Actions nationales

Publié le 27.03.2009| Mis à jour le 08.12.2021

Au plan national, nous engageons d’ores et déjà une série de rendez-vous avec les partis politiques suivants. Nous cherchons à les convaincre de reprendre nos propositions dans les programmes électoraux qu’ils porteront à l’occasion des élections. Nous allons donc leur présenter notre campagne, mais aussi les informer des actions que les bénévoles du CCFD-Terre solidaire sont susceptibles de conduire auprès des candidats des différentes listes sur chaque circonscription.

Concrètement, nous nous organisons pour le plaidoyer national de manière collective avec Oxfam France-Agir Ici mais aussi avec les Amis de la Terre qui porte une campagne assez semblable à la notre.

Pourquoi avoir lancé une campagne sur la responsabilité sociale des entreprises à l’occasion des élections européennes ?

Nous sommes une organisation de solidarité internationale et nos partenaires dans les pays du Sud, qui sont des organisations de la société civile, nous alertent régulièrement sur l’impact de plus en plus important et souvent négatif des multinationales sur les populations locales.
Par exemple au Pérou, dans la région de la Oroya, la société civile, sous l’impulsion de Mgr Barreto, s’est inquiétée auprès de nous des conséquences environnementales et sociales de l’exploitation minière par des multinationales. Même schéma en Indonésie, le développement des plantations de palmiers à huile provoque un désastre écologique et social. Au rythme actuel de la déforestation, 1,9 millions d’hectares par an, 98% des forêts indonésiennes auront disparu en 2022 [[Estimation du Programme des Nations-unies pour l’Environnement]]. Pour les petits paysans, la rentabilité économique des plantations de palmier à huile s’avère désastreuse : un paysan Indonésien mettra environ 18 ans pour rembourser la dette contractée à un taux d’intérêt de 30% auprès de l’entreprise privée auquel il s’est vu obligé de s’associer en coopérative [[Ce schéma consiste à associer, en coopérative, une entreprise privée qui gère la plantation principale et l’usine de traitement des fruits, avec des paysans établis sur de petites parcelles périphériques de 2 hectares, auxquels l’entreprise fournit semences, engrais et machines agricoles. A charge pour eux de rembourser la dette ainsi contractée auprès de l’entreprise privée, entre 3 et 6.000 $US à un taux d’intérêt de 30%. Avec des salaires de l’ordre de 2,50 $US par jour dans la plantation principale en attendant la croissance de leur propre parcelle, le remboursement mettra en moyenne 18 ans, comme l’estime le Dr Lisa Curran de l’Université de Yale dans une note prospective du CCFD-Terre solidaire.]]. En passant d’une agriculture de subsistance à une monoculture marchande dont ils ne maîtrisent pas les techniques, les peuples Dayaks d’Indonésie voient s’accomplir le déclin de leur habitat traditionnel. Certes, ces situations relèvent aussi de responsabilités locales (gouvernements et élites, entreprises…) dans ces pays. Mais les multinationales pèsent lourdement sur les choix de ces élites locales, et profitent largement de situations qui leur permettent d’accaparer des richesses de manière inacceptable, sans générer de réels bénéfices pour les populations locales. Aujourd’hui, l’évasion fiscale des multinationales représente un manque à gagner de plus de 125 milliards d’euros/an pour les pays du Sud. Plus de 3X l’aide publique au développement reçue des pays riches selon l’ONG britannique Christian Aid. Il est temps d’en finir !

Or, bien que nombre de ces multinationales soient basées en Europe ou y aient des activités importantes, aucun outil n’oblige ces entreprises à changer de comportement. Sans personnalité juridique sur le plan international, les entreprises transnationales échappent à l’application directe du droit international.

Quel est l’objectif de votre campagne ?

Nous voulons faire progresser la régulation des multinationales afin de renforcer leurs responsabilités sociale, environnementale et fiscale (RSEF, un nouveau concept intégrant trois aspects de nos revendications depuis des années).
Le moyen : obtenir que l’Union européenne mette en place un cadre législatif pour combler les vides juridiques en matière de transparence et de responsabilité des multinationales. Il faudrait notamment que la responsabilité des maisons mères soit engagée pour les violations commises par leurs filiales dans les pays du Sud en matière d’environnement, de fiscalité, ou de droits sociaux et humains.
Il est possible de définir des règles du jeu permettant de rétablir les équilibres entre intérêt privé et intérêt général, entre profit à court terme et développement durable. C’est l’objectif de cette campagne.
Nous nous adressons au Président de la République en lançant une pétition, afin qu’il pousse le Conseil et la Commission européenne sur ces sujets. Nous interpellons aussi les candidats aux élections européennes notamment en leur demandant de signer une déclaration d’engagement reprenant nos 5 propositions et en les auditionnant dans le cadre de débats publics organisés par nos équipes locales.

Quelles sont vos demandes ?

Nous ne demandons rien d’extravagant, il n’y a pas de scoop derrière nos propositions. Celles-ci sont le fruit d’un travail cohérent avec nos partenaires du Sud, et avec des réseaux tels que le Tax Justice network, ECCJ (European Coalition for Corporate Justice) et le Forum citoyen pour la RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises. Nous demandons simplement une meilleure régulation des entreprises multinationales en particulier concernant leurs activités dans les pays du Sud. De nombreux États de l’Union européenne dont la France ont déjà pris des mesures en ce sens notamment dans le cadre de la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) [[Publiée au Journal Officiel le 15 mai 2001, la loi sur les Nouvelles régulations économiques appelée plus communément, loi NRE, instaure que les sociétés françaises cotées présentent, dans le rapport de gestion annuel, parallèlement à leurs informations comptables et financières, des données sur les conséquences environnementales et sociales de leurs activités. La loi NRE est entrée en vigueur par un décret en date du 20 février 2002 et s’applique à partir du 1er janvier 2003, depuis les exercices ouverts à partir du 1er janvier 2002]] mais un cadre européen harmonisé fait défaut. C’est pourquoi, nous souhaitons obtenir une régulation contraignante des multinationales.

Nos propositions sont les suivantes :
– Elargir la responsabilité des sociétés mères aux activités de leurs filiales, afin de lutter contre l’impunité des sociétés mères quant aux impacts humains et écologiques de ces filiales.
– Demander aux entreprises d’exercer leur devoir de diligence auprès de leurs sous-traitants et fournisseurs afin de prévenir les risques sociaux et environnementaux.
– Exiger des entreprises la publication d’un rapport sur les impacts sociaux, environnementaux et en termes de respect des droits humains de leurs activités.
– Réviser les normes comptables internationales pour exiger des multinationales qu’elles rendent compte, dans chaque pays où elles opèrent, de leurs activités, de leurs bénéfices et des impôts qu’elles paient.
– Créer un registre européen permettant d’identifier les propriétaires et bénéficiaires véritables de chaque entité juridique créée, afin de mettre fin aux structures opaques des paradis fiscaux (en éliminant les sociétés écrans du territoire européen et des territoires d’outre-mer).

Ces 5 propositions sont indissociables dans la mesure où elles permettent dans leur ensemble de donner un cadre de référence à l’engagement sociétal des entreprises européennes dans les pays du Sud.

Quel bilan faîtes-vous du G20 ?

Le Groupe des 20 (ou G20), forum économique créé en 1999 pour répondre à la succession des crises financières des années 1990, vise à favoriser la concertation internationale, en intégrant le principe d’un dialogue élargi tenant compte du poids économique croissant pris par un certain nombre de pays [[Le G20 compte en fait 19 pays (Allemagne , Afrique du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, et le 20ème membre est l’Union européenne, représentée par le Président du conseil et celui de la Banque centrale européenne. (Source : Wikipédia)]]. Ces pays représentent les deux tiers du commerce et de la population mondiale, et plus de 90 % du produit mondial brut (somme des PIB de tous les pays du monde).
Les membres du G20 sont représentés par leurs ministres des finances et par leurs directeurs des banques centrales. Participent également le FMI, la Banque Mondiale…
Le G20 tient en principe un Sommet tous les ans : celui du 15 novembre 2008 à Washington était exceptionnel, face à la crise financière. Et le sommet du G20 à Londres le 2 avril s’est tenu également dans des conditions exceptionnelles, puisqu’il a rassemblé les chefs d’Etat, et non les ministres des finances et les directeurs des banques centrales (qui se sont réunis dans un G20 « régulier » à la mi-mars, toujours à Londres).

G20 déjà tenus :
– 1999 : Berlin, Allemagne
– 2000 : Montréal, Canada
– 2001 : Ottawa, Canada
– 2002 : New Delhi, Inde
– 2003 : Morelia, Mexique
– 2004 : Berlin, Allemagne
– 2005 : Pékin, Chine
– 2006 : Melbourne, Australie
– 2007 : Le Cap, Afrique du Sud
– 2008 : São Paulo, Brésil
– 2008 : (15 novembre) Washington, États-Unis
– 2009 : (2 avril) Royaume-Uni
Prochains G20 prévus :
– 2010 : Nairobi, Kenya
– 2011 : Nouvelle-Zélande
– 2012 : Royaume-Uni
– 2013 : Bali, Indonésie
– 2014 : Jeddah, Arabie Saoudite
(Source : wikipédia)

En réponse aux mesures prises par le G20 :
Nous estimons que le problème reste entier pour les pays du Sud. Pour le CCFD-Terre Solidaire, qui demande de longue date une liste exhaustive des paradis fiscaux, les listes de l’OCDE publiées à l’issue du G20 relèvent plus du compromis diplomatique que de l’évaluation objective. Pour le CCFD-Terre solidaire, le principe même de dresser plusieurs listes est bienvenu, car les paradis fiscaux n’ont pas tous la même dangerosité. Ces différentes listes peuvent encourager chaque territoire à améliorer ses pratiques pourvu qu’elles s’accompagnent de mesures graduelles de sanction.

Toutefois :
– Les pays pauvres laissés pour compte.
– Pour figurer sur la liste blanche de l’OCDE, qui regroupe 30 pays riches, il suffit de signer des conventions fiscales d’échange d’information avec 12 pays. Autrement dit, une fois que la France, l’Allemagne et les principaux pays riches auront obtenu les informations qu’ils veulent, les paradis fiscaux seront considérés comme fréquentables ! Les pays en développement, qui voient chaque année 900 milliards de dollars s’envoler illicitement vers les paradis fiscaux, peuvent toujours attendre.
– Le fait de mettre Jersey, la Barbade ou l’île Maurice sur la liste blanche et d’épargner Hong-Kong, la City de Londres ou l’Etat du Delaware aux Etats-Unis enlève toute crédibilité à l’exercice.
– Les critères de l’OCDE sont incomplets
– Les critères de coopération fiscale de l’OCDE sont incomplets. Ils focalisent sur le secret bancaire, qui est un vrai problème, mais oublient que l’opacité peut prendre d’autres formes (trusts, fondations…). Ils exigent l’échange d’information « à la demande », et non de façon automatique (comme le prévoit la directive européenne sur l’épargne). Ce modèle est peu efficace : liée aux Etats-Unis par ce type de convention depuis 2005, Jersey n’a accepté de renseigner l’administration fiscale américaine que dans 4 cas, qui étaient déjà de notoriété publique.

Point de vue plus général :
Au-delà de mesures partielles de régulation du système financier, et d’une vague relance de l’économie, l’agenda du G20 aurait dû réexaminer un modèle économique éreinté. La sortie de crise nécessite de réfléchir à de nouvelles pistes de croissance, plus justes et plus vertes, et surtout à la redistribution de cette croissance. Il faut couper court aux stratégies d’organisation qui contournent l’impôt et mettre en place une croissance durable plaçant l’homme au cœur de l’économie, par la régulation, et obliger ainsi les entreprises à en tenir compte dans leurs stratégies de développement. Aujourd’hui, la porte est grande ouverte. Les acteurs économiques et financiers sont aux abois, ce qui montre bien les limites de l’autorégulation. En pratiquant une fiscalité nulle ou presque, les paradis fiscaux exacerbent cette course fiscale au moins- disant fiscal. Les paradis fiscaux voient le transit de plus de 50 % du commerce mondial alors qu’ils ne représentent que 3% du produit mondial brut. Nous attendons donc le démantèlement de TOUS les paradis fiscaux et une régulation contraignante des entreprises concernant les impacts de leurs activités dans les pays du Sud.
La position des pays européens membres du G20 (France, Angleterre, Allemagne, Italie) et du conseil de l’UE, a eu le mérite d’être commune à l’occasion du sommet du G20 d’avril 2009, mais n’a pas permis de poser les bases d’une « meilleure » régulation des marchés. C’est un bon début, encore faut-il que ces mesures s’accompagnent de mesures contraignantes assorties de sanctions, et ne cherchent pas seulement à réguler les Paradis fiscaux, mais surtout leurs principaux utilisateurs, que sont les multinationales. Le fiasco de la crise financière actuelle nous conforte dans l’idée que l’autorégulation a montré ses limites.

Que peut on attendre des lois Grenelle ?

Le Grenelle Environnement, ensemble de rencontres politiques organisées en France en 2007, visant à prendre des décisions à long terme en matière d’environnement et de développement durable. Il a donné lieu à un projet de loi (dit «Grenelle I») adopté à la quasi-unanimité à l’Assemblée en octobre 2008, examiné à partir de janvier 2009 et validé le 11 février 2009 par le Sénat, qui examine maintenant le « Grenelle II » avant son futur passage au Parlement prévu fin mai 2009.
Ces lois Grenelle incluent des dispositions concernant la responsabilité environnementale des entreprises, et le Forum citoyen pour la RSE avait été audité lors du comité opérationnel « Entreprises et RSE » du Grenelle de l’environnement (chantier n°25 sur le thème de «Entreprises et responsabilité sociale et environnementale»). Leurs rapports reprennent en partie ses observations notamment concernant l’application de l’article 116 de la loi NRE : c’est-à-dire sur le reporting.
Ces lois peuvent permettre l’extension du périmètre d’application de la loi NRE [[Voir note 3]]. Le Forum citoyen pour la RSE propose de retenir d’emblée dans le projet de loi « Grenelle II », sans attendre le décret d’application, l’extension du périmètre d’application aux sociétés qui présentent un seuil de bilan supérieur à 43 millions d’euros ou qui emploient plus de 500 salariés.
En outre, nous réclamons une clarification et une extension du champ d’application de l’obligation de reporting social et environnemental. Celui-ci doit s’appliquer au niveau du groupe (voir étude de cas Nokia [[« Les employés des fournisseurs tels que dans cette usine thaïlandaise ne savent même pas pour quelle marque ils produisent des composants. Ils sont donc privés des informations qui leur permettraient d’exiger de ceux qui les contrôlent de mettre fin aux violations de leurs droits ». Si la proposition de reporting obligatoire était appliquée, les sociétés seraient forcées d’identifier leurs fournisseurs et de rendre des comptes sur les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités. Les travailleurs et les communautés victimes de violations de leurs droits pourraient alors demander justice en s’adressant directement à la société responsable. L’International Accounting Standards Board est un organisme privé, enregistré dans l’État américain du Delaware (considéré par beaucoup comme un paradis fiscal), et fondé en 2001 par des acteurs privés, les « Big Four », comme organisme indépendant de définition des normes comptables internationales. Les « Big Four » ne sont autres que les quatre plus grandes entreprises d’audit des comptes et de conseil en fiscalité au monde : Price Waterhouse Coopers, KPMG, Ernst & Young, Deloitte & Touche.]] page 36 du rapport complémentaire) , voire à toute la chaîne de production, et non pas seulement aux sociétés mères. Nous proposons donc d’élargir le champ du reporting à toutes les sociétés de plus de 20 salariés, y compris les entreprises et établissements publiques.
Le projet de loi « Grenelle II » prévoit dans son article 46 de rendre possible la mise en cause de la maison mère pour faute de gestion et souligne que « le caractère limité de la responsabilité de la maison mère pose problème » dans certains cas. Par exemple, quand la filiale ne peut honorer « des créances environnementales » notamment à cause d’une faute imputable à la maison mère. Les lois Grenelle n’abordent que les questions d’environnement. Mais elles peuvent apporter des avancées utiles en matière d’atteintes aux droits humains dans la mesure où la responsabilité des multinationales sera renforcée dans son ensemble.

Lors de son discours de clôture du Grenelle de l’environnement, Nicolas Sarkozy s’indignait cependant: « il n’est pas admissible qu’une maison mère ne soit pas tenue responsable des atteintes portées à l’environnement par ses filiales ». Nous proposons que ce message soit porté au niveau européen par la France, et que des dispositions permettent également d’élargir le reporting au respect des droits humains.

Pourquoi interpeller l’UE et plus précisément les candidats aux élections européennes ?

Les français éliront leurs députés européens le 7 juin prochain. C’est l’occasion de demander des engagements pour que le Parlement européen pousse la nouvelle Commission européenne, qui sera nommée en novembre 2009, à se saisir de cette question.
La majorité des multinationales sont basées en Europe ou y ont des activités importantes et il n’existe aujourd’hui aucun outil pour obliger ces entreprises à changer de comportement. Sans personnalité juridique sur le plan international, les entreprises multinationales échappent à l’application directe du droit international.
Aujourd’hui la conception dominante de l’Union européenne en matière de Responsabilité sociale, environnementale et fiscale des Entreprises (RSEF) est basée sur l’engagement volontaire de celles-ci. Or ces procédures d’engagement volontaire se résument trop souvent à des opérations de communication. Il est donc grand temps pour l’Union européenne d’accepter pleinement ses responsabilités en choisissant la voie de la régulation contraignante. Le fiasco de la crise financière actuelle nous conforte dans l’idée que l’autorégulation a montré ses limites. Dans son discours de clôture lors du Forum multipartite sur la RSE du 10 février dernier, le Vice-président de la Commission européenne Günter Verheugen a souligné que « les entreprises qui nous guideront au dehors de la récession seront celles qui portent les valeurs de la RSE au coeur de leurs stratégies ». Il a par ailleurs souligné vouloir « faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de RSE ». Nous le prenons au mot et souhaitons en finir avec une RSE prisonnière des engagements volontaires, et favoriser au contraire les régulations contraignantes.
Parce que pour éviter de fausser la concurrence entre les multinationales, nous souhaitons que le cadre de régulation englobe un maximum d’entreprises et concerne à la fois le volet environnemental, social et fiscal. De part le fait que l’Europe est un marché que l’on ne peut ignorer lorsqu’on est une multinationale, nous pensons qu’un cadre de régulation aurait de bonnes chances de devenir la référence internationale.
Et enfin parce que les élections européennes du mois de juin nous offre l’opportunité tant politique que médiatique d’aller à la rencontre des candidats, de mettre nos demandes de régulation en débat.
En s’adressant au président de la république française, en interpellant les candidats aux élections européennes, nous ne cherchons pas à promouvoir un modèle de société sans entreprises. Au contraire nous cherchons à promouvoir un modèle de société où les entreprises multinationales les plus respectueuses ne soient plus mises en danger par celles dont les pratiques sont plus que douteuses.

Quelles pratiques dénoncez-vous ?

Alternatives économiques vient de publier (en réponse à une sollicitation du CCFD-Terre solidaire) une enquête sur les entreprises françaises implantées dans les paradis fiscaux, elles y sont toutes. Avec 189 filiales pour BNP Paribas et 140 pour LVMH représentant respectivement 23 et 24 % du nombre total de sociétés du groupe. Pourquoi ? Pour pouvoir procéder à des manipulations des prix de transferts bien entendu, pratique illégale dans la mesure où elle contrevient au principe défini par l’OCDE de « prix de pleine concurrence ». Les transactions entre filiales d’un même groupe représenteraient aujourd’hui plus de 60% des échanges commerciaux dans le monde.

Nous dénonçons aussi :
– l’exploitation des ressources naturelles d’un pays tiers, au détriment par exemple des droits fondamentaux des communautés locales (ex : les Dayak en Indonésie)
– Le « Greenwashing » consistant à faire abstraction des impacts négatifs des activités des multinationales, telle que le fait pour la Compagnie fruitière de Marseille de n’afficher que ce qui les arrange dans sa communication extérieure.
– Le manque de règle harmonisée à l’échelon européen, qui entraîne une distorsion de concurrence.

Quels sont les avantages de vos propositions portants sur la transparence (reporting comptable pays/pays et reporting social et environnemental harmonisé) ?

Si nous obtenons une évolution des normes comptables de l’IASB (International Accounting Standards Board) [[Les multinationales, du moins celles qui sont soumises aux normes de l’IASB, doivent publier des informations sectorielles et ventiler leurs activités de façon à assurer la pertinence de ces éléments pour le lecteur. Elles n’ont en revanche pas à fournir de données géographiques, ou très peu, et n’ont aucune obligation de le faire pays par pays. La très grande majorité des multinationales publie donc ses données comptables de manière agrégée par grandes régions ou par continents.]], dont l’Europe est le premier marché, pour qu’il introduise le reporting pays/pays et l’obligation de reporting social et environnemental consolidé et harmonisé, cela permettrait de :
– limiter les pratiques d’évasion fiscale des multinationales européennes en portant à la connaissance des parties prenantes de ces entreprises toutes leurs activités pays/pays,
– prévenir les violations des DH et les atteintes à l’environnement dans la mesure où l’application de ces mesures impliqueraient de la part de l’entreprise de mettre en place une véritable politique/ stratégie de prévention des risques à la fois pour l’entreprise et les parties prenantes.

Est-ce que la France peut servir de modèle ?

Oui, même si elle n’a pas su se saisir de la perche de la Présidence du Conseil de l’UE le semestre dernier pour porter ces changements. La législation française est déjà bien avancée par rapport à celle d’autres pays européens. En matière de RSE par exemple, elle a instauré une obligation de reporting social et environnemental depuis 2001 à l’attention de ses sociétés cotées en bourse.
Elle comporte cependant des failles dans son application. Dans le cadre de la loi NRE, la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité est couverte par les sanctions relatives au rapport de gestion annuel. Ces fautes peuvent être sanctionnées par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Mais jamais aucune mise en accusation n’a pu être établie. Pourquoi ? A cause du flou concernant les informations à inscrire dans le rapport et le flou concernant son obligation d’application aux filiales…

Un devoir de diligence déjà reconnu en France :
– Cette obligation existe en droit civil français pour les personnes physiques et se traduit par la notion de « bon père de famille ». Il s’agit d’une norme comportementale permettant au juge d’évaluer la faute d’un individu eu égard au comportement que la société attend de cet individu représenté par ce personnage fictif de « bon père de famille ».
– Dans l’affaire Erika/Total, la responsabilité de la société mère dans son périmètre de responsabilité a été établi. Il a été reproché à Total d’avoir provoqué le naufrage en commettant une « faute d’imprudence » dans la sélection du navire. Ce procès a par ailleurs statué, pour la première fois en France, sur les conséquences d’une catastrophe écologique.

Quels sont les pays ayant déjà une obligation de reporting Social & Environnemental ?

La France, les Pays-Bas, la Suède, la Norvège, le Danemark mais dans certains de ces pays le périmètre de reporting ne prend pas en compte le volet social et se limite (ce qui est déjà bien) aux impacts environnementaux.

Quelles informations doivent figurer dans un bon reporting social et environnemental ?

L’intérêt du reporting obligatoire n’est pas d’obtenir une description des activités de RSE des entreprises, mais plutôt de leurs performances réelles en la matière. Il est par exemple intéressant d’obtenir des informations sur la communication de l’entreprise avec ses parties prenantes, sur les dons qu’elle a effectués, ou encore sur les plans qu’elle prévoit de mettre en place à l’avenir pour améliorer ses performances environnementales et sociales. Par ailleurs, pour permettre de comparer les performances extra-financières des entreprises, il serait nécessaire d’harmoniser les exigences de reporting environnemental et social en présentant des informations ventilées par catégories et par secteurs géographiques, établies par pays et par activités.

Une société mère a-t-elle déjà été condamnée pour le compte de sa filiale opérant en dehors du territoire européen ?

NON – Il est aujourd’hui nécessaire d’adapter le droit des sociétés aux réalités de la mondialisation – Les impacts sociaux et environnementaux de l’activité des sociétés transnationales ne peuvent, en l’état actuel du droit, être appréhendés efficacement. La raison principale réside dans un double concept fondamental du droit des sociétés, le principe d’autonomie juridique et de responsabilité limitée qui isole chaque membre de la société transnationale des obligations civiles ou pénales des autres membres de l’organisation. Cet état de fait a généré une situation asymétrique selon laquelle une société mère peut toucher les profits de ses filiales sans s’exposer à aucune responsabilité aux regards des conséquences environnementales et sociétales de leurs activités.

Pourtant :
La directive 2004/35/EC sur la responsabilité environnementale introduit le concept du pollueur-payeur pour les dommages causés au sol, à l’eau et aux espèces protégées et leur habitat. Elle envisage donc explicitement la responsabilité d’une société mère pour les « crimes » environnementaux commis par ses filiales, c’est à dire pour les dommages causés au sol, à l’eau et aux espèces protégées et leur habitat.

Mais sa mise en œuvre est difficile car :
– sa responsabilité n’est engagée que dans les cas où elle n’a pas respecté son devoir de diligence (si elle exerce un contrôle direct sur les activités de ses filiales, si elle a encouragé la violation ou si la structure de la société a délibérément été utilisée dans un objectif de fraude.
– Seule les autorités publiques sont compétentes (pas les individus)

Pourtant le fait que les entreprises se comportent comme une entité responsable de ses filiales a déjà été reconnu par la loi :
– Dans « 7ème Directive européenne sur les comptes consolidés des sociétés de capitaux » obligeant les entreprises multinationales à présenter des comptes qui incluent leurs filiales.
– La Cour européenne de justice a imposé des sanctions financières à des sociétés mères étrangères à plusieurs reprises dans le cadre de jugement relatif au droit de la concurrence : Ainsi dans un cas, la Cour de Justice européenne a établi une portée extraterritoriale à la législation sur la concurrence.

Que pensez-vous des activités de Total en Birmanie ?

Total devrait être tenue responsables des agissements (accusations de torture et de travail forcé) de sa joint venture en Birmanie mais après plus de 6 années de combat, Total n’a pas été légalement tenue responsable : en France, l’affaire a été soldée en 2005 par un règlement à l’amiable d’un montant de 6 millions de dollars ; en Belgique, elle fut conclue en 2008, après plus de cinq ans d’action en justice [[Présente en Birmanie depuis 1992, la compagnie pétrolière Total exploite un gisement de gaz en Mer d’Andaman en partenariat avec la junte militaire birmane. Dans son rapport sur les activités de Total en Birmanie, Burma Campaign UK mentionne que le lancement du Projet Yadana a été suivi d’une recrudescence des violations de droits de l’homme perpétrées par les forces de sécurité du gazoduc, et rapporte des cas d’assassinats extrajudiciaires, des actes de torture, des viols et des extorsions. Source : Pas de pouvoir sans responsabilités- opportunités législatives pour améliorer la responsabilité des entreprises en Europe , ECCJ, 2008.]]. Nous constatons que l’absence de règle favorise l’irresponsabilité.

En temps de crise, est-ce réellement le moment de taper sur les entreprises ?

Oui, c’est le moment !! Et non, nous ne tapons pas sur les entreprises !! Nous nous mobilisons depuis longtemps pour éviter qu’une telle crise n’éclate, des lors pourquoi s’arrêter maintenant ?
C’est parce que cette crise touche surtout les plus pauvres que nous devons nous mobiliser maintenant. En aucun cas il ne s’agit de diaboliser l’entreprise, de la présenter comme mauvaise par nature. Le CCFD-Terre solidaire ne fait pas la promotion d’un modèle de développement excluant l’entreprise. Par contre, en lien avec ses partenaires, le CCFD-Terre solidaire dénonce les pratiques inacceptables de beaucoup de multinationales vis-à-vis des populations du Sud. En particulier, le CCFD-Terre solidaire dénonce le manque de régulation à l’échelon européen favorisant l’irresponsabilité des entreprises. Les études de cas permettent dans cette campagne d’illustrer le manque de transparence et de régulation des multinationales s’agissant de leurs impacts fiscaux, environnementaux et sociaux dans les pays du Sud. De nombreux dirigeants et cadres, et un nombre croissant de salariés, sont soucieux de l’image que projette leur entreprise, sont mal à l’aise face à leurs impacts négatifs, et se positionnent en faveur d’une telle régulation.
L’intégration des enjeux du développement durable dans les stratégies d’entreprises n’est pas synonyme de mauvaise performance – De nombreux organismes académiques et professionnels (notamment UNEP – Finance Initiative) ont étudié cette question. Leurs conclusions convergent : les entreprises responsables sont au moins aussi performantes que les autres.
Ce n’est pas un mauvais calcul pour les entreprises et certaines se sont déjà prononcés en faveur d’une régulation contraignante : l’enseigne Carrefour par exemple.
Nous tenons à préciser que le CCFD-Terre solidaire et OFAI ne sont pas contre l’entreprenariat puisque elles le soutiennent depuis longtemps (micro crédit –Economie sociale et solidaire etc.).

Quel type d’entreprenariat soutenez-vous ?

Le secteur lucratif peut s’inspirer des innovations sociales et sociétales des « entreprises de l’économie sociale » et adopter de meilleures pratiques notamment dans la façon de considérer l’individu, la considération de toutes les parties prenantes de l’entreprise, l’ancrage local et territorial, la remise en cause des écarts de rémunération démesurés. Franck Riboud, PDG de Danone, écrivait lui-même dans Le Monde du 3 mars dernier, que la conception de l’entreprise ayant pour seule finalité de maximiser le profit de l’actionnaire « nous a mensé dans l’impasse ». (Extrait de l’article du Monde du 24 mars Les exclus du système, un potentiel de croissance négligé, d’Adrien de Triconot.)

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