Libanaises et syriennes apprennent à vivre ensemble
Depuis qu’elle a commencé en mars 2011, la crise syrienne a entraîné l’exil de plus de 4 millions de réfugiés. Plus de 1,5 million de Syriens ont trouvé refuge au Liban, où ils représentent désormais plus d’un quart de la population. Cet afflux massif exacerbe les tensions entre population hôte et réfugiés.
Afin d’améliorer le quotidien de tous, Libanais et Syriens, une initiative soutenue par le CCFD-Terre Solidaire a été proposée à six villages. Depuis le début de l’été 2014, du Sud Liban à la plaine de la Bekaa en passant par le Akkar, trois partenaires du CCFD-Terre Solidaire, le Mouvement social libanais (MSL), Fair Trade Lebanon et Mada développent un projet d’appui qui vise à améliorer les conditions de vie socio-économiques des populations et à apaiser les tensions liées à l’importante présence des réfugiés.
Au Sud Liban
Un youyou a fusé, repris par une douzaine de femmes. C’est Rokaïa, une réfugiée syrienne originaire de Damas, qui, la première, a lancé le cri de joie pour fêter Myriam, libanaise et toute jeune épousée. Nous sommes dans le Sud Liban, à Kfar Tebnit, un village agricole chiite, de 13 500 habitants accueillant 1 457 Syriens chassés par la guerre. Il y a encore six mois, Rokaïa, traumatisée par une précédente expérience d’installation à Beyrouth, n’osait s’adresser aux gens du village. Depuis, elle participe aux ateliers de transformation alimentaire avec les membres de la coopérative féminine du village dans le cadre du projet soutenu par le CCFD-Terre Solidaire. « Je loue une pièce humide en rez-de-chaussée avec mes quatre enfants et mon mari. C’est difficile, mais au moins maintenant, je me sens mieux intégrée. À Beyrouth, les gens me regardaient comme si j’allais importer la guerre dans leurs familles », confie-t-elle.
Fadwa Zahraman, responsable de production à la coopérative de Fnaideq :
« On a acquis beaucoup de nouvelles informations qui ont aidé à améliorer notre performance, de plus l’intégration des femmes syriennes dans la coopérative a apaisé les tensions entre les familles. Ce projet a rapproché les gens et nous a aidées à résoudre nos problèmes quotidiens d’une façon rationnelle tout en communiquant avec l’autre. »
Ce jour-là, la tête couverte de charlottes en plastique et les mains gantées conformément aux dispositions d’hygiène qu’elles ont apprises, les femmes ont préparé un gargantuesque mezze. Les deux Syriennes du groupe expliquent comment elles écrasent les ingrédients tandis que les Libanaises les coupent ! « Au début, les Libanaises adoptaient une attitude un peu condescendante, se souvient une observatrice. Jusqu’au jour où les Syriennes ont livré un secret pour éviter que les aubergines farcies ne moisissent ». Ce partage de savoir faire autour de la cuisine, activité essentielle dans les deux cultures, a fait fondre la glace. «Toutes, en amont, avaient participé à des réunions de médiation interculturelle.À partir de jeux de rôle, on travaille sur le regard, le ton, l’attitude pour faire prendre conscience des territoires de chacun. Mieux identifier les différences respectives permet d’éviter les malentendus», explique Charlotte, 35 ans, assistante sociale du MSL, formatrice et médiatrice au sein du projet.
Si l’atelier cuisine résonne de rires et de cris, une atmosphère studieuse règne dans la pièce à côté. «Attention à ne pas faire saigner la cliente, prévient la formatrice en esthétique et coiffure. N’enlevez pas toute la peau, il faut que l’ongle respire ». Trois fois par semaine pendant six mois, elle enseigne la manucure, le soin du visage ou le brushing à 25 Syriennes et Libanaises entre 16 et 23 ans. Chacune a participé auparavant à une initiation à la communication et au dialogue. Mêler ainsi la formation professionnelle à la médiation est l’une des forces du projet.
Nada Osman, responsable des comités de femmes et membre du CMT à Hrar :
« Ce projet nous a aidées comme étant des femmes à être plus organisées, aussi maintenant au niveau du CMT on connaît tous les Syriens et on travaille auprès de la municipalité à les aider selon nos capacités. On vit maintenant ensemble et on pense toujours à eux en les intégrant dans toutes les activités. »
À peine sortie du cours d’esthétique, Hadil, une réfugiée syrienne, a rejoint les autres membres du « comité territorial mixte ». Un groupe de 11 personnes où se retrouvent jeunes et adultes, femmes et hommes, Libanais et Syriens, élus et citoyens. Leur rôle : dialoguer pour atténuer les tensions et proposer des projets de développement au conseil municipal. Les idées foisonnent : stage de photo, centre aéré, fresque réalisée par des artistes locaux… « OK, mais il faudra évaluer leur talent », précise la « greffière » du comité avec humour. Ne reste qu’à budgéter l’ensemble avant de le proposer au maire. « Profitons-en, les élections municipales ont lieu en 2016 ». Éclat de rire. La séance est presque terminée lorsque la jeune Hadil prend la parole pour proposer un atelier d’alphabétisation. « C’est moi qui prendrai le premier cours ». Derrière l’autodérision perce le courage de cette étrangère dévoilant au groupe, devant des hommes, cette faille si intime. L’assistante sociale est bluffée. « Il y a quelques semaines encore, Hadil était très négative, agressive ».
La Bekaa, village grec-catholique
À Fourzol, village grec-catholique de la Bekaa, les 1 000 à 1 500 Syriens vivent sous tentes. Ce bourg de 10 000 habitants est installé sur les flancs d’une colline séparée des campements par la grand-route au milieu des vignes. Pour encourager le vivre ensemble à Fourzol, une dizaine de Syriennes sont invitées à participer aux activités de la coopérative soutenue depuis 2008 par Fair Trade Lebanon, partenaire local. Celle-ci remet au goût du jour, le mouneh traditionnel (la confection de réserves pour l’hiver) : sirop de rose, confiture d’orange, feuilles de vigne en saumure… vendus localement ou à l’export. Najah, 38 ans, six enfants, vient d’Alep : « On a quitté la Syrie, en pensant que la crise ne durerait que quelques jours. Mais les combats ont commencé et notre maison a été détruite. » Encore sur la réserve, les Syriennes sont invitées de temps à autre par les Libanaises de Fourzol à l’occasion d’un sobhieh : ces réunions matinales de « papotage » autour d’un café.
Le Akkar, à la frontière de la Syrie
Le Akkar, région du Nord Liban, frontalière de la Syrie, est historiquement marginalisé : 60 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, le taux d’analphabétisme, 30,5 %, y est le plus élevé du pays, le chômage endémique pousse de nombreux jeunes vers l’armée. Avec le temps et les difficultés économiques croissantes, la solidarité avec les 110 000 réfugiés syriens vivant dans le Akkar s’amenuise. L’ancrage de Mada, présente depuis dix ans dans la région et les liens noués avec les maires, les cheikhs, les familles, ont permis de rassurer les uns et les autres et de promouvoir des initiatives concrètes dans les trois villages sélectionnés.
Hala, assistante sociale dans le cadre du projet a choisi d’intervenir dans les écoles. « Aujourd’hui, les mères libanaises ou syriennes parlent plus spontanément de leurs soucis, des problèmes de comportements de leurs enfants. La guerre et l’exil laissent des traces… ». Des groupes de paroles thématiques animés par la psychologue Jacqueline offrent un autre espace de dialogue aux familles.
Ainsi, depuis un an, s’acclimatant à chaque fois aux spécificités du terrain, le projet d’appui aux populations hôte et réfugiée prend forme. Les initiatives lancées semblent bien enracinées pour croître au-delà des trente mois prévus. Et peut-être essaimer, dans bien d’autres villages.
Nathalie Bontemps
Journaliste
À la radio
RCF consacrera une émission Le Temps de le dire à l’engagement du CCFD-Terre
Solidaire et de ses organisations partenaires pour un meilleur vivre ensemble.
À écouter en direct sur RCF, au cours de la semaine du 7 au 11 mars 2016 ou en podcast sur rcf.fr
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