social struggle, human rights and political representation of the peasentry 1988-2012, CINEP, aout 2013 – http://www.cinep.org.co/index.php?option=com_docman&Itemid=117&lang=es]].
L’Association des conseils communautaires du Bas Atrato (ASCOBA), fondée en 2003, fédère 58 conseils communautaires et 7 coopératives. Elle œuvre notamment à renforcer les mécanismes de solidarité communautaire dans une stratégie de résistance civile pacifique et agit pour la défense et de la récupération des territoires communautaires reconnus par la loi de 1993, dite « de négritude » – cette mobilisation pour la récupération des terres communautaires a récemment valu à plusieurs dirigeants d’ASCOBA de recevoir des menaces de mort de la part de groupes paramilitaires.
Ces tensions accrues sur le territoire, tant économiques que liées au conflit, sont le catalyseur depuis août 2013, d’une mobilisation de grande ampleur des paysans à travers tout le pays, soutenu par une part de plus en plus importante de la population. Au cœur de leurs revendications : l’instauration de prix planchers, la sécurisation de leur accès à la terre et la reconnaissance du statut de paysan.

Au-delà du consensus international et de la lecture des statistiques, le potentiel des agricultures familiales pour le développement rural au Sud est réel, avec un triple avantage : la capacité à assurer une gestion durable des ressources et la redynamisation des territoires, à produire pour répondre aux besoins de consommation locale, et à procurer de l’emploi en zone rurale.
Les agricultures familiales sont désormais devenues les priorités annoncées par la plupart des bailleurs internationaux en matière de sécurité alimentaire. Les agences de développement les inscrivent clairement de manière prioritaire dans leurs cadres stratégiques. Ainsi, pour l’AFD, « selon les modèles d’agriculture qui se développeront, les résultats de distribution des revenus, d’emplois et donc de sécurité alimentaire mais également de durabilité environnementale, pourraient être fort différents. Pour être inclusive, durable et améliorer la sécurité alimentaire du plus grand nombre, la croissance de l’agriculture reposera, pour l’essentiel, sur l’évolution de dizaines de millions d’exploitations familiales agricoles » [[Cadre d’intervention sectoriel pour la Sécurité Alimentaire en Afrique Subsaharienne 2013-2016 – p.5]].

Cependant, dans les faits, les financements et les projets réellement développés marquent beaucoup moins clairement ces priorités, avec des risques d’incohérence sur les actions de développement menées sur un même territoire.

Cameroun : quand la coopération française soutient des modèles agricoles contradictoires
L’accélération des autorisations de financement de l’AFD en 2011 et 2012 pour la sécurité alimentaire en Afrique Subsaharienne s’est expliquée par les décaissements des Contrats Désendettement Développement (C2D) et la progression des engagements de PROPARCO dans le secteur [[Cadre d’intervention sectoriel AFD Sécurité Alimentaire Afrique Subsaharienne 2013-2016]]. Le Cameroun est révélateur de cette double tendance.

Depuis 2009, l’Agence Française de Développement de Douala engage une importante partie de ses financements via les C2D. Il s’agit du dispositif utilisé par la France pour « annuler » les créances bilatérales des pays pauvres très endettés. Le C2D est en réalité une opération de retraitement de la dette. En d’autres termes, le pays continue à rembourser ses créances mais les sommes sont réallouées par l’opérateur de développement sous forme de dons en projets de développement. En période de pénurie de ressources publiques, ces fonds comptabilisés à tort par la France dans son APD représentent des volumes très importants.

La première tranche du C2D au Cameroun (pour un montant total de 538 millions d’euros entre 2006 et 2011) a permis, en plus d’autres secteurs, le financement d’une dizaine de projets agricoles concentrés sur les petits exploitants et les PME/PMA du secteur. A la demande notamment de la société civile camerounaise impliquée dans le dispositif C2D, la deuxième tranche de financement doit faire de l’agriculture une priorité de ses investissements, avec une nationalisation de plusieurs de ses programmes régionaux. C’est ainsi 60% des 326 millions d’euros prévus pour la période 2011-2016 qui seront alloués spécifiquement au secteur « agriculture et développement rural » [[Voir l’intervention de Henri de Raincourt lors de la cérémonie de signature du deuxième C2D entre la France et le Cameroun, à Yaoundé, le 1er juillet 2011 – http://www.ambafrance-cm.org/Ceremonie-de-signature-du-deuxieme]].
A l’inverse, l’autre branche du groupe AFD, PROPARCO, investit plutôt dans des projets agroindustriels d’ampleur (voir le Focus SOCAPALM).
La société civile a à plusieurs reprises interpellé l’AFD sur cette incohérence globale, notamment lors des dialogues autour des cadres organisés par l’agence avec les parties prenantes à l’occasion de la révision de ses deux derniers cadres sectoriels concernant la sécurité alimentaire (2009 et 2012) . Le débat exigerait d’être approfondi, et nous l’appelons de nos vœux…

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