Quel cadre légal ?
Le bénéfice qu’un pays tire des investissements étrangers dépend, pour beaucoup, de la volonté et de la possibilité de l’État d’imposer aux entreprises des pratiques conformes aux intérêts de sa population. Intraitable pour obtenir des transferts de technologies, la Chine n’est pas exemplaire en matière de droits des travailleurs. Quand l’État est plus faible, comme à Madagascar, souvent il peine à obtenir de réelles contreparties des investisseurs. Or le respect des droits ne saurait dépendre d’une négociation.
Le débat public est nécessaire pour sortir du tête-à-tête et trouver un juste équilibre. L’obligation légale de consulter les populations de façon libre et informée est un levier important pour mieux prendre en compte leurs besoins et favoriser l’acceptabilité d’un projet. Il revient ensuite au Parlement de contrôler les aménagements règlementaires et fiscaux ainsi que les grands contrats passés avec les entreprises.
Ces processus peuvent en amener certaines à adopter de « bonnes pratiques » qui pourront faire tâche d’huile : publication d’informations financières pays par pays, conduite préalable d’études d’impact indépendantes sur les droits de l’homme, consultation des parties prenantes, etc. L’insuffisance des initiatives volontaires conduit ensuite à l’adoption de lois contraignantes de transparence des paiements, malgré les réticences des entreprises concernées. Par ailleurs, grâce à la mobilisation de la société civile, la publicité des contrats progresse dans les pays du Sud, notamment dans le secteur extractif, permettant aux gouvernements de faire valoir les attentes de leurs populations lors de la négociation et en amenant celles-ci à demander des comptes à l’État. La stigmatisation des dérives contribue aussi à faire évoluer les pratiques. Pour les entreprises cotées en particulier, la réputation est un capital à préserver et à consolider. Ainsi elles ont développé des codes de bonne conduite, le mécénat via des fondations, ou encore adhéré à des initiatives volontaires telles que le Pacte mondial des Nations unies. Ce mouvement est positif, dans la mesure où il accroît le risque « réputationnel ». Il peut même amorcer une spirale vertueuse : montré du doigt, Nike, d’abord dans le déni, est devenu ensuite l’avocat du non-recours au travail des enfants dans son secteur. Mais, faute de contrôle sur la mise en œuvre des engagements dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, ces démarches non contraignantes ne sauraient suffire.
Une réglementation contraignante
La réalité économique, humaine et managériale d’une entreprise multinationale confère au pays du siège une responsabilité éminente dans les activités à l’étranger de ses filiales – et souvent de ses fournisseurs et sous-traitants. Imposer aux sociétés mères un devoir de vigilance pour le respect des droits dans toute leur chaîne de production est l’objectif d’une proposition de loi déposée au Parlement français à l’automne 2013.
Des réglementations sont aussi nécessaires à l’échelle internationale. En 1990, 91 % des multinationales venaient des pays développés, 10 ans plus tard 70 %. Adoptés en juin 2011, les principes directeurs des Nations unies visent précisément à faire respecter par les sociétés multinationales les droits fondamentaux (Déclaration universelle des droits de l’homme, conventions de l’Organisation internationale du travail…). Ils instaurent une double obligation : pour les États, protéger les citoyens des abus réels ou potentiels des entreprises à l’égard des droits humains et garantir un accès à des voies de recours (notamment à la justice pour les victimes) ; pour les multinationales (conçues comme des groupes de sociétés), veiller au respect de ces droits par des procédures afin d’identifier, prévenir et réparer les risques de violations (diligence raisonnable). Mais aucun mécanisme de sanction ne contraint aujourd’hui les uns et les autres à la mise en œuvre de ce texte. Plusieurs pays en développement demandent un traité international contraignant (qui devra préciser sur qui repose l’obligation, le contrôle, l’instance de recours…), mais les pays européens s’y opposent. Pour l’heure, l’Union européenne demande à chaque État membre un état des lieux et un plan d’action.
Questions pour un partage
• En juin 2014, l’observateur permanent du Saint Siège a déclaré devant le conseil des droits de l’Homme des Nations unies :
« Acteurs majeurs au sein d’un monde globalisé, [les entreprises transnationales] sont responsables du respect et de la promotion des Droits de l’Homme dans leur propre domaine d’activité. Alors que les principes directeurs [des Nations unies] peuvent améliorer l’intégration de la priorité de la personne humaine et de l’environnement dans l’activité économique internationale, seul un instrument juridiquement contraignant serait plus efficace pour promouvoir cet objectif. » Qu’en pensez-vous ?
• Ai-je connaissance de salariés ou dirigeants d’entreprises qui ont fait prévaloir leur éthique sur les injonctions de la hiérarchie ou des actionnaires ? La morale personnelle est-elle un rempart suffisant ?
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