Agriculture et alimentation, les vraies solutions

Publié le 18.11.2015| Mis à jour le 02.01.2022

À l’occasion de la COP21, de nombreux acteurs, étatiques ou non étatiques, cherchent à promouvoir leurs propres solutions pour faire face aux changements climatiques. De vraies solutions aux impacts des changements climatiques sont mises en œuvre quotidiennement par les citoyens, entreprises, investisseurs et acteurs territoriaux. Le défi de la transition écologique et énergétique mondiale est de les déployer dans tous les pays, urgemment, pour limiter le réchauffement de la planète à moins de 1,5°C.


Dans les pays du Sud, les impacts des changements climatiques sont déjà visibles et menacent les progrès effectués ces dernières années dans la lutte contre la pauvreté, la faim et la malnutrition. Triste paradoxe: les pays qui ont le moins pollué sont les plus durement touchés par les impacts des changements climatiques.

De vraies solutions existent pour accroître la résilience des populations, en particulier des plus fragiles. Encore faut-il que ces populations aient accès à des moyens financiers et technologiques appropriés et que les modèles agricoles et les systèmes alimentaires vertueux soient soutenus par des politiques publiques robustes et des financements suffisants.
Cependant, toutes les “solutions” ne sont pas bonnes à prendre. Certaines font peser des risques majeurs sur la société et les écosystèmes : parce qu’elles sont trop hasardeuses, trop coûteuses et porteuses de plus d’inégalités (comme les agrocarburants, les OGM ou l’agriculture intelligente face au climat quand elle est promue par des multinationales de l’agriculture industrielle, voir le dossier des associations dédié aux fausses solutions).
L’agenda climat et l’agenda pour le développement ne sont qu’un seul et même agenda. À Paris, les États auront-ils enfin le courage de reconnaître l’agenda pour le climat et d’opter pour une transition qui nous permette de bâtir un monde plus vivable et plus juste ? Sauront-ils trier le bon grain de l’ivraie ?

Par “vraies solutions” aux changements climatiques, nous entendons toutes les actions et initiatives qui peuvent permettre de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et/ou d’améliorer la résilience de nos sociétés face aux conséquences des changements climatiques, tout en répondant aux défis économiques, sociaux, géopolitiques, environnementaux, culturels et démocratiques. Les “vraies” solutions respectent la biodiversité et la diversité des écosystèmes.

Les “vraies” solutions aux changements climatiques sont des pratiques, des principes ou des processus qui nous permettent de passer d’un modèle de développement en fin de course à des sociétés économes en énergie, non polluantes, justes et résilientes face aux impacts des changements climatiques.

Les “vraies” solutions au changement climatique visent aussi à ne pas reproduire les erreurs du passé. Trop souvent, les droits des communautés locales sont bafoués sous prétexte de protection de l’environnement !

Les “vraies” solutions sont celles qui respectent et protègent les droits humains. Pour cela, elles impliquent les populations, premières concernées, dans la prise de décisions politiques et économiques.

Nous sommes convaincus que les grandes transformations sociales naissent de la somme d’actions individuelles. De nombreuses initiatives locales portent cette capacité “transformationnelle”. Nous savons aujourd’hui que l’agriculture familiale et paysanne, en particulier l’agro-écologie, peut nourrir la planète. Nous savons également qu’un autre modèle alimentaire, qui fait converger enjeux environnementaux, de santé et de justice alimentaire est possible. Nous avons vu, avec les initiatives et rencontres organisées partout en France ces derniers mois, notamment via Alternatiba ou le forum international Desertif’Actions, que les citoyens se mobilisent pour mettre en avant de vraies solutions. Nous sommes de plus en plus nombreux à porter une autre vision de l’agriculture et de notre relation à l’alimentation, et à montrer que cela est possible.

Quel que soit le résultat de la conférence de Paris, le défi à relever reste immense, mais pas impossible. Il se pose au quotidien, maintenant, mais aussi après 2015, à tous les niveaux de décision et partout dans le monde. La transition vers des modèles de consommation et de production respectueux du climat passe par des mesures étatiques, ainsi que par l’action des villes et des régions, des communautés rurales, et par la mobilisation des acteurs économiques et des citoyens. La lutte contre les changements climatiques ne se termine pas à Paris en décembre 2015, c’est un point de départ, une opportunité de levier et un défi à relever.

C’est encore plus vrai en ce qui concerne les questions agricoles. Aujourd’hui, le principal défi de l’agriculture est d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour une population mondiale croissante dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles et de changement climatique. Les dérèglements climatiques menacent directement les 4 piliers de la sécurité alimentaire (disponibilité, accès, stabilité et utilisation). Le secteur agricole est présent aux deux extrémités de la chaîne qui relie les causes et conséquences : l’agriculture est responsable d’un tiers des émissions de GES, quand les agriculteurs, les plus vulnérables en premier lieu, sont aussi les premières victimes du changement climatique. Pourtant l’agriculture est la grande absente des négociations climat depuis plusieurs années et le sera à Paris. En effet, les discussions autour des systèmes agricoles et alimentaires à privilégier dans la lutte contre les dérèglements climatiques ne s’ouvriront pas avant juin 2016. Toutes les questions et les solutions restent donc sur la table. Il est de la responsabilité des États de promouvoir les vraies solutions en les distinguant des fausses.

Pour des systèmes agricoles et alimentaires durables

«Notre modèle agricole mondial est à bout de souffle. Il faut aider chaque pays à se nourrir lui-même ; la question de l’alimentation ne pourra pas être résolue par la concentration de la production dans les régions les plus efficientes, l’aide alimentaire et le commerce international. C’est un premier changement de paradigme.»
Olivier de Schutter[[Interview dans le Monde du 29/04/2014]]

Nous produisons aujourd’hui 4 600 kilocalories par personne et par jour soit suffisamment pour nourrir 12 milliards de personnes. Près de la moitié de cette production est gaspillée, perdue ou destinée à l’alimentation animale. Pourtant, alors que la croissance de la production agricole n’a jamais permis d’assurer la sécurité alimentaire mondiale, d’après un rapport[[« Comment le système alimentaire industriel contribue à la crise climatique », La Via Campesina | GRAIN, 05/12/2014]] récent de l’ONG GRAIN et de la Via Campesina, entre 44 % et 57 % du total des émissions de GES proviennent du système alimentaire mondial basé sur l’agro-industrie.

Résultat : 2,5 milliards de personnes souffrent de mal-nutrition et 795 millions souffrent de la faim. La plupart d’entre eux sont des femmes, des enfants et, triste paradoxe, trois quart d’entre eux sont des petits agriculteurs, ceux-là même qui nourrissent l’humanité.

L’agriculture mondiale est aujourd’hui à la croisée de chemins où s’affrontent deux écoles de pensée agricole : on peut distinguer, d’un côté, l’agriculture conventionnelle ou industrielle – très émettrice -, illustrée par exemple par l’Alliance Globale pour une agriculture intelligente face au climat, soutenue par les industries agroalimentaires , et de l’autre, l’agro-écologie – peu émettrice – qui place les petits producteurs et les communautés rurales au centre des décisions et appelle à un changement de paradigme dans l’ensemble des dimensions (politique, économique, agricole, sociale, culturelle…).

Une transition de nos systèmes agricoles et alimentaires est un levier à la fois indispensable et extrêmement puissant pour soutenir un modèle agricole et alimentaire permettant de nourrir l’humanité tout en préservant l’environnement, renforçant les économies locales et en réduisant nos émissions en gaz à effet de serre.

Pour faire converger enjeux écologique et humain au service d’un monde plus juste, nous faisons les recommandations suivantes :

Recourir, soutenir et promouvoir des modes de production agro-écologiques.
L’agro-écologie[[ – “L’agro-écologie vise à produire une alimentation diversifiée et de qualité ; reproduire, voire améliorer, la fertilité de l’écosystème; limiter le recours aux ressources non renouvelables ; ne pas contaminer l’environnement et les hommes ; contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Pour cela, l’agro-écologie valorise le potentiel des écosystèmes en matière de captation de ressources naturelles externes (énergie solaire, eau, carbone et azote de l’air,) et utilise les synergies et flux internes à ces écosystèmes (diversité de cultures, complémentarités entre les productions végétales, animales et les arbres, lutte biologique, etc). Pour certains, l’agro-écologie comprend également une dimension sociale, économique et politique forte : réorganisation des filières sur des circuits plus courts avec un renforcement des organisations” voir les Notes de la C2A, Répondre aux défis du XXIème siècle avec l’agro-écologie : pourquoi et comment ?, Janvier 2013]] participe à la préservation et à la durabilité des ressources naturelles et de l’environnement et favorise la régénération des sols. Elle est basée sur des savoir-faire traditionnels, comme l’utilisation de semences et de matériel végétal adaptés aux conditions climatiques locales, les associations culturales complexes ou une gestion responsable de l’eau, étayée par les plus récentes recherches scientifiques en agronomie.

En privilégiant les prairies et les techniques culturales favorables à l’augmentation du stock organique des sols, l’agro-écologie renforce les puits naturels de carbone que constituent la matière organique du sol et la biomasse vivante et contribue efficacement et durablement à la séquestration du carbone dans les sols.

Pourvoyeuse d’emploi, l’agro-écologie allie les performances d’une production agricole et alimentaire satisfaisante à la provision de services écosystémiques tels que l’habitat pour la biodiversité animale et végétale, le maintien de la diversité génétique, la gestion optimisée de l’eau agricole, la fertilité des sols, la lutte contre la désertification[[- L’agro-écologie est considérée parmi les solutions pour la gestion durable des terres à grande échelle afin d’atteindre l’objectif de « neutralité en matière de dégradation des terres », tel que stipulé dans la déclaration « Notre avenir à tous Rio+20 » et adopté à la COP12 de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification à Ankara.]] et la dégradation des terres, la préservation et la restauration des terres.

La conduite intégrée des cultures et élevages permet une valorisation optimale des ressources naturelles et des facteurs de production, en limitant, voire en évitant le recours à des intrants chimiques coûteux, énergivores, et générateurs d’effets secondaires néfastes tant sur l’environnement que sur la santé des utilisateurs et riverains. Elle accroit les capacités des populations les plus vulnérables à faire face aux impacts des changements climatiques. L’agro-écologie place la souveraineté alimentaire, le libre accès et la libre utilisation des ressources naturelles par les petits producteurs, notamment les femmes, au coeur d’une approche holistique de l’agriculture.

Assurer un réel soutien aux pratiques agro-écologiques passe par la mise en place de politiques publiques, de mécanismes de financements publics ciblés et dédiés et de valorisation des productions agro-écologiques (notamment par exemple via l’information des consommateurs voire le recours à une labellisation : Label Agriculture Biologique, indication d’origine géographique type Appellation d’Origine Contrôlée, Haute Valeur Environnementale, etc.). La demande des consommateurs est un outil puissant de réduction des émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie des produits alimentaires, de leur fabrication à leur consommation.

• Diminuer la consommation de viande permet de réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole (un régime très carné correspond à environ 7,26 kg eqCO2/jour/personne contre 2,94 kg eqCO2/jour/personne pour un régime peu carné). Cela permet aussi de limiter la déforestation et la concurrence pour les terres vivrières dans certaines régions du monde, où les surfaces de culture sont principalement utilisées pour la production d’aliments pour les animaux (comme le soja par exemple) en monoculture destinés à l’exportation majoritairement.

• Diminuer la consommation des produits transformés, sur-emballés et hors saison (les étapes de la transformation des industries agro-alimentaires et de la commercialisation sont émettrices de gaz à effet de serre, fortement consommatrices d’énergie et d’eau, avec un fort risque de pollution des milieux aquatiques), en plus de celle des produits laitiers, sucrés et gras, dont l’excès a des conséquences négatives pour la santé.

• Appuyer le développement de circuits courts et locaux qui ont un effet immédiat sur la réduction du transport distant et frigorifique (dont le transport international), permet d’augmenter les revenus des paysans en supprimant des intermédiaires et stimule une production adaptée aux besoins locaux, créatrice d’emplois au niveau des territoires de production.

• Éviter le gaspillage alimentaire (un tiers de la production alimentaire mondiale termine à la poubelle chaque année), en faisant évoluer comportements, procédures et équipements au niveau de tous les acteurs de la chaîne alimentaire au nord comme au sud : agriculteurs, industriels de l’agro-alimentaire, distributeurs, restaurateurs, citoyens…

Cette transition de nos systèmes alimentaires, des champs à l’assiette, peut notamment être portée par la restauration collective. Les cantines scolaires et les restaurants publics d’entreprises (hôpitaux, administration, etc.) seraient ainsi les acteurs privilégiés d’un vaste programme de sensibilisation, à enclencher par les pouvoirs publics, en parallèle de leur nécessaire soutien accru aux filières “vertueuses”, comme celle des protéines végétales (dont la production sur le territoire français reste inférieure à la demande).

Un tel modèle alimentaire, en fournissant et en rendant accessible à tous une nourriture variée de bonne qualité nutritionnelle, adaptée à la culture et exempte de résidus chimiques, comporte de nombreux co-bénéfices, tels que l’amélioration de la santé de la population et la relance d’activités économiques locales. Il est aussi le plus à même au niveau mondial de lutter efficacement contre la malnutrition (sous-nutrition et surnutrition/obésité).

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