Accueillir un demandeur d’asile chez soi
Le bien-nommé programme Welcome du Service jésuite des réfugiés (JRS) permet à des familles françaises d’héberger, pour une durée de deux semaines à trois mois, un demandeur d’asile. Alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver à la rue, l’accueil en famille leur permet de reprendre souffle et de vivre de réelles rencontres avec des Français.
Rencontre avec une famille accueillante.
Reportage : Accueillir un demandeur d’asile chez soi
En cet après-midi glacial du mois de février, il fait bon se réchauffer près du poêle de la maison de Damien et Gwenaëlle, en proche banlieue parisienne. C’est l’heure calme, autour d’un café, pendant que deux de leurs trois jeunes enfants font la sieste. Valeryia, 30 ans, demandeuse d’asile en provenance d’Ukraine, partage avec eux un gâteau au chocolat qu’elle a préparé avec les enfants.
Valeryia est arrivée dans la famille le 5 janvier grâce au projet Welcome. Cette association créée par le Service jésuite des réfugiés met en contact des demandeurs d’asile, et parfois des réfugiés qui viennent d’obtenir le statut, avec des familles qui peuvent les accueillir. La durée du séjour est limitée et définie à l’avance entre la coordinatrice de Welcome, Marcela Villalobos Cid, et la famille, afin que l’accueil ne devienne pas trop lourd pour la famille. Chez Damien et Gwenaëlle, il est ainsi prévu que Valeryia reste deux mois.
Après avoir été chaleureusement accueillie chez un couple retraité, c’est la première fois que Valeryia partage le quotidien d’une famille avec de jeunes enfants : « Welcome me permet de vivre dans différents types de familles françaises, cela en fait une expérience unique », sourit-elle.
Sur le point de se retrouver sans-abri
Si elle connaissait déjà un peu la France pour y être venue comme touriste, Valeryia n’imaginait pas devoir s’y réfugier un jour. Jusqu’en 2014, elle habitait la ville de Lougansk, aujourd’hui au cœur de la guerre en Ukraine [[Lougansk est devenue en mai 2014 une « République autonome autoproclamée ». Cette entité a été classée comme une organisation terroriste par l’Ukraine empêchant ainsi les pourparlers de paix. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), le confl it a déjà fait plus d’un million de déplacés internes]]. De cette guerre, elle dira peu de choses, seulement qu’elle a refusé de choisir entre ce qu’elle appelle « ses deux langues maternelles », le russe et l’ukrainien.
Arrivée à Paris pendant l’été, et sur le point de se retrouver sans-abri, elle entend parler de l’association Welcome et trouve son contact sur Internet. Elle s’inscrit aux cours de français et le réseau l’aide aussi à ouvrir un compte bancaire.
De leur côté, c’est par une cousine que Gwenaëlle et Damien ont connu le programme Welcome. La simplicité de la démarche et l’encadrement assuré par le Service jésuite des réfugiés les ont rassurés et convaincus d’ouvrir les portes de leur maison [[Le CCFD-Terre Solidaire soutient notamment l’action du JRS en Syrie qui accompagne 300 000 personnes à Homs, Damas et Alep. Le JRS France, créé en 2006, agit en complémentarité avec les associations déjà actives auprès des réfugiés. Il encourage, depuis 2009, l’hospitalité des demandeurs d’asile dans les familles à travers le projet Welcome.]].
Pendant la journée, la jeune femme est toujours à l’extérieur, occupée par les longues démarches administratives pour la demande d’asile et par ses cours de français. Elle aide aussi en tant que bénévole les sœurs de mère Térésa dans le 11e arrondissement qui distribuent chaque jour 400 repas dans ce lieu où elle-même avait trouvé à se nourrir à son arrivée.
Sa présence chez Damien et Gwenaëlle reste discrète. « Chacun respecte la vie et l’intimité de l’autre. On apprend à se connaître au fur et à mesure », explique Damien. Les enfants ont tout de suite manifesté leur intérêt pour la jeune femme. « Le premier jour, c’est Maylis qui a voulu lui montrer sa chambre. Même si les enfants sont encore petits, ils posent des questions, pour savoir ce qu’elle va devenir, si elle va rester en France. Je pense que c’est un enrichissement pour eux aussi », raconte Gwenaëlle. « Pour nous, ce n’est que du plus, explique-t-elle. En fait nous n’avons rien changé à notre quotidien et à notre façon de vivre. On s’attache à vivre de bons moments ensemble. Nous lui avons fait découvrir la raclette, la fondue, les crêpes à la chandeleur… Valeryia, elle, nous a initiés au fameux bortsch, plat typique de sa région. »
La douleur de l’exil
Graphiste pour la presse en Ukraine, Valeryia est avide de culture et d’histoire. « Tu connais plus de monuments que nous », s’amuse Gwenaëlle. Elle apprécie aussi les différentes sorties organisées par le réseau Welcome Jeunes. L’association tient en effet à marquer des moments de fête. Elle rassemble des demandeurs d’asile avec d’autres jeunes français, pour des matchs de foot, des cours de théâtre, des sorties culturelles. Valeryia y a rencontré deux amies arméniennes avec qui elle parle russe : « La possibilité de s’exprimer dans mes deux langues d’origine me manque beaucoup », témoigne-t-elle.
Avoir été obligée de quitter son pays reste une blessure : « Ce n’était pas un choix, et c’est parfois dur à accepter. Beaucoup de demandeurs d’asile ne parlent que de retourner chez eux. Mais vivre dans une famille permet de rompre notre solitude. Petit à petit, en partageant un quotidien, se reconstruit une nouvelle vie. »
Pour Damien, la présence de Valeryia ouvre à « certaines réalités que nous ne connaissons pas en France. Nous sentons à quel point les réfugiés laissent beaucoup de choses derrière eux ». Pour le couple, cette expérience fait écho à leur volontariat avec la DCC (2), au Mexique, il y a quelques années : « Nous habitions près de la frontière avec les États-Unis, que beaucoup de migrants voulaient franchir. C’est aussi un endroit où nous avions été très bien accueillis dans des familles très pauvres. »
L’accueil de l’autre, quelle que soit sa religion, s’inscrit pour eux dans une démarche de foi. Valeryia, qui est orthodoxe, est sensible à cette évocation de la religion. « Je crois que les gens recherchent dans la religion quelque chose pour faire la différence. Elle permet de réunir des personnes, des familles. Je retrouve cette philosophie dans le projet Welcome, avec cette atmosphère familiale et d’amitié. »
Anne-Isabelle Barthélémy
En France, le JRS cherche à encourager l’hospitalité des demandeurs d’asile dans les familles à travers le projet Welcome dont le réseau a commencé à se construire en 2009.
En offrant un hébergement pour un temps limité, dans l’attente d’une prise en charge dans les dispositifs existants, l’association accompagne une transition parfois délicate pour les demandeurs d’asile, grâce au tissage de liens rassurants qui favoriseront l’insertion. Un tuteur assure le suivi individuel et vérifie que le demandeur reste actif.
« En proposant quelque chose de concret, qui n’engage pas au-delà des possibilités, on se rend compte qu’il est possible d’aller au-delà des peurs. C’est la politique des petits pas, qui nous fait sortir des grands discours sur l’immigration pour se mettre en mouvement. L’impossible devient alors possible, car beaucoup de familles peuvent mettre une chambre à disposition quelques semaines » explique Paul de Montgolfier, directeur de JRS France .
Le réseau s’étend progressivement en Ile de France, Lille, Rennes, Brest, Nantes, Bordeaux, Orléans, Lyon, Marseille, Nice, Clermont Ferrand, Valence , Dijon, Nevers…
Si le projet vous intéresse, contactez : welcome.jrsfrance@gmail.com
Ce reportage est extrait du dossier : Demandeurs d’asile, quel accueil leur réservons-nous ? du magazine Faim et Développement de juin 2015. Vous pourrez aussi y lire les articles suivants :
Décryptage/Droit d’asile en France : protection des personnes ou gestion des flux ?
Reportage/La Cour nationale du droit d’asile : la Cour des miracles (Découverte de cette institution unique en France).
Reportage/La communauté chrétienne d’Irak déracinée (Rencontre avec une famille accueillie en Anjou).
Interview/Revivre après l’exil (Étienne Marest, secrétaire général de l’association franco-syrienne Revivre, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, nous explique sa mission).
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