Quel vivre ensemble pour aujourd’hui ?
On parle beaucoup aujourd’hui du vivre ensemble… Est-ce une « tarte à la crème » ? Quels que soient les effets de mode, cela correspond en fait à une aspiration profonde. L’image toute simple d’un repas de fête où la famille est réunie malgré ses divisions, parle à beaucoup de gens. Dans sa vie et dans ses paraboles, Jésus de Nazareth a fait une grande place à ces repas partagés, qui sont comme l’anticipation du banquet du Royaume : « Beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux ».
Mais comment avancer vers un tel vivre ensemble ?
Cela suppose de cultiver le goût de la fraternité, avec nos différences. Il s’agit bien de « cultiver » : ce n’est pas naturel ! Pour cela , dépasser des solutions de facilité. Dépasser la simple tolérance, qui peut n’être que de l’indifférence.
Dépasser l’attitude facile qui consiste à caricaturer l’autre, en se contentant de quelques approximations sans avoir vraiment approfondi. Il y a là une forme de paresse intellectuelle. En effet il est onéreux de prendre conscience de ses préjugés en général, d’ailleurs, une tierce personne est nécessaire pour nous ouvrir les yeux ; il s’agit alors de tenter de prendre en compte la manière dont l’autre voit le monde. Tout cela est exigeant, mais vraiment nécessaire pour le vivre ensemble, y compris au quotidien dans un couple, une famille, une communauté…
Sans oublier la vigilance et la responsabilité dans la manière de parler des autres, de relayer des informations ou des prises de positions sur les réseaux sociaux, etc.
Cultiver le goût de la fraternité et du vivre ensemble est exigeant, certes, mais passe aussi par des petits gestes de la vie de tous les jours.
Par exemple, des gestes de solidarité, qui reposent sur la confiance que nous appartenons tous à la même humanité. En déshumanisant l’autre, on se déshumanise soi-même. En revanche un geste de respect et d’entraide fait du bien à tout le monde, et fait circuler la vie !
Cela suppose une éducation, un entraînement au partage, à la manière de vivre les conflits… Peu à peu on prend goût à tisser des liens d’amitié. Mais ne rêvons pas ! Non seulement ce n’est pas toujours facile, mais en outre les extrémistes de tous bords ne voient pas d’un bon œil les tentatives pour construire des ponts entre les gens. Ils cherchent alors à détruire les ponts et ceux qui les construisent… Être artisan de paix, c’est s’exposer souvent à subir la violence. Il y a un prix à payer. Certains l’ont payé de leur vie, comme Gandhi, Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin, Mgr Romero… Sans oublier Jésus de Nazareth !
C’est donc une véritable force intérieure qui est requise, quand le travail de la fraternité et de la paix fait aller à contre-courant de ce qui se vit autour de soi. Cette force est de l’ordre de la liberté intérieure : elle permet de tenir debout, dans la fidélité à ce à quoi on croit, sans céder à la peur du qu’en dira-t-on ou à la pression du groupe.
Des initiatives de réconciliation et de paix
Regardons par exemple la démarche de chrétiens engagés au service de la réconciliation et de la paix. Ainsi David Neuhaus, jésuite israélien, et inspiré par Nelson Mandela : « Nous avons besoin de réaliser à quel point notre langage, ici, est imprégné du mépris pour l’autre, des deux côtés. Changer ce discours est pour moi la première condition d’un vrai dialogue (…). Le rêve de Nelson Mandela, c’était celui d’une Afrique du Sud où l’on ne regarde plus un homme en fonction de la couleur de sa peau. Mon espoir, c’est de convaincre la population de cette terre de ne pas juger un homme selon qu’il est musulman, juif, israélien ou palestinien. Mandela a pu voir de son vivant la réalisation de son rêve. Espérons que nous aussi… »[[Entretien dans La Croix, 11 décembre 2013]].
De manière plus modeste, des associations en France travaillent dans le même sens. L’accueil sans condition qu’elles réservent à des gens venant de tous horizons suscite souvent un étonnement heureux : des barrières intérieures tombent, des peurs se dissipent ; chacun se sent reconnu comme un être humain à part entière, sans que son appartenance religieuse ou ethnique, qui est sans doute un élément important de son identité, ne devienne un marqueur excluant. [[Cf. G.Comeau, S’asseoir ensemble, Mediaspaul, 2015, p. 26.]]
Avancer vers un vivre ensemble fraternel demande aussi de regarder en face les inégalités économiques et les injustices structurelles qu’elles peuvent engendrer. Dans l’encyclique Laudato Si’ sur la sauvegarde de la maison commune, le pape François cherche à susciter une telle prise de conscience : les exclus sont exclus également des processus de décision et de mise en oeuvre, dénonce-t-il (n° 49). Cela ne peut que renforcer les barrières entre les humains, entre les pays. Le surdéveloppement et le gaspillage des uns va de pair avec la misère déshumanisante des autres (n° 109), et le pire est l’indifférence qui en résulte !
L’importance du pardon
Aller vers un vivre ensemble heureux suppose donc, non seulement le respect des différences, mais aussi le sens de notre commune humanité. Ces deux attitudes sont indispensables et complémentaires. La première suppose de sortir de soi, de prendre acte que l’autre voit le monde d’une autre manière que moi. Avec la deuxième attitude, l’autre est accueilli comme un humain à part entière, dont je peux apprendre et recevoir quelque chose.
Pourtant il n’est pas toujours facile de s’inscrire dans ce double mouvement. C’est ici que le pardon est nécessaire, dans une vie familiale ou communautaire. Le propre du pardon est d’ouvrir un avenir : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus », dit Jésus à la femme adultère[[Jean 8, 11]]. Cette parole ouvre à la femme un avenir et une espérance. Elle n’est pas purement et simplement identifiée à ce qu’elle a fait. Jésus la « délie de son acte », comme dit Paul Ricoeur : ainsi il la libère, lui fait confiance et lui ouvre un avenir possible.
Cette ouverture de l’avenir vaut pour tous les protagonistes (celui qui pardonne comme celui qui est pardonné). Mais pour cela il faut prendre du temps ; pas de précipitation ; un pardon accordé à la hâte n’est pas fécond. Le temps nécessaire à la maturation du pardon permet aussi de sortir du rêve de relations idéales, et d’accepter que nos relations soient marquées par la pauvreté et la fragilité.
Si le pardon est possible, bien que difficile, à l’échelle interpersonnelle, qu’en est-il à l’échelle d’une société ? Blessures, incompréhensions, colère, frustrations… peuvent exister ; on ne parlera pas alors de « pardon », car à qui s’adresser ? Mais il est très important de mettre en place des espaces de rencontre et de mixité sociale, comme ces résidences d’Habitat et Humanisme, où peuvent se côtoyer des gens venant d’horizons divers, des enfants et des personnes âgées, etc.
Quant au dialogue interreligieux, en particulier avec les musulmans, il est fort malmené aujourd’hui, et même soupçonné. Pourtant souvenons-nous que dialoguer ne veut pas dire faire des compromis, mais rencontrer l’autre, écouter, et aussi parler, rendre témoignage de sa foi de manière simple et existentielle. Le dialogue interreligieux doit traiter de questions concrètes : quelle place est faite à l’autre différent ? Comment promouvoir la liberté religieuse ? Comment lutter contre les racines de la violence ?
La vocation des communautés chrétiennes aujourd’hui est de proposer des raisons de vivre qui fassent sens, qui soient prometteuses, qui aillent plus loin que la consommation de quelques biens. Dans une société fragmentée, où des ghettos se reconstituent, les chrétiens sont appelés à participer à une manière de vivre ensemble, en travaillant avec d’autres dans les domaines importants que sont l’éducation des jeunes, la fin de vie et le vieillissement, l’économie sociale et solidaire, l’accueil de l’autre dans une société multiculturelle et multi-religieuse, etc. Dans toutes ces questions les communautés chrétiennes ont une réelle compétence, et peuvent par là promouvoir une culture de la fraternité.
Geneviève Comeau,
xavière, professeur de théologie au Centre Sèvres
En libraire
S’asseoir ensemble, les religions source de guerre ou de paix ?
Geneviève Comeau,
Préface d’Étienne Grieu – 16 €, 136 pages.
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