Au cœur des sociétés civiles : choisir un partenaire

Publié le 03.05.2011

Au sein des sociétés civiles, des acteurs « de changement » ou « de transformation sociale » doivent être identifiés.


Comment procéder ? Est-il possible d’isoler à coup sûr, dans l’univers des acteurs sociaux, celui dont le potentiel « transformateur » (puisqu’il s’agit d’encourager la transformation sociale) et « structurant » (puisque, du renforcement d’un acteur, il s’agit de passer progressivement au renforcement et à la structuration de la société civile dans son ensemble) est le plus assuré, le plus fécond, le plus susceptible de résister à l’épreuve du temps ?

La réponse à cette question passe en premier lieu par l’intelligence du contexte. La connaissance fine des sociétés et de leurs dynamiques est essentielle. à trop vouloir faire de la société civile un outil des politiques de coopération et de développement, on court le risque de renoncer à la qualifier et à travailler au plus près des processus sociaux réellement à l’œuvre dans les pays.

La connaissance fine des sociétés et de leurs dynamiques est essentielle.

Bien connaître ces processus sociaux sur le moyen et le long terme, identifier les acteurs les plus porteurs de dynamiques de nature structurelle, donc susceptibles de modifier l’environnement institutionnel, social, de politique générale, bien apprécier la nature de la relation partenariale que l’on est susceptible d’établir avec ces acteurs et anticiper leurs évolutions sur le long terme sont les trois conditions essentielles d’une bonne identification des partenaires.

La connaissance des processus sociaux

Les profils, sphères d’intervention, structuration, mobiles, niveaux d’organisations et de compétences des sociétés civiles diffèrent grandement d’un pays à l’autre. Pour analyser les dynamiques des organisations de la société civile (OSC), il faut comprendre d’où elles viennent, pourquoi elles ont émergé, comment elles ont évolué et ce au regard des contextes politiques et institutionnels ; des enjeux de développement, notamment économiques, mais aussi durables ; de la (des) culture(s) et de la société.

Quelques éléments de catégorisation des sociétés civiles en fonction des contextes politiques et institutionnels Dans les pays de tradition démocratique, la société civile est assez diversifiée et sectorisée. Elle traite des questions de développement, d’environnement, de défense d’intérêts catégoriels, d’inégalités. On y trouve surtout des organisations professionnelles, des syndicats, des centres de recherche, des mouvements citoyens, des associations de toute sorte.

Dans les pays soumis à l’arbitraire du despote ou des pouvoirs de facto, la société civile est souvent sous contrôle, les risques de répression existent. Les mouvements liés à la revendication des droits sont discrets ou emploient des paravents (fourniture de services sociaux) pour masquer leurs activités réelles. Le droit d’association peut être interdit et la société civile agit alors sous couvert d’autres formes juridiques : centres de formation, entreprises. Elle ne peut se structurer ouvertement mais les acteurs utilisent quelquefois leurs liens à l’étranger pour se maintenir en contact les uns avec les autres.

Dans les pays où une crise de confiance a éclaté entre l’État (souvent en « crise », en « faillite » ou « fragile ») et la population, entraînant des grèves, des flambées de violences, des manifestations diverses, voire des rébellions armées, la société civile fait de la défense des droits de l’homme, de la démocratie, du partage des richesses, de l’éducation à la non-violence mais aussi, de la lutte contre la corruption et l’impunité, ses priorités. La dégradation politique et institutionnelle qui caractérise ces situations lui impose de grands efforts en matière de structuration.

Dans les pays où il n’y a pas d’État (Somalie) ou à peine (Haïti, République Démocratique du Congo), les acteurs sociaux se retrouvent dans l’obligation d’assumer des prérogatives de puissance publique, de façon tantôt officielle, tantôt (le plus souvent) officieuse. L’État délègue ses compétences en matière sociale, de sécurité… Parfois, les administrations, devenues coquilles vides, sont doublées par des organisations non-étatiques.

Dans les pays en guerre, la société civile se préoccupe plus particulièrement du secours humanitaire et de la sécurité des personnes.

Certaines sociétés civiles peuvent aussi émerger de façon tout à fait opportuniste. Ainsi, depuis une dizaine d’années, de nombreux bailleurs font de la société civile un possible prestataire de services sociaux en lieu et place d’États en crise. Des compétences, des rôles et des responsabilités sont confiés collectivement (processus de concertation, espaces de consultation…) et individuellement (délégation de maîtrise d’ouvrage ou de maîtrise d’œuvre) à des OSC, sans que l’on ait vérifié au prélable qu’elles avaient réellement les moyens, la légitimité et les normes éthiques indispensables à leur action. Tout ceci concourt à une certaine « dé-légitimation » de la société civile aux yeux de l’opinion publique, prompte à assimiler toutes les organisations et à les juger à la même aune.

Distinguer les organisations légitimes des autres est essentiel. Quelques critères y contribuent.

Quelques éléments de repère concernant la société civile

Les acteurs sociaux des pays du Sud et de l’Est émergent au sein de sociétés tout à la fois traditionnelles et modernes : reposant sur des fonctionnements ancrés dans la permanence et incorporant dans le même temps des modes de faire et d’être caractéristiques de notre modernité.

Ainsi, il existe dans les communautés des associations de solidarité traditionnelles (informelles, adossées au système de parenté et d’alliance) que l’on néglige souvent de voir : groupes de femmes autour des tontines, regroupement par classes d’âge dans les communautés ou à l’école, associations de quartiers, de développement villageois, organisations sociales et de coopération reposant sur la famille élargie, le clan, le totem, le voisinage… La façon dont ces associations interagissent avec les transformations et les processus de « développement » en cours doit être considérée et interrogée.

Les acteurs sociaux qui empruntent des modes de faire et d’être qui relèvent du « moderne » (entreprises, mais aussi ONG, syndicats, centres de recherche) s’ajustent aux modèles occidentaux, qu’ils réinterprètent au gré des contextes.

Les professionnels de la coopération internationale reconnaissent à coup sûr ces acteurs de modernisation. Ces derniers (sinon tous, du moins les plus éclairés) savent cependant combien il est essentiel de tenir compte des réseaux locaux traditionnels, vecteurs d’information et lieux de décision de première importance. Ils possèdent des clés de lecture dont les agents de coopération extérieure sont dépourvus. à leur tour ils peuvent donc être amenés à nouer des partenariats avec ces réseaux, socialement enracinés.

Les religions contribuent également à la mo­der­nisation ou à la réaction sociale. En Amérique latine par exemple, le courant catholique progressiste de la deuxième moitié du XXe siècle, notamment celui de la théologie de la libération, a engendré un vaste mouvement d’éducation populaire et de « conscienti­sation » des plus démunis, qui a formé et façonné des générations de responsables de la société civile. En Afrique, on ne compte plus les nombreux groupes religieux, association de
femmes ou jeunes chrétiens ou musulmans, groupes charismatiques et sectes de tous types, dont les effets « transformateurs » ne sont pas négligeables. De même dans le bassin méditerranéen, l’Europe de l’Est et l’Asie, l’évolution de la pratique et du sentiment religieux, notamment de l’Islam, et les réactions qu’elle suscite, façonnent la physionomie des sociétés civiles, tantôt multiconfessionnelles, tantôt résolument laïques.

Les méthodes d’appréciation des contextes

Il est nécessaire de recouper de nombreuses informa­tions, de produire des analyses et de prendre des temps longs d’immersion pour appréhender la société civile d’un pays. Évidemment et en aucun cas cette appréhension ne pourra être exhaustive tant les structures sont nombreuses et mouvantes. Les sources d’information sont : les répertoires existants et les analyses d’experts (rares). Cependant, les textes sont très vite obsolètes : certaines organisations ont disparu, d’autres ont largement évolué, d’autres encore ont acquis un poids tout à fait différent dans la dynamique générale de la société civile ;

  • les informations provenant des bailleurs et de diverses institutions intervenant dans le pays. Cependant nombre d’entre eux ne travaillent qu’avec les plus grosses structures et en fonction de leurs critères propres ;
  • les échanges directs avec les différentes plates-formes et réseaux existants. L’écoute de leurs stratégies, la lecture de leurs documents, les échos de la presse, permettent de pressentir les problématiques de fond auxquelles s’attaque la société civile et de saisir les structures les plus actives dans tel ou tel champ. Toutefois ces plates-formes ne comptent pas parmi leurs membres l’ensemble des organisations existantes.
  • les échanges directs avec les partenaires locaux existants et les autres corps de la société civile (syndicats, fédérations professionnelles agricoles, ONG, collectivités locales, journalistes locaux, univer­sitaires…). Ces sources d’information sont par nature multiples et diversifiées. Elles permettent ainsi de croiser différents types d’analyses et de recueillir facilement une information peu accessible ailleurs. Ce canal d’information est régulièrement utilisé par le CCFD – Terre Solidaire ;
  • les échanges avec les pairs : que se disent-ils les uns des autres ? Le CCFD – Terre Solidaire est membre de nombreux réseaux et plates-formes constitués d’organisations françaises, européennes voire internationales. Ils sont structurés sur des bases géographiques ou thématiques et permettent un partage d’informations et d’analyses sur les contextes locaux, sur les acteurs de la société civile.

Le CCFD – Terre Solidaire rencontre au fil des ans, de nombreux acteurs au cours des « missions de terrain », et c’est certainement la multiplicité de ces rencontres
et le temps passé qui lui permettent de se doter d’une analyse propre.

Discernement et appréciation des organisations

Le choix et l’appréciation des acteurs supposent plusieurs éléments de discernement qui doivent être entendus de façon dynamique et non comme des critères figés.

Choisir des « acteurs de changement social »

Ce sont des acteurs organisés porteurs de dynamiques particulières : ils saisissent la nécessité d’un changement durable pour les populations, ils cherchent à agir sur les causes structurelles.

Le choix se porte davantage vers des organisations socialement enracinées plutôt que vers celles dotées de strictes compétences techniques. Elles sont capables de mobiliser les groupes sociaux et de susciter, ainsi, des transformations structurelles, en raison de leur capacité d’analyse pertinente des contextes locaux. Des opérateurs strictement techniques ne sortiront en général pas du champ opératoire et ne sauront évoluer au gré des dynamiques sociales. L’alliance entre techniciens et acteurs du « mouvement social » est cependant essentielle : c’est la conjugaison des deux talents qui rendra mutuellement pertinente l’action de chacun.

Le choix se porte également sur des acteurs intervenant dans un champ innovant, thématique ou géographique, prenant des risques, allant peut être à contre-courant. Cela n’exclut pas du champ d’intérêt les acteurs positionnés sur des thématiques plus anciennes.

La question de la légitimité et donc de la repré­sentativité du partenaire se pose également. Qui sont les fondateurs ? Qui le partenaire représente-t-il ? Quelle est son histoire ? De quoi vit-il ? Comment se comporte-t-il ? Quels sont ses liens avec sa « base », les popula­tions concernées par son action ? Ces questions essentielles permettent souvent de juger de l’enracinement et de l’éthique de la structure.

La forme de la structure Le CCFD – Terre Solidaire travaille avec des organisations de formes très différentes mais la relation ne se construira pas de la même façon suivant les cas.

Jusque dans les années 80, il s’agissait plutôt de bureaux diocésains de développement (liés à l’église) et de mouvements d’action catholiques calqués sur ceux existant en France et en Europe : le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), les Scouts ainsi que des congrégations religieuses ou encore des associations villageoises de développement et des organisations communautaires de base.

Par la suite, avec l’apparition de nouveaux types d’acteurs locaux, le champ a été élargi aux ONG, aux organisations paysannes, aux organisations professionnelles, aux centres de recherche, aux universités, aux mouvements populaires de type nouveau (de femmes, de jeunes), aux mouvements des Droits de l’Homme, aux mutuelles de solidarité et aux institutions de microfinance, plus rarement aux collectivités locales. à partir des années 2000 et avec la structuration croissante des sociétés civiles dont il est aussi un des artisans, le CCFD – Terre Solidaire accompagne des réseaux thématiques, des plates-formes et des fédérations regroupant plusieurs acteurs de même catégorie ou variés. Cela peut l’amener à dialoguer avec des syndicats. Dernièrement, le CCFD – Terre Solidaire est devenu membre à part entière de programmes innovants de nouveaux modes de coopération : les Programmes concertés pluri-acteurs.

Une compatibilité d’orientations entre partenaires

Il est important de partager une même vision du développement et de porter des valeurs communes, telles que la promotion de la personne humaine, le souci du bien commun et la participation à la vie démocratique.

Le CCFD – Terre Solidaire et ses partenaires partagent aussi un certain nombre de principes :

  • en termes de sens : il y a un partage d’analyse des problématiques et solutions à apporter. Le sens du mot « développement » est interrogé, les modes de développement occidentaux n’étant pas considérés comme des modèles absolus ;
  • en termes de convergence d’intérêts : la mondialisation induit des problématiques
    partagées au Nord comme au Sud. Des politiques publiques nationales ou internationales ont des retombées dans d’autres pays, aux confins des territoires. Le CCFD – Terre Solidaire, ses partenaires et alliés, agissent en commun au sein de réseaux pour faire évoluer en amont comme en aval les causes du mal-développement ;
  • en termes de fonctionnement : ces structures ont une certaine vie démocratique, une transparence, une répartition des responsabilités et la recherche d’une amélioration des relations de coopération et des rapports de pouvoir entre les sexes.

Enfin, le CCFD – Terre Solidaire et ses par­tenaires partagent une même vision et démarche :

  • une entrée par le droit : le droit des minorités, le droit d’association, les droits de l’Homme en général ;
  • l’affirmation d’une identité de citoyen, potentiellement universelle, qui doit prédominer sur toute autre source d’identification (ethnique, culturelle, professionnelle, géographique…) sans qu’aucune de celles-ci ne soit exclue ;
  • la reconnaissance de l’accès aux ressources comme une condition élémentaire de développement pour les populations : sécurisation de la terre, de l’eau, accès au financement ;
  • l’attention à la richesse non marchande, la diversité du savoir social. Car ce sont des outils de stabilité sociale, politique et de développement économique. Certains « savoirs », notamment traditionnels, sont « signifiants » pour le corps social et entrent en «résonance» avec lui.

Les compétences et la cohérence de l’organisation

Il s’agit d’être attentif à l’adéquation entre la stratégie, les objectifs et les ressources humaines et financières de la structure en s’informant de ses capacités de gouvernance et de reporting et en s’intéressant à l’expérience déjà acquise. L’idée est donc d’adapter la relation partenariale aux conclusions de ces analyses et non de faire de ces dernières un critère absolu d’intégration ou de rejet.

L’adéquation avec les priorités stratégiques exigées par le contexte

À la suite de l’analyse située des dynamiques sociales et des enjeux spécifiques de chaque pays, le CCFD – Terre Solidaire décline ses orientations stratégiques, notamment ses six thématiques d’intervention, au niveau de chaque sous-région et pays. Pour ce faire, il analyse les problématiques, les dynamiques institutionnelles existantes pour chacune des six thématiques.

Le choix d’un partenaire est donc fonction de sa plus-value particulière au regard de telle ou telle problématique ou enjeu de développement.

Évaluation du potentiel « partenarial » des organisations et engagement de la relation

Aider à construire dans les pays une société civile pour un développement commun nécessite de rechercher une complémentarité et, de plus en plus, une synergie entre les différents partenaires d’un même pays. Les expériences et compétences spécifiques des uns et des autres peuvent ainsi être partagées, en tirant souvent parti du rôle médiateur du CCFD – Terre Solidaire, lequel permet de faciliter un dialogue et une concertation.

Ainsi, dans un pays en conflit par exemple, il peut être judicieux de soutenir des associations travaillant à la sécurisation des biens matériels, à la réconciliation intercommunautaire, à l’insertion socio-économique des jeunes ; mais aussi, des instituts de recherche et de formation, des mouvements de Droits de l’Homme, une plate-forme nationale contribuant à la réflexion sur la sortie de crise. Le travail pratique des uns peut être accompagné par les formations des autres, les réflexions s’enrichissent mutuellement entre chercheurs et acteurs de terrain, les revendications des uns, pas assez audibles, peuvent être portées par ceux qui se font plus entendre du pouvoir…

En fonction des organisations, le partenariat sera différent. Dans certains cas, l’appui projet sera important, parce que les partenaires sont encore peu expérimentés ou parce qu’ils travaillent dans des régions aux besoins spécifiques. Dans d’autres, le développement et la croissance de la structure associative, le changement d’échelle, peuvent exiger une attention particulière. Certaines structures, souvent les plus anciennes, ont étendu leur champ d’action à l’échelle nationale, régionale voire internationale. Fortes de leurs expériences et de leur taille, elles peuvent alors être porteuses de revendications et de propositions auprès des autorités nationales et internationales : ceci permet d’envisager un autre type d’accompagnement, voire une véritable alliance stratégique et politique.

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