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En Colombie, une commission pour faire la vérité sur le conflit- Francisco De Roux

Publié le 01.01.2018| Mis à jour le 08.12.2021

Responsable de la communauté jésuite de Colombie depuis 2008, ancien directeur du Cinep/PPP, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, Francisco De Roux a été nommé, en novembre 2017, président de la Commission de vérité, chargée de faire la lumière sur les violations des droits humains durant le conflit armé. Entretien.

Né en 1943 à Cali, en Colombie, ordonné prête en 1975, Francisco De Roux devient directeur du Cinep/PPP en 1986. En plein conflit, il crée, avec le soutien du CCFD-Terre Solidaire, le Programme de développement et paix dans la région du Magdalena Medio. Son objectif ? Accompagner et financer, à travers des crédits coopératifs, des projets d’économie paysanne et de développement durable, pour permettre notamment le retour des déplacés.

Faim et Développement : Quel sentiment vous a laissé la visite du pape François en Colombie du 6 au 11 septembre 2017 ?

Francisco De Roux : Cette visite nous a consolés ! Elle nous a laissé un profond sentiment de foi et d’espoir en un futur pour la Colombie. Le pape François nous a rassemblés et nous a montré que, loin de la politique politicienne et de la polarisation qui existe aujourd’hui dans le pays, il faut penser ensemble à la construction d’une nation.

Il nous a montré que nous devions nous pardonner, nous réconcilier et nous accepter les uns les autres.

Mais il ne s’est pas limité à des paroles. Il a accueilli des victimes et a écouté avec attention leurs témoignages et leur souffrance. Il a aussi rencontré ceux qui ont commis des violences, que ce soit des anciens guérilleros des Farc, des paramilitaires ou des militaires. Il a fait tout cela pour nous donner un exemple de ce que nous devons faire en Colombie aujourd’hui. Pour montrer que la paix doit être un objectif de toute la nation. Et que nous tous, chacun avec nos différences, nous devons construire cette paix.

Lire aussi : La paix en marche en Colombie

Vous évoquez le pape comme un guide pour la population colombienne. Or, une majorité de Colombiens ne croient pas à une paix stable et durable…

F. De Roux : C’est parce que la polarisation dans le pays est énorme ! Le problème actuel n’est pas entre le gouvernement et les guérilleros. Les Farc ont déposé les armes et se sont convertis en parti politique. Certes, tout n’est pas parfait. Il y a des choses que l’ex-guérilla et le gouvernement s’étaient engagés à faire et qui n’ont toujours pas été accomplies à ce jour.

Le problème de la société colombienne aujourd’hui, c’est le traumatisme social lié aux inégalités et à l’exclusion.

C’est à cause de cela qu’il y a cette polarisation autour de la paix. Et c’est pour cela aussi que la visite du pape François a été importante. Nous avions besoin qu’une personne extérieure, avec une autorité morale, vienne nous aider à surmonter cette division. Je ne dis pas que la polarisation est terminée. Mais j’ai l’impression qu’il y a une sorte d’élan et d’enthousiasme, qui peuvent nous permettre de surmonter la situation.

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Quel doit être le rôle de l’Église dans l’application des accords de paix ?

F. De Roux : Nous devons continuer à accompagner les victimes et nous engager également pour que la société accepte les gens qui ont fait la guerre : les guérilleros, les paramilitaires et les autres. Il nous faut accompagner la Commission de la Vérité pour que toute la vérité soit faite. Pas dans un esprit de vengeance, mais afin de comprendre les raisons pour lesquelles la haine et la violence se sont immiscées parmi nous, et ce que nous pouvons faire ensemble pour reconstruire le pays. C’est une question très spirituelle.

Plus que religieuse, c’est une question d’humanité.

L’objectif est de comprendre la profondeur de la dimension humaine, la nécessité d’aller au plus profond de nos cœurs et de nos histoires. C’est à partir de là qu’il faut reconstruire. Il nous faut aussi préparer un récit de cette partie de l’Histoire de la Colombie.

En quoi la Justice spéciale de la paix (JEP) peut-elle aider à la réconciliation ?

F. De Roux : Tous ceux qui ont été impliqués dans le conflit doivent réparer. C’est indispensable pour qu’il ne subsiste pas un sentiment d’impunité en Colombie. Pour autant, nous ne voulons pas d’une justice punitive, mais bien d’une justice restauratrice qui permette à ceux qui ont été impliqués, non pas d’être emprisonnés, mais de payer pour les coûts qu’ils ont occasionnés. Par exemple, les plus jeunes qui ont rejoint les groupes de guérilleros pourraient travailler dans le développement agraire. Pour cela, ils devront être formés de manière très rigoureuse. La justice restauratrice sera plus difficile pour les responsables qui devront certainement subir certaines privations de liberté, mais pas forcément en prison.

Cette justice peut-elle aider à la construction de la mémoire ?

F. De Roux : La mémoire est un point central de cette justice restauratrice. Premièrement, c’est le moyen de comprendre le mal que nous nous sommes fait les uns les autres. Deuxièmement, s’il n’y a pas de vérité – et la mémoire apporte la vérité – il est absolument impossible d’imaginer une réconciliation des victimes avec leurs bourreaux, puis le pardon. Troisièmement, la mémoire est nécessaire pour pouvoir accepter les responsabilités. Sans clarifier ce qui a été fait et sans établir les responsabilités, il est très difficile d’avancer. Cela ne signifie pas que tout le monde doive être mis sous les verrous. Mais ces mesures sont indispensables pour qu’il n’y ait pas de répétition, pour que l’horreur et la barbarie demeurent dans les mémoires et qu’elles ne recommencent plus jamais.

Lire aussi : Toujours victimes de violences, les Colombiennes reprennent leur destin en main

Quelle est l’importance du pardon dans la reconstruction de la société colombienne ?

F. De Roux : Le pardon est absolument nécessaire. Dans de nombreux processus de paix dans le monde, le processus de conciliation et de réconciliation politique a suffit. En Colombie, non. Ici, les haines sont très profondes, tout comme les appétits de vengeance. Mais il existe deux pardons qui se complètent. D’abord, le pardon civique, qui est le pardon civil, à travers la justice, pour que nous puissions avoir un futur. Ensuite, le pardon chrétien, parce qu’ici, les traditions chrétiennes sont très profondes. Il se base sur le fait que nous avons tous été pardonnés par Dieu.

Nous devons à notre tour pardonner et demander pardon. Y compris l’Église.

Qu’est-ce qui doit changer pour que la paix soit effective ?

F. De Roux : Lors de mon expérience dans le Magdalena Medio, j’ai observé que les régions en guerre étaient contrôlées par la mafia, les militaires, les politiciens et les administrations. La leçon que j’en ai tirée, c’est qu’il ne faut pas laisser la paix entre les mains des politiques ! Encore moins leur confier la gestion de l’argent destiné à la réconciliation. Ils risqueraient de l’utiliser pour leur profit personnel et pour leurs campagnes politiques, entretenant ainsi la corruption qui ronge déjà le pays.

Il est donc important que les organisations de la société civile travaillent ensemble et discutent, de manière transparente, sur la façon de changer le pays.

Mais je pense que le changement est d’abord spirituel. Car le conflit a été avant tout le fracas de la dignité humaine. C’est l’être humain qui a été détruit. Et ça, c’est une crise spirituelle. Or, le problème de la spiritualité commence en nous. Dans les relations entre nous. Dans l’inclusion et la justice sociale.

Propos recueillis par Jean-Claude Gérez

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