Analyse – Caritas in Veritate

Publié le 15.09.2009| Mis à jour le 07.12.2021

Une encyclique est un chapitre important dans l’histoire de l’Église et peut-être aussi du monde. La parole du Pape sur les questions sociales est attendue, c’est un événement. Benoît XVI, comme ses trois prédécesseurs, écrit non seulement pour les catholiques mais pour tous « les hommes de bonne volonté. » Aborder une encyclique demande d’avoir trois éléments à l’esprit : l’état du monde au moment où elle est publiée, la situation de l’Église à la même période et la personnalité du Pape qui en est l’auteur.

Dans la ligne de Vatican II et de Populorum progressio

« L’amour dans la vérité » s’inscrit dans la tradition des grandes encycliques sociales et Benoît XVI situe son magistère social dans la ligne de l’enseignement de Paul VI et dans le prolongement de Vatican II : « Le Concile a approfondi tout ce qui appartient depuis toujours à la vérité de la foi, c’est-à-dire que l’Église qui est au service de Dieu est au service du monde selon les critères de l’amour et de la vérité » (n°11). Le premier chapitre est une commémoration chaleureuse de Populorum progressio. Ne cite-t-il pas plus de 40 fois cette encyclique publiée en 1967 pour en souligner la pertinence, l’actualité et la nécessité de l’adapter aux réalités nouvelles ?

Quelques rappels

L’encyclique souligne en premier lieu l’extrême dignité de la personne humaine. Elle montre que si la charité (c’est-à-dire l’amour et non l’attitude paternaliste qu’on discerne parfois dans les œuvres dites de charité) dépasse la justice, elle ne supprime en rien cette exigence : « Qui aime les autres avec charité est d’abord juste envers eux » (n°6). Cette affirmation reprend des propos de Pères de l’Église comme St Ambroise (340-397) ou St Grégoire le Grand (540-604). Benoît XVI fait aussi référence au bien commun : « On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage au bien commun qui répond également à ses besoins réels » (n°7).

Dans le chapitre « Le développement humain aujourd’hui », tout partisan du développement de tous les hommes et de tout l’homme, trouvera de quoi vivifier son action. Le Pape insiste sur les « déséquilibres et les problèmes dramatiques mis davantage en relief par l’actuelle situation de crise ». Il propose un axe central pour toute l’action économique et financière : « La visée exclusive du profit, (…) s’il n’a pas le bien commun comme but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. » (21).

Reprenant les accents dramatiques de l’appel de Jean XXIII en 1961 (d’où naîtra le futur CCFD), l’analyse du Pape se fait pressante : « Donner à manger aux affamés » (Math.25) est un impératif éthique pour l’Église universelle… La faim ne dépend pas tant d’une carence de ressources matérielles que d’une carence de ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature institutionnelle ». Le cap proposé, l’encyclique fixe clairement la direction : « Le problème de l’insécurité alimentaire doit être affronté dans une perspective à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à l’origine. » (27).

Enfin, en soulignant un souci exprimé à plusieurs reprises dans ce texte, le Pape propose une manière de faire : « Tout cela doit être réalisé en impliquant les communautés locales dans les choix et les décisions. » (27). Cette recommandation illustre le principe de subsidiarité, l’un des aspects importants de la pensée sociale de l’Église catholique.

Des accents nouveaux

Benoît XVI appelle à des comportements nouveaux, car « le cadre du développement est aujourd’hui multipolaire » et « la société toujours plus globalisée nous rapproche mais elle ne nous rend pas frères » (n°19). Les paragraphes de 21 à 37 analysent les dysfonctionnements existants et proposent non des « solutions techniques car ce n’est pas le rôle de l’Église » (n°9), mais des orientations d’action.

On peut citer par exemple les migrations, dont le papeparle en termes à la fois exigeants et opérationnels : « Tout migrant est une personne humaine, qui en tant que telle possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toutes circonstances. » (62). Cette question, ainsi que d’autres abordées par l’encyclique, exigent des réactions tant nationales qu’internationales. Le pape met la communauté des peuples et des nations devant ses responsabilités et appelle à la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale… pour réguler les flux migratoires… pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix,il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale… » (67)

On peut citer aussi la nécessité d’une utilisation éthique de l’outil financier, la microfinance, le sens de la gratuité en économie. Autant de thèmes à approfondir au cœur de l’action.

Quelques regrets

Tout en invitant vivement à sa lecture, on peut tout d’abord regretter que certains passages du texte ne soient pas toujours faciles d’accès.

Même si plusieurs paragraphes sont consacrés à l’écologie et ouvrent la perspective d’une « écologie humaine », dans laquelle l’environnement et la vie font un tout, il est probable que ceux que préoccupe le développement durable seront un peu déçus. Comment penser l’avenir de la planète dans un monde qui connaît tant de bouleversements de toutes natures ? Le concept même de développement n’est-il pas remis en cause aujourd’hui par des « hommes de bonne volonté » ? En tout cas, l’interrogation sur la croissance économique, sa finalité, sa réalisation, semble devoir être approfondie. Le moment n’est-il pas venu pour toutes nos sociétés de faire des choix difficiles à ce sujet ?

De même, certains considéreront que les questions démographiques sont abordées de manière trop étroite, comme si la crainte de voir le respect de la vie bafouée et la sexualité pervertie par l’hédonisme ambiant, empêchait que soient sérieusement traités les problèmes d’éthique sociale que posent aujourd’hui l’accroissement même ralenti de la population de la planète et celui encore fort des pays les plus pauvres.

La vérité

L’aspect le plus spécifique de l’encyclique se lit dans son titre : « L’amour dans la vérité ». Benoît XVI prolonge et complète sa précédente encyclique :« Dieu est amour » (cf. le n° 6/2009 de Documents épiscopat). « Il faut conjuguer amour et vérité, non seulement dans la direction indiquée par St Paul, celle de la vérité dans la charité mais aussi dans celle, inverse et complémentaire, de la charité dans la vérité » (n°3). Cette référence à la vérité et à son lien avec l’amour constitue l’essentiel de la longue introduction de l’encyclique. Benoît XVI dit avec fermeté que la source de l’amour est en Dieu et que « Dieu lui-même est la vérité » (n°1). Il écrit dans la conclusion que « l’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain ». Alors qu’il s’adresse « à tous les hommes de bonne volonté » la radicalité de cette expression ne risque-t-elle pas de décourager le lecteur peu averti, de blesser ceux qui n’ont pas la foi, mais agissent eux aussi pour que la justice et l’amour progressent dans les relations entre les hommes et dans le monde ? Le nécessaire dialogue auquel le Pape appelle par ailleurs ne sera-t-il pas plus difficile ? Le Pape fait référence à Gaudium et spes (l’Église dans le monde de ce temps) du Concile Vatican II (n°11). Ce texte induit une manière de vivre les relations entre l’Église et le monde tout autre : un dialogue avec le monde, à l’opposé de celle qu’exprime l’expression d’un humanisme qui serait inhumain sans Dieu.

Tous les hommes de bonne volonté s’accorderont sur l’utilité qu’il y a à fonder le développement des peuples sur « une vision métaphysique de la relation entre les personnes » (53). Pour les chrétiens, la plénitude de l’amour est en Dieu. C’est auprès de Lui qu’ils trouvent la force immense de l’espérance et le courage de continuer à croire en l’amour et à le vivre, malgré les blessures personnelles et les blessures du monde. Tous ceux qui considèrent qu’une des tâches des chrétiens aujourd’hui est de dire et de vivre l’espérance trouveront dans ce texte de quoi nourrir largement leur réflexion, leur méditation et leur action. La crise aiguë que connaît actuellement la mondialisation rend évidente l’exigence d’une conscience morale renouvelée.

Le Pape a fait son « travail ». À chacun maintenant de le poursuivre en l’incarnant et en relevant avec tous le défi du développement vrai.

Guy Aurenche, président du CCFD-Terre Solidaire.
René Valette, ancien président du CCFD-Terre Solidaire.

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