Amérique latine : Des jeunes théologiens reprennent le flambeau de la théologie de la libération

Publié le 04.08.2013

En un demi-siècle, l’Amérique latine a connu d’innombrables changements économiques, sociaux et politiques. Entre caps à maintenir et nouveaux enjeux, les théologiens du continent réfléchissent et souhaitent faire entendre leur voix. En commençant par les thèmes de l’écologie et de la place des laïcs dans l’Église.


L’image se voulait symbolique. En clôture du Congrès continental de théologie qui s’est tenu en octobre dernier à l’Université jésuite de São Leopoldo, dans le sud du Brésil, les organisateurs avaient convié cinq jeunes théologiens et théologiennes latinoaméricains à monter sur scène.
Un peu intimidés, les jeunes gens ont pris successivement la parole devant un public considérable, parmi lequel se trouvaient des figures historiques de la théologie de la libération, comme Leonardo Boff, Jon Sobrino, Pablo Richard, Frei Betto ou encore Victor Codina :

« Nous, jeunes théologiens, affirmons solennellement que nous souhaitons poursuivre l’immense travail accompli par nos illustres prédécesseurs. Pour cela, nous prenons devant vous trois engagements :

  • réaffirmer le caractère incontournable de l’option préférentielle pour les pauvres, notamment pour les plus jeunes ;
  • accomplir un travail pastoral qui nous permette d’être en phase avec la réalité ;
  • et enfin œuvrer pour une théologie qui pense, agit et vit Dieu. »

En 1962, Jean XXIII initiait à Rome le concile Vatican II. Dix ans plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, le Péruvien Gustavo Gutiérrez publiait Théologie de la libération, un ouvrage de référence pour des générations de chrétiens.
José Oscar Beozzo, historien de l’Église catholique latino-américaine et coordinateur général du Centre œcuménique des services à l’évangélisation et à l’éducation populaire (Ceseep), partenaire du CCFD-Terre Solidaire explique :
« La théologie de la libération est toujours un grand mouvement de spiritualité qui allie la lecture divine de la Bible au témoignage du règne de Dieu dans le sillage de Jésus. À l’époque, [cette théologie] avait pour mission de répondre à une situation d’urgence économique et de crises politiques. Si le visage du continent a changé, la pauvreté et l’exclusion sociale sont toujours aussi importantes. »

Des laïcs plus libres à l’égard de l’Institution

Évidemment, dans la forme, cette théologie a considérablement évolué depuis plus d’un demi-siècle. Tout d’abord par ses acteurs :
– plus nombreux,
– moins connus,
– peut-être pas aussi productifs d’un point de vue théorique et littéraire que leurs illustres prédécesseurs, mais très actifs sur le terrain.
– Femmes, indigènes, noirs…
La diversité est plus grande, et ce sont de plus en plus fréquemment des laïcs qui travaillent et réfléchissent au rôle de la religion dans, et pour, la société latino-américaine.
Des laïcs moins liés à la hiérarchie de l’Église et donc moins dépendants de son appui, notamment économique. Pablo Richard, « père » de la théologie chilienne souligne :

« Cet aspect est très important, car cela change fondamentalement l’approche de ces théologiens et théologiennes. En étant plus libres pour parler, écrire et exister en dehors du cadre ecclésial, ils et elles changent également le visage de la théologie en agissant de manière libératrice à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. »

Le théologien chilien voit d’ailleurs dans la présence des laïcs une possibilité pour l’Église latino-américaine de se réformer profondément.

« Aujourd’hui, l’Église doit changer ses structures qui datent du concile de Trente, au XVIe siècle. Car la structure paroissiale est en crise et concentrée sur elle-même. Il faut donc élargir l’horizon, notamment en développant le mouvement populaire de la Bible qui permet à chacun de s’approprier les écritures saintes. Pour cela, poursuit Pablo Richard, l’Église doit reconnaître et renforcer le rôle de ces laïcs. Cela passe par la création d’un espace plus autonome au sein même de la paroisse en faveur de ces derniers, sans pour autant couper les liens avec l’Église. »

Pour Jung Mo Sung, économiste, docteur en théologie et enseignant à l’université méthodiste de São Paulo, au Brésil, l’Église peut d’ailleurs profiter de la présence des laïcs pour créer des passerelles avec la société civile.

« Sur l’ensemble du continent, on observe que si les théologiens laïcs s’impliquent encore beaucoup dans les activités pastorales, ils et elles ont aussi conscience de la transversalité des thématiques couvertes par la théologie et s’investissent souvent en parallèle dans les mouvements sociaux et altermondialistes. »

En particulier ceux qui travaillent sur le thème de l’environnement.

« Si nous veillons sur ce monde, nous veillons sur Dieu »

Car l’un des principaux défis auquel le continent latino-américain est confronté est bien celui de la question écologique. Déforestation, exploitation minière, complexes hydroélectriques, agrobusiness…
Les menaces sont nombreuses et chaque jour plus importantes. Une détérioration de l’environnement qui, comme l’a martelé Leonardo Boff, affecte particulièrement les pauvres.

« Ce sont les principales victimes des sécheresses, des inondations et des dévastations causées par les catastrophes environnementales. Pire, par manque de ressources, les pauvres contribuent à la destruction de cet environnement. Le combat contre la pauvreté et pour la préservation de l’environnement est donc le même. »

Leonardo Boff a d’ailleurs rappelé que les théologiens chrétiens ne pouvaient pas fuir leurs responsabilités face aux menaces faites à la terre.

« Car une théologie qui n’aborderait pas le thème du devenir de la planète ne serait pas sérieuse. »

Pour éviter que « la Terre soit crucifiée », pour reprendre l’expression de Jon Sobrino,prêtre jésuite et théologien salvadorien d’origine basque, le salut passe d’abord, selon Leonardo Boff, par une prise de conscience urgente.

« Nous pouvons considérer que nous vivons une grande tragédie prévisible et rester passifs, ou alors nous rendre compte que nous sommes face à une crise majeure de civilisation et que nous devons changer. L’alternative aujourd’hui est : ou nous changeons, ou nous mourrons ! »

Un avis partagé par Jon Sobrino.

« Sous couvert de la modernité, nous avons laissé se construire une machine de mort qui peut nous détruire, explique ce dernier. Nous n’avons plus de sentiment, ni d’indignation. Pourtant, l’origine des religions est bien le sentiment du monde et non la raison du monde. Pour cela, il y a la science. Le plus grand crime de l’humanité aujourd’hui, selon moi, est bel et bien la perte de sensibilité au profit de la raison. Si nous veillons sur le monde, nous veillons sur Dieu. »

Les théologiens latino-américains appellent donc massivement au changement pour sauver la planète. Mais sous quelle forme ? Pour Leonardo Boff, cela passe par l’abandon du capitalisme.

« Ce système a déjà accompli sa mission historique. Et il n’a plus de condition de survie. S’il s’impose aujourd’hui, c’est uniquement par la violence à défaut d’avoir des arguments pour convaincre. »

Pour d’autres, il y a urgence à faire une éducation « ciblée ». Victor Codina, théologien espagnol vivant en Bolivie suggère avec humour :

« Il convient d’élaborer un projet d’éducation populaire, tel que le propose par exemple Fritjof Capra, un physicien américain. Il s’agirait de donner des cours d’alphabétisation écologique à l’attention des plus analphabètes qui existent aujourd’hui dans notre société : les grands patrons ! »

Une démarche qui pourrait porter ses fruits, à condition toutefois que les élèves soient appliqués. Et aient foi en l’avenir de la planète.

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