Au Laos, Sisaliao Svengsuksa promeut une agroécologie fraternelle
Compagnon de route du CCFD-Terre Solidaire depuis la fin des années 1980, Sisaliao Svengsuksa a commencé par former les paysans laotiens, puis leur offrir des crédits pour se développer avant de créer, entre autres, une coopérative de transformation agroalimentaire capable de leur offrir un débouché économique. Aujourd’hui président de l’Association de soutien au développement des sociétés paysannes (ASDSP), il revient sur ces vingt-cinq années d’engagement.
Sur quelles bases avez-vous bâti votre action avec les paysans?
Nous nous sommes inscrits dès le départ dans une optique de développement durable consistant à mettre en symbiose les trois dimensions que sont l’économie, le social et l’environnement. Cela nous semblait important de ne pas les dissocier afin de promouvoir une société fraternelle et solidaire. Pourquoi fraternelle et solidaire ? Parce que, si nous prenons l’exemple des barrages en gabions* que nous construisons, ce sont les paysans qui aménagent le site, collectent les cailloux, puis gèrent l’eau ou réparent le barrage quand il y a des problèmes. Formé de cages de fil de fer galvanisé remplies de grosses pierres disposées sur la rivière (les gabions), ce type de barrage ralentit l’eau et permet ainsi l’alimentation des canaux d’irrigation. Il est plus résistant que les traditionnelles structures en bois.
Derrière cette entraide des paysans pour construite les barrages, cette organisation au niveau du village pour prendre des décisions, il y a l’apprentissage de la démocratie.
L’aspect économique en découle puisque, maintenant, ils font deux récoltes par an, du riz et une culture de rente, ce qui augmente d’autant leurs revenus.
Quant à la dimension environnementale, elle vient du fait que, au départ, ces paysans défrichaient la forêt pour pratiquer la culture sur brûlis et donc, participaient au réchauffement de la planète.
Pourquoi le choix du bio ?
Le Laos a la chance d’avoir une agriculture en retard par rapport à celles des autres pays de la région. Nos exploitations sont de petites exploitations familiales qui ne connaissent pas encore les engrais chimiques. L’idée était de transformer ce retard en opportunité. Puisque nous ne pouvons pas concurrencer quantitativement nos voisins, il faut donc que nos produits aient une valeur spéciale. Cette valeur, c’est leur qualité. Aujourd’hui, on ne mange pas seulement pour se remplir l’estomac, mais pour prendre soin de sa santé.
D’autre part, il ne faut pas oublier que le Laos est un pays enclavé, sans accès à la mer. Nos produits doivent traverser la Thaïlande avant d’être expédiés en Europe. Cela augmente les frais. Seuls des produits de qualité peuvent donc rapporter quelque chose aux paysans, c’est ce que nous appelons un commerce équitable.
Ce modèle a fait de nombreux émules au Laos…
Lorsque la coopérative de crédit pour le soutien aux petites unités de production a été créée, en 1996, cela touchait environ 400 personnes. Maintenant, il y a des « caisses villageoises » basées sur notre statut et nos règlements intérieurs sur tout le territoire du Laos. Nos barrages en gabions se multiplient et une structure expérimentale que nous avions initiée pour de la pisciculture en cages a également essaimé à travers le pays. Des petites équipes, des ONG se sont également mises à faire du thé bio, du riz bio et même du miel.
Quelles difficultés rencontrez-vous aujourd’hui ?
La difficulté est de sortir du système d’économie en autarcie. Lorsqu’ils ont assez de riz pour l’année, les familles trouvent le reste dans la nature, les rivières et cela leur suffit.
Maintenant que le Laos va entrer dans le marché commun de l’Asean [[Initiée dès 2002, la Communauté économique de l’Asean veut, sur le modèle de l’Union européenne, transformer les dix pays de l’Asean en un marché unique. Ce nouvel espace, de plus de 600 millions de personnes, devrait, en principe, devenir réalité le 31 décembre 2015.]] , il va se retrouver en quelque sorte en compétition avec ses voisins et il faut donc se préparer à affronter cette concurrence. C’est une situation que nos paysans ne comprennent pas.
D’autre part, pour ce qui est de notre production proprement dite, si nous disposons bien des matières premières, nous devons importer tout le reste, les pots pour les confitures, les bouteilles pour les jus de fruits, les couvercles et même les étiquettes. Cela augmente les coûts de production.
Enfin, il reste toujours difficile d’amener nos paysans à la culture bio. S’ils n’ont pas l’habitude de mettre des engrais, ce qui est une bonne chose, ils n’ont pas non plus celle de tenir à jour nos formulaires, or c’est essentiel pour la traçabilité des produits.
Vous êtes également, depuis 2011, le seul membre indépendant de l’Assemblée nationale laotienne. Comment conciliez-vous votre engagement sur le terrain avec celui en politique ?
Mon combat en ce moment est de faire comprendre aux parlementaires qu’il ne faut pas commettre les mêmes erreurs que l’Amérique latine en octroyant nos terres en concession aux sociétés multinationales. Le Laos est en quelque sorte un ilot de sous-peuplement, c’est un pays grand comme la moitié de la France mais avec seulement un dixième de sa population.
Nos paysans ne possédant en moyenne qu’un ou deux hectares par famille, il reste donc encore beaucoup de terres vacantes et sans propriétaires qui sont convoitées par nos voisins. Lorsque des entreprises chinoises, vietnamiennes, thaïlandaises obtiennent des concessions, elles ne sont pas toujours très respectueuses des populations locales et de leur mode de vie.
Des familles paysannes se sont déjà retrouvées expulsées de leurs terres, des communautés ne peuvent plus aller chasser, chercher des légumes ou des fruits, des plantes médicinales dans les forêts parce que celles-ci sont entourées de clôtures. Le problème commence à devenir sérieux.
Propos recueillis par Patrick Chesnet
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