Au Liban, soutenir la production locale face à la crise alimentaire

Publié le 24.06.2021| Mis à jour le 10.01.2022

Alors que la livre libanaise a perdu 85% de sa valeur, le coût de la nourriture, majoritairement importée de l’étranger, est devenue inaccessible même pour la classe moyenne.
Si les distributions alimentaires sont devenues incontournables, les organisations partenaires que nous soutenons travaillent à la relance de la production alimentaire locale.

Reportage au Liban avec nos partenaires Alpha et Buzuruna Juzuruna.
Dans le quartier de Badaro, à Beyrouth, les terrasses des restaurants et des bars se remplissent dès la fin d’après-midi. Les trentenaires aisés s’y retrouvent pour siroter un verre ou déguster un plat.
Si l’inflation rend les prix en livres libanaises exorbitants, la dévaluation catastrophique de la monnaie permet aussi à celles et ceux dont les salaires sont payés en dollars d’avoir un pouvoir d’achat qui se maintient, voire augmente considérablement.
C’est tout le paradoxe de la crise économique au Liban. La population vit à deux vitesses. Et la classe moyenne disparait.

Les enseignants dans la file des distributions alimentaires

Distribution de colis alimentaire au Liban
Distribution de colis alimentaire au Liban

A une rue parallèle à celle de Badaro, une file d’attente.

Une cinquantaine de personnes, sont réunies dans un petit renfoncement, à l’entrée du restaurant solidaire de l’association BASSMA.
Ils attendent le début de la distribution derrière les grilles blanches de l’établissement. Les cartons sont distribués un à un et les bénéficiaires ressortent les ouvrir sur le petit muret à l’extérieur.
En ouvrant le carton, un homme s’étonne : « No food ! » s’écrie-t-il, visiblement décontenancé. A l’intérieur, des produits ménagers essentiellement.

Une dame d’une soixantaine d’année fait le même constat :

« J’ai reçu un SMS de l’association pour me prévenir de la distribution d’un carton de nourriture, or il n’y a que des produits pour la toilette et le ménage… Mais bon, c’est bien, c’est bien ! C’est toujours ça de moins à acheter. »

Amal Haddad est une enseignante à la retraite depuis 2 ans. Elle vit seule, sans enfant, et ses frères sont décédés. « Avec ma retraite d’enseignante, c’est impossible de vivre correctement, alors je dois aller d’associations en associations ».
Le constat est le même pour la famille de Fatima et Denise Zbib : « Nous sommes 6 à la maison, et seulement deux personnes travaillent », explique Fatima. « Il n’y a pas de travail, c’est dur ! »

Des potagers sur les toits

C’est justement dans le quartier de Bourj Hammoud que l’association Alpha, partenaire du CCFD Terre-Solidaire, veut développer un programme de potagers sur les toits.

Pour le père Albert Abi Azar, président de l’association Alpha, il est important de se demander quel type de produits les gens peuvent produire par eux-mêmes afin de ne pas dépendre uniquement de l’aide alimentaire.

« On s‘oriente plus sur des projets qui augmentent le revenu de la famille : par exemple, dans les quartiers populaires de Beyrouth, sur les toits des habitations, on est en train d’évaluer quelles cultures sont possibles afin de générer un petit revenu aux habitants et leur permettre de se payer d’autres besoins ».

Un champ de la ferme agroécologique de Buzuruna Juzuruna dans la plaine de la Bekaa au Liban©Sidonie Hadoux/CCFD-Terre Solidaire
Un champ de la ferme agroécologique de Buzuruna Juzuruna dans la plaine de la Bekaa au Liban©Sidonie Hadoux/CCFD-Terre Solidaire

La souveraineté alimentaire comme solution ?

« La crise est totale, pas uniquement alimentaire », précise le père Albert,

« la mafia qui nous gouverne n’a pas investi dans les secteurs agricoles et industriels. Ces deux secteurs ont été abandonnés au profit de la mafia bancaire. Alors, aujourd’hui, tout est importé et coûte trop cher. Les mafieux ont pris soin de mettre leur argent à l’extérieur mais les gens ont été piégés. Les banques leur ont volé leurs revenus. Alors il faut se demander comment s’adapter ».

En redonnant aux Libanais leur pouvoir de production ? Le projet s’articulera autour des jeunes.

L’organisation Alpha dispose d’un terrain au Mont Liban qui sera transformé en parcelle agricole afin que les jeunes puissent se former et cultiver.

Ils seront formés par une autre association partenaire du CCFD Terre-Solidaire, Buzuruna Juruzuna, une ferme-école en agroécologie située dans la plaine de la Bekaa.

Retour aux sources : planter des semences paysannes

A Saadnayel, dans la Bekaa, nous retrouvons Serge, Zoé, Walid, Charlotte, et toute l’équipe de Buzuruna Juruzuna. Le jardin est d’un vert flamboyant.

Zoé s’affaire à son ordinateur sur la terrasse de la maison en terre, qui abrite la collection de graines. L’association milite et sensibilise sur l’enjeu des semences paysannes, qu’elle vend ou distribue ensuite.

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« Avant, les gens importaient leurs semences. Aujourd’hui c’est devenu trop cher, alors ils se tournent vers nous », explique Zoé.

Et les clients sont variés : agriculteurs du coin, jardins familiaux, urbains avec balcons, entrepreneurs ou mécènes qui ne supportent pas voir leur pays s’enfoncer et veulent aider en distribuant des graines dans les villages, ou dans les camps de réfugiés.

« Nous avons dû doubler les prix, mais nous restons très compétitifs grâce à notre économie subventionnée », explique Zoé.

Ce qui permet à l’association de faire des dons de semences, notamment pour les populations des camps.

A Saadnayel, un jardin collectif familial de 2000 m2 permet aux familles de cultiver un petit lopin de terre.

Dans les camps de réfugiés, la logique est la même : permettre aux individus d’accéder à plus d’autonomie alimentaire

Sidonie Hadoux

Stockage de semences paysannes dans la plaine de la Bekaa au Liban distribuées pour faire à la crise alimentaire
Stockage de semences paysannes dans la plaine de la Bekaa au Liban distribuées pour faire à la crise alimentaire

Revoir notre vidéo tournée en juin 2020 sur la crise alimentaire au Liban avec Serge Harfouche de l’association Buzuruna Juzuruna

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