Evasion fiscale : la Commission européenne transpose BEPS…parfois a minima
La Commission européenne a proposé aujourd’hui un nouveau « paquet » de mesures pour lutter contre l’évasion fiscale (« Anti Tax Avoidance Package »). Il ne s’agit pourtant que de la transcription d’une partie du plan BEPS de l’OCDE[[Plan d’action en 15 points pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices des entreprises multinationales (en anglais BEPS Base erosion and profit shifting).]] conclu en novembre dernier lors du G20 à Antalya. La Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, coordonnée par le CCFD-Terre Solidaire, en avait déjà pointé les insuffisances.
Après le scandale du Luxleaks, la Commission européenne avait déclaré que la lutte contre l’évasion fiscale serait l’une de ses priorités et que l’Union européenne se devait de jouer un rôle exemplaire. Or, ses propositions manquent d’ambition, notamment en privilégiant certaines des options les plus minimalistes du plan BEPS.
Plusieurs points sont particulièrement préoccupants :
La transparence ? ce n’est pas pour maintenant…
La proposition de la Commission contient l’introduction d’une obligation de reporting pays par pays à seule disposition des administrations fiscales et qui ne concerne que les très grandes entreprises européennes[[C’est-à-dire que ces dernières seront obligées de transmettre aux administrations fiscales seulement des informations concernant leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices, leur nombre d’employés et surtout les impôts effectivement payés dans chacun des pays où elles sont implantées.]] (750 millions d’euros de chiffre d’affaires). Le fait de rendre publiques certaines de ces données n’est pas complètement éludé, mais est remis à plus tard.
Pour Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer financement du développement au CCFD-Terre Solidaire « il est extrêmement dommage que la Commission se soit précipitée pour transcrire le reporting non-public alors que des discussions sont toujours en cours au sujet du reporting public et que le Parlement européen s’est déjà prononcé quatre fois en sa faveur. On prend le risque de voir les Etats membres de l’UE s’en contenter. Il est pourtant nécessaire que chacun ait accès à ces données pour que cette mesure soit efficace».
Le risque d’une course au moins-disant fiscal
La Commission propose une uniformisation de certaines règles pour décourager les entreprises de transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Ces règles concernant les filiales, connues sous le nom de règles SEC (Sociétés étrangères contrôlées), doivent permettre aux Etats membres de taxer des revenus réalisés par leurs entreprises dans des juridictions à fiscalité faible. Or, la Commission ne propose pas de définition uniforme de ce qu’est une juridiction à fiscalité faible (cela dépend du taux d’imposition dans chacun des pays) ; elle risque même d’accélérer la course au moins-disant fiscal qu’on observe déjà en Europe.
« Les règles SEC proposées par la Commission européenne sont moins exigeantes que les règles qui existent actuellement en France. Par ailleurs, aucune analyse des potentiels effets pervers de cette proposition n’a été réalisée», regrette Lucie Watrinet.
Transferts de bénéfices : le choix d’un encadrement a minima des paiements d’intérêts
Le transfert de bénéfices via le paiement d’intérêts (déductibles d’impôts) au sein d’une même entreprise est une méthode connue pour échapper à l’impôt ; les entreprises en ont largement abusé en s’endettant auprès de leurs filiales situées dans des paradis fiscaux. Pour limiter ces abus, l’OCDE avait proposé que les déductions d’intérêts d’une entreprise soient comprises entre 10 et 30 % de ses bénéfices[[Ces bénéfices sont ce qu’on appelle les EBITBA en anglais : bénéfices avant impôts, intérêts et amortissements.]] , ce qui était déjà insuffisant. Or, la Commission a fait preuve d’un véritable manque d’ambition en choisissant la fourchette haute (30%).
Des critères pour une nouvelle liste des paradis fiscaux qui excluent de facto les pays de l’UE
La Commission propose de développer des critères pour définir une nouvelle liste européenne de paradis fiscaux. S’il s’agit d’une avancée par rapport à la liste publiée en juin dernier, les Etats membres de l’UE sont toujours assurés de ne pas y figurer.
« Qu’en est-il de l’Irlande, des Pays Bas ou du Luxembourg, qui ont récemment été au cœur de nombreux scandales ? », s’interroge Lucie Watrinet. « Par ce traitement différencié, l’Union européenne risque d’être accusée, à raison, de protéger ses paradis fiscaux », poursuit-elle.
Evasion fiscale dans les pays en développement : une reconnaissance, mais pas de mesures concrètes
La Commission reconnait que les « politiques fiscales [de l’UE] peuvent avoir des effets négatifs sur les pays tiers », notamment via les conventions fiscales bilatérales, ainsi que la nécessité de veiller à les limiter. Il s’agit là d’un signal positif mais le CCFD-Terre Solidaire regrette que cela ne s’accompagne pas de propositions concrètes pour réduire ces effets.
« Cela fait longtemps que nous dénonçons l’impact de l’évasion fiscale des entreprises sur les pays en développement. L’Union européenne ne peut pas se contenter de prendre quelques mesures pour protéger ses propres bases fiscales, elle doit se montrer responsable et s’assurer que ses propres règles ne siphonnent pas les ressources de pays les plus pauvres », déclare Lucie Watrinet.
Pour une analyse détaillée des mesures de la Commission européenne lire la note de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires
Contact presse : Karine Appy, 01 44 82 80 67 – 06 66 12 33 02
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