La communauté dans l’Evangile et dans la pensée sociale de l’église

Publié le 21.01.2016

Sur les ondes, dans nos journaux ou nos conversations, le mot communauté revient sans cesse, recouvrant des réalités fort disparates : tantôt lié à la défense d’intérêts catégoriels, tantôt cherchant à asseoir une certaine légitimité (par exemple la communauté scientifique), tantôt utilisé pour se démarquer ou encore pour traduire un certain style de vie (communauté religieuse). Spontanément associée à l’idée d’unité, de communion, la communauté peut aussi être un lieu de conflit assumé (la communauté politique). Autant dire – pour utiliser un vocabulaire actuel – qu’il s’agit d’un mot-valise ! Pour l’Église, la communauté est fondamentale et la doctrine sociale utilise abondamment le terme. Peut-on alors trouver quelques lumières de ce côté ?

Du côté de l’évangile

Si l’on scrute l’Évangile, le mot communauté n’est pas utilisé pour qualifier le groupe de personnes qui entourait Jésus, mais il y a une certaine légitimité à l’employer dans ce contexte : ce sont des gens qui le suivent et partagent sa vie ; il y a les Douze, groupe bien défini, et les disciples dont pour la plupart on ignore tout.

Au fil des pages, on évoque l’une ou l’autre personne mais on ne trouve pas d’informations qui définiraient les membres de la communauté, pas de rite d’entrée ; rien d’autre que l’attirance d’une Parole qui fait vivre.

Et c’est sans doute là l’une des caractéristiques forte de la communauté évangélique [[Au sens de communauté essayant de vivre selon l’Évangile et d’être témoin de cette Bonne Nouvelle.]] : ce n’est pas un espace clos, circonscrit. La communauté de ceux qui suivent Jésus est ouverte. La foule ne cesse de grossir, on peut entrer ou sortir en toute liberté.

Bien plus, Jésus met en garde contre ce que notre pape François qualifierait de « douane pastorale ». À Jean qui lui dit « Nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’empêcher, parce qu’il ne te suit pas avec nous », Jésus répond : « Ne l’empêchez pas, car celui qui n’est pas contre vous est pour vous » (Lc 9,49-50).

Et tout au long de son ministère public, Jésus se plaît à brouiller les frontières. Il ne cesse de poser des gestes de guérison qui sont autant de gestes de réintégration des exclus dans la communauté sociale. Il restaure des liens d’appartenance, contre l’exclusion. À l’exclu, Jésus ouvre à nouveau le cercle de la société ; au marginalisé, il rend une place dans la communauté.

Grâce à cet acte de Jésus (guérison, entrée en relation…), celui qui est désigné comme hors communauté, qui est mis au ban de la société, découvre dans le geste même que cette désignation est non signifiante. Il est autre chose que ce que l’on désigne, il est quelqu’un et non pas rien.

La communauté à laquelle nous convie Jésus n’est pas une communauté excluante, mais appelante ; non pas une communauté qui sépare mais qui relie ; non pas une communauté homogène où l’on se reconnaît au premier coup d’œil, mais un patchwork coloré d’estropiés et de valides, de pauvres et de riches, de toute couleur et conditions.

Au-delà des particularités et des singularités, ce qui est ainsi posé avec force c’est l’égale dignité de chacun et la proposition de Salut offerte à tous. Et au soir de la résurrection, le Ressuscité rejoint les disciples claquemurés dans le Cénacle pour les envoyer.

Dans nos tentations de repli et nos risques d’enfermement, le Christ ne cesse de faire brèche. La communauté que nous sommes appelés à construire n’est pas un groupe de « happy few »[[C’est-à-dire « quelques heureux privilégiés ».]]. La résurrection que nous annonçons est placée sous le signe d’une humanité réconciliée, d’une communauté aux dimensions universelles vers laquelle nous cheminons.

Mais le chemin est escarpé. Faire communauté ne va jamais de soi. La « concurrence » entre les apôtres et les lettres de Paul ne cessent de nous le rappeler.

Du côté de la pensée sociale de l’église

Dans le droit fil de l’Évangile, la notion de communauté s’inscrit d’emblée sur un horizon de fraternité universelle : « Tous les peuples forment ensemble une seule communauté » (Nostra aetate, n° 1). Mais la pensée sociale décline cette notion, avec insistance, dans des domaines aussi variés que la famille, l’entreprise, la politique, l’Église, l’international… Qu’est-ce à dire ?

Plusieurs principes de la pensée sociale donnent des clés pour penser la communauté aujourd’hui, quel que soit son niveau.

Faire communauté, c’est d’abord porter le souci du bien commun. Le bien commun, c’est le bien du « nous-tous » selon la belle expression de Benoît XVI[[Caritas in Veritate, n° 3]]. ou, pour le dire autrement, le bien de la communion des personnes. Dans un monde pluriel, viser le bien commun, c’est certes viser de façon légitime le bien commun de sa (ou ses) communauté(s) d’appartenance, mais pas seulement.

Pour ne pas glisser vers le communautarisme, il convient de ne jamais perdre de vue le bien commun plus large qui, de proche en proche, est celui de la famille humaine. On ne fait pas communauté aux dépens des autres ou contre les autres. Par ailleurs, le bien commun ne se réduit jamais à la somme des biens particuliers (encore moins des intérêts particuliers !) de chaque communauté.
Pour construire le bien commun, il faut du lien, de « l’inter », de la relation. Il n’est possible de l’atteindre qu’ensemble, parce qu’il y a de « l’entre-nous ».

Pour autant, faire communauté ne peut jamais nier l’individualité des membres. « La personne ne peut être finalisée à des projets, même au nom de présumés progrès de la communauté civile dans son ensemble »[[Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n° 133]].
La communauté ne phagocyte pas la personne mais oblige à se sentir responsable de l’autre – « tous, nous sommes responsables de tous » , disait Jean Paul II[[Sollicitudo Rei Socialis, n° 38.]] – dans le respect de son identité.
C’est vrai des membres d’une famille, c’est vrai en général pour toute communauté jusqu’au niveau international, entre les peuples. La vocation d’une communauté est l’unité, en aucun cas l’uniformité.
Chacun, non seulement garde sa personnalité ou sa culture, mais la communauté doit favoriser son expression, lui permettre de s’épanouir. Faire communauté, c’est ainsi faire rimer solidarité avec subsidiarité. Chacun doit pouvoir contribuer à sa mesure à la vie et au projet de la communauté.
Et parce qu’il n’est jamais facile d’oublier personne, le point de vérification tient dans l’option préférentielle pour les pauvres : est-ce que le plus pauvre a réellement une place au sein de la communauté ?

Faire communauté c’est apprendre à articuler le singulier, le particulier et l’universel. C’est un travail délicat, toujours à remettre sur le métier. Mais c’est un travail essentiel car tout développement de la socialité humaine manifeste en germe le Royaume de Dieu auquel nous aspirons et participe à sa construction…

Marie-Laure Dénès,
dominicaine, Instituts religieux et solidarité internationale

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