Afrique : Ils veulent bâtir une société nouvelle

Publié le 13.02.2014

Il est aujourd’hui possible de parler de la jeunesse africaine sans faire référence aux guerres, à la misère ou à la déshérence de l’élite politique. Car les jeunes sont décidés à donner une autre lecture de leur continent, moins chaotique. Analyse de Ladiba Gondeu, 35 ans, chercheur tchadien en anthropologie et ancien président de la Jec (Jeunesse ouvrière chrétienne).


Dans mon pays parmi les plus pauvres au monde – le Tchad – [[Le Tchad est classé 184 sur 186 pays selon l’Indice de développement humain (IDH) 2012. Source : Rapport sur le développement humain 2013 du Programme des Nations unies pour
le développement.]], il y a peu de perspectives pour les jeunes. Comme à l’époque, on envoie son enfant à l’école afin qu’il devienne plus tard « un grand quelqu’un, un quelqu’un comme il faut ». Si possible, on fera les prières, les sacrifices rituels indispensables afin de recueillir les bénédictions des mânes des ancêtres pour que cet enfant puisse un jour occuper les hautes marches de l’administration étatique. C’est une figure de la réussite sociale. Le modèle des générations précédentes.

Cette génération africaine, qui fut aux affaires ou y demeure, a parfois fait preuve d’inertie face aux forces progressistes réclamant l’instauration de la démocratie et des libertés publiques. Pour les jeunes Tchadiens, « elle a échoué à concrétiser la démocratie et engager le développement, ou pire elle empêche la jeune génération d’émerger et d’apporter le changement ». Elle se retrouve dans les partis au pouvoir ou d’opposition, dans un face-à-face marqué par les calculs et des alliances « dosés à la sauce africaine ». La génération suivante des premiers leaders des organisations de la société civile et de défense des droits l’homme, arrivée dans l’espace public dans les années 1990, est, elle, ancrée dans la dénonciation et le refus systématique de collaborer avec l’État.

Une posture courageuse mais qui ne correspond plus à la vision des jeunes Africains aujourd’hui. Partout en Afrique, les 25-40 ans, dont je fais partie, sont en train de changer le visage du continent. Avides de savoirs et d’idées nouvelles, ils sont dans l’action pratique et ne s’inscrivent pas dans les pas de leurs aînés. Ces jeunes leaders sont instruits, nombre d’entre eux ont été formés dans les meilleures écoles et universités d’Afrique, d’Europe ou d’Amérique.

Beaucoup reviennent dans leur pays, rarement pour se mettre au service d’un État qui n’est pas toujours au service des populations. Ils s’installent à leur compte, créent leurs propres affaires, deviennent des entrepreneurs à part entière, dans le business, ou comme entrepreneurs sociaux animant la dynamique du changement au sein de leur communauté.

DES EXEMPLES DE RÉUSSITE QUI TRANCHENT AVEC LES VIEUX CLICHÉS

Au cours de ces dernières années, j’ai été invité deux fois par le gouvernement américain à participer à des rencontres de jeunes leaders africains, les leaders du futur ! J’y ai rencontré Mme Hodan Abdi Osman, une jeune Djiboutienne retournée dans son pays après de brillantes études en France. Aujourd’hui, elle réussit dans le design de luxe et collabore avec l’Université de Djibouti où elle anime une plate-forme des jeunes entrepreneurs formés à développer leurs activités. J’ai eu la chance de débattre avec Mme Bobson Coulibaly, avocate spécialisée en droit des affaires et droit minier. Conseillère des entreprises minières installées au Burkina Faso, Togo, Niger et Mali, depuis 2010, elle joue un rôle important auprès du gouvernement burkinabè dans la révision du code minier. Et tellement d’autres, créateurs, ingénieurs, entrepreneurs…

L’Afrique qui bouge, connectée au monde, téléphone 4G, Internet… Ces exemples de réussite tranchent avec la figure du jeune Africain popularisée par le personnage de Kirikou[[Personnage de fiction créé par Michel Ocelot.]]. Ou du cliché d’une jeunesse africaine mourant de soif dans le désert du Sahara ou se noyant dans les mers et rêvant d’un eldorado européen.

Notre génération est active dans le monde associatif. Elle cherche, à travers ses divers engagements, à créer et à nourrir les liens sociaux : dans les animations des quartiers, les appuis-conseils en matière d’innovations technologiques pour le monde rural ou pour les femmes, l’acquisition de savoir-faire pour les adultes déscolarisés, la transformation des produits du terroir, etc. En matière de construction de la paix, de lutte contre la violence, les jeunes ont montré leur leadership par la mise en place de groupes de médiateurs des conflits scolaires, de groupes d’entente éleveurs agriculteurs, de la formation et la réinsertion des enfants des rues. En favorisant le processus de dialogue au sein des communautés, en permettant aux cœurs de s’exprimer sur des sujets qui fâchent, en donnant la parole aux exclus. En nourrissant aussi l’agenda poli tique national de propositions pertinentes et en œuvrant pour consolider la paix au sein des communautés, ils sont de réels facteurs de résilience pour leur pays, qui méritent d’être mieux connus et accompagnés.

Notre génération – et les suivantes –, sont ouvertes sur le monde ; elles n’éprouvent pas de problèmes culturels avec les clivages de maintenant. Notre rêve est de bâtir une société nouvelle, mais il se heurte à nombre de défi s qui compromettent le vivre-ensemble. Le premier est d’ordre culturel. Dans une société multiculturelle, comment parvenir à construire une conscience d’appartenance commune, bâtir des liens solides de convivialité, de camaraderie et d’engagement commun ?

Au Tchad, les jeunes ont entrepris des démarches courageuses qui ont permis d’aborder cette problématique, ouvrant la voie à un effort réfléchi sur les attitudes communautaires, voire individuelles, dans le rapport à l’altérité.

Pour nous, il s’agit de briser les tabous qui ombragent ces rapports, et donc les manipulations liées à l’histoire commune : la question de l’esclavage, les violences de masses, les interdits religieux, communautaires, les conflits résiduels inter communautaires…

Les jeunes doivent imaginer une nouvelle « coutume » ou manière de vivre-ensemble. Pourquoi devrions-nous choisir entre notre identité ethnique, religieuse et ce sentiment nouveau d’appartenir à une communauté nationale ? Pour moi, plus qu’un héritage colonial, la citoyenneté est le nouveau socle du vivre-ensemble en Afrique où les pays ont unanimement opté pour la République. Elle doit être la maison de tous et devra offrir la laïcité et la liberté comme filles du progrès. Ce sont là des défis pour une Afrique plus ouverte au monde et porteuse d’espoir, pour sa jeunesse et pour l’humanité dans son ensemble.

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