Afrique de l’Ouest, une caravane pour peser sur les politiques régionales
Pendant près d’un mois, plusieurs centaines de militants issus de douze pays d’Afrique de l’Ouest ont parcouru par étapes le trajet de Ouagadougou à Dakar pour dénoncer l’accaparement des ressources naturelles, et jeter les bases d’un mouvement de défense pour la souveraineté alimentaire.
Au bout du périple, il y avait la perspective de rencontrer Macky Sall, président du Sénégal mais aussi de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), afin de lui remettre un « Livret vert » de revendications et de propositions. Cette rencontre a finalement été refusée. Pas de marque de désintérêt, affirment les organisateurs, mais plutôt la coïncidence mal évaluée entre la date d’arrivée du groupe à Dakar et l’imminence d’un délicat référendum sur la réduction de la durée du mandat présidentiel sénégalais : tout le gouvernement était en campagne.
Cette opération d’envergure a mobilisé quelque 300 organisations de quinze pays de la sous-région [[Nigeria, Niger, Bénin, Togo, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Ghana, Mauritanie, Sénégal, Gambie, Liberia, Guinée Konakry, Guinée Bissau, Sierra Leone]] dont les délégations se sont agrégées à mesure que la caravane passait à proximité [[Guinée Konakry, Guinée Bissau, Sierra Leone n’ont finalement pas pu envoyer de représentants]], totalisant près de 400 participants dont plusieurs partenaires du CCFD-Terre Solidaire.
« Nous partageons les mêmes types de problèmes, ce qui justifie de faire front ensemble », résume Massa Koné pour la Convergence malienne contre l’accaparement des terres (CMAT).
L’accaparement des terres
En particulier, le phénomène de l’accaparement des terres s’est généralisé. À Wassadou en Casamance (Sénégal), Gilbert Khayat, un investisseur exhibe un jour un titre foncier établit à l’époque de ses ancêtres libanais et portant sur 3 100 hectares. Conflit, intervention policière, destructions au bulldozer, protestations, emprisonnements et décision de justice finalement défavorable aux populations… Près de 5 000 personnes ont été déplacées ! Des témoignages douloureux recueillis à Tambacounda par la caravane, qui a transmis ses protestations à la présidence de la République dans l’espoir de voir résolu ce conflit.
Cependant, ces gros scandales emblématiques masquent souvent des dizaines de spoliations plus discrètes, jusqu’en zone semi-urbaine ou urbaine où des populations entières sont chassées par des promoteurs qui veulent faire construire des lotissements. Céline Kaboré témoigne du « déguerpissement » dont elle a été victime en périphérie de Ouagadougou, comme des centaines de foyers. Le phénomène se reproduit dans d’autres capitales, et mobilise même… « l’Association de défense des droits des aide-ménagères et domestiques« , présente au Burkina Faso, au Mali, au Bénin et au Togo. Effet secondaire de l’accaparement des terres rurales, les villageois dépossédés envoient leurs filles en ville pour s’employer auprès de familles aisées. Les violations du droit du travail et les exactions ne sont pas rares. Certaines jeunes filles subissent même un quasi esclavage.
L’accès à l’eau
L’accès à l’eau, préoccupation permanente des zones sahéliennes, a peu été abordé en tant que telle : elle est systématiquement associée aux accaparements de terre — comment cultiver sans eau ? À Kayes, étape frontière avec le Sénégal, Ouzmane Diallo, jeune militant du Comité malien de la défense de l’eau et de l’assainissement, livre cependant un plaidoyer très contemporain sur la non-marchandisation de l’eau face à la privatisation menée par les multinationales.
Diaporama
Semences et OGM
La menace affectant les semences paysannes est en revanche identifiée de plus fraîche date. Le professeur Ousmane Tiendrebeogo apporte une nouvelle encourageante : le Burkina Faso, pionnier régional dans l’expérimentation du coton Bt de Monsanto (depuis 2003), semble officiellement admettre le fiasco — besoins accrus de pesticides, pollution, paupérisation des paysans, chute de la cote marchande du coton burkinabè, etc.
Mais si le rejet des OGM est unanime, « il n’est pas apparent pour tous les caravaniers que les semences « améliorées » promues par les gouvernements sont des hybrides obligeant les paysans à racheter périodiquement des lots », relève Anne Berson, de l’association Bédé à Ségou (Mali).« Et nous ne défendons pas que les semences paysannes restent « locales » et « traditionnelles », elles gagnent au contraire à être échangées pour se renforcer et profiter à d’autres villages, une « pratique historique » ».
La place des femmes
À Sikasso, au Sud-Est du Mali, des femmes du groupement Cofersa font la démonstration qu’une communauté agricole peut entretenir son patrimoine génétique cultivé, et le petit marché aux semences qu’elles organisent au passage de la caravane suscite un bel engouement.
Plus percutante encore, la revendication féminine, et quasi unanime dans la sous-région, pour l’accès à la propriété de la terre, qui a traversé plusieurs débats de la pérégrination militante. « La terre appartient aux hommes, les femmes peuvent leur louer mais toujours de manière précaire, raconte Tene Kanté avec une véhémence et une poésie communicative. Il n’est pas rare qu’un propriétaire la reprenne quand il constate que les femmes sont parvenues à la mettre en valeur… » Très pugnaces également, les aide-ménagères et domestiques ont interpellé des caravaniers pas toujours au clair sur la justice travailliste et les risques encourus par les jeunes filles.
Impacts et objectifs de la caravane
Progresser collectivement dans la compréhension des problèmes partagés et enrichir la vision commune des solutions : c’était l’un des objectifs d’une caravane spontanément instituée en petite université populaire ambulante, dont il est attendu que les participants partagent les acquis de retour chez eux.
Cependant, c’est l’impact politique qui était recherché au premier rang. « Si tout n’a pas été optimisé, le bilan est réellement satisfaisant », se félicite Moussa Coulibaly, de la Fédération des collectifs d’ONG du Mali (Fecong). Les autorités locales ont largement répondu présent, du Burkina Faso au Sénégal, et la caravane a rencontré à plusieurs reprises des ministres, des élus nationaux et des fonctionnaires de haut rang. À Sikasso, Konimba Sidibé, le ministre de la promotion de l’investissement, renchérit sur les préoccupations du milieu paysan, dont il est issu.
À Bamako, c’est la rue qui s’est chargée de la répercussion politique, par une marche de plus de 1 000 personnes : les caravaniers ont rejoint les « sans-terres » et les « déguerpis » maliens qui tenaient leur 3ème « village » national. Les « dégage ! » adressés aux « mauvais » maires, députés, ministres, gouverneurs, etc., ont moussé dans les médias, provoquant une bouderie généralisée des autorités, absente de la conférence clôturant l’étape de Bamako. « Il n’était pas question de mettre notre langue dans notre poche, ces sujets sont trop graves ! », défend Massa Koné.
A Kayes, le discours de Baba Mahamane Maïga, gouverneur de la région, adhère aux principales revendications des caravaniers. Ovation de la salle. Son rôle, sur ces questions qui ne sont pas de son ressort direct ? « Faire mon travail, c’est-à-dire influencer la politique nationale à Bamako . » [[Au nombre de dix seulement, les gouverneurs sont des hauts fonctionnaires de poids au Mali]]
Un premier tour de bilan a eu lieu à Dakar : c’est un « succès global », expriment les caravaniers. « J’ai été frappé par la parole libérée tout au long de notre trajet, relève Moussa Coulibaly. Cette caravane arrive à son heure, car les gens souffrent vraiment, notre argumentation n’est pas exagérée. » Et les messages sont plutôt bien reçus par les autorités, analyse Chantal Jacovetti, de la CMAT. « Nous prenons conscience que nous sommes en mesure de peser sur les politiques régionales. Le défi, désormais : rebondir, porter notre Livre vert dans la durée, et développer un plan d’action pour les prochaines échéances. »
La caravane a d’ores et déjà avalisé le principe de sa reconduction, dans deux ans probablement, ainsi que la mise en place d’une structure de suivi de ses revendications, à l’échelon des pays comme de la sous-région.
Patrick Piro
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