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Au Mexique, la violence instrument du contrôle de la migration

Publié le 22.08.2016| Mis à jour le 08.12.2021

Raúl Vera, évêque de Saltillo au Mexique, travaille au quotidien auprès des migrants d’Amérique latine. Il dénonce avec virulence un système économique injuste et une politique migratoire répressive. Faim et Développement l’a rencontré lors d’une visite à Paris.


“Je suis l’évêque du diocèse de Saltillo au nord-est du pays, dans l’État de Coahuila, frontalier du Texas aux États-Unis[[Don Raúl préside deux associations partenaires du CCFD-Terre Solidaire : le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas et Serapaz (Services et Conseils pour la paix).]]. Quand je suis arrivé au début des années 2000, j’ai travaillé trois ans auprès des mineurs du charbon dans cette zone carbonifère.

Très vite, j’ai rencontré des migrants. Dans la ville frontalière de Acuña, un prêtre tenait une cantine pour migrants. Avec lui, petit à petit et grâce à Dieu, nous avons mis sur pied une auberge d’accueil. Nous avons alors pris conscience que les migrants n’avaient pas seulement besoin de manger, dormir, se soigner ou même d’une attention spirituelle, mais ils avaient aussi un besoin criant qu’on défende leurs droits humains. Il fallait s’attaquer à la xénophobie de la population de Coahuila et aux abus commis par la police… Nous avons pris la mesure du drame qui se jouait.

Accueil, droits humains et plaidoyer

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À Saltillo, vivotait une petite Maison du migrant que j’ai décidé de fermer. J’ai alors transféré l’accueil des migrants[[Les migrants viennent principalement d’Amérique centrale]] vers une maison plus grande et nous avons essayé, avec notamment l’aide d’autres religieux, de leur donner des conditions de vie plus dignes. Mais les voisins ne voulaient pas d’eux, ils ont coupé l’eau et l’électricité. J’ai cru au début que la maison était vétuste, je ne connaissais pas bien les gens, je n’imaginais pas leur malveillance, alors nous avons déménagé dans une autre maison, mais ça a continué, puis dans une troisième maison !

«Gracias a dios», nous avons trouvé un terrain qui appartenait à une paroisse près de la voie de chemin de fer d’où arrivaient les migrants. Ce fut une occasion providentielle. Avec le padre Pedro Pantoja, nous avons ouvert une nouvelle Maison. Depuis douze ans, sa capacité d’accueil ne cesse d’augmenter. Bien que nous restions pauvres, nous avons réussi à développer trois projets : l’auberge ; la défense des droits humains, le soutien spirituel, sanitaire et psychologique ; le plaidoyer.

Dénonçons la migration forcée

Le plaidoyer[[Le travail de plaidoyer dans cette région consiste à alerter l’opinion publique et les institutions internernationales (à Genève, New York, Washington, Bruxelles…) sur les violences subies par les migrants. Il faut également protéger les défenseurs des migrants, notamment les prêtres à la tête des Maisons de migrants qui sont de plus en plus menacés. Pour cela, la Congrégation des soeurs scalabriniennes coordonne le réseau Codemire (Collectif des défenseurs des migrants et réfugiés, partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis 2016) qui rassemble 28 Maisons de migrants. Au-delà de l’accueil des migrants, l’objectif est de s’atteler aux changements plus structurels, d’analyser les conséquences de la politique mise en oeuvre, et notamment du plan Frontera Sur. Il s’agit aussi d’alerter l’opinion et les autorités locales pour que la protection de ces prêtres face aux narcotrafiquants soit l’affaire de tous. Nina Marx, chargée de mission Migrations internationales au CCFD-Terre Solidaires]] est en effet une approche fondamentale qui nous permettra d’éliminer la migration forcée, car elle entraîne avec elle la traite des personnes, des assassinats, des attaques, des exactions envers les migrants.

Elle entraîne l’éclatement des familles qui restent derrière et un calvaire épouvantable infligé aux migrants, exploités, séquestrés, escroqués, rackettés… La migration forcée contraint aussi les migrants à voyager accrochés sur les toits des trains.

Et ce drame terrible se déroule également en Europe avec toutes ces personnes qui meurent durant leur voyage.

Je parle de migration forcée pour différentes raisons. Tout d’abord, car elle est induite par la violence. Au Honduras par exemple, les personnes homosexuelles sont obligées de quitter le pays. Mais la migration est surtout le résultat d’un modèle économique très inégal. Aujourd’hui, les économies des pays pauvres sont contraintes d’accepter le travail esclave imposé par les multinationales qui installent leurs usines, leurs maquiladoras, dans nos pays [d’Amérique centrale, ndlr]. Elles y paient des salaires jusqu’à vingt fois inférieurs à ceux qu’elles paieraient dans leurs propres pays.

Mais au Mexique, la tragédie est encore plus grave. Le pays a accepté de freiner sur son territoire la migration vers les États-Unis[[ En effet, les États-Unis sous-traitent au Mexique la gestion des migrants. Ils le font à travers divers accords notamment la mise en œuvre du plan Frontera Sur, depuis juillet 2014, sur la frontière sud du Mexique, financé principalement par les USA. Officiellement dénommé « plan de développement économique », il a en fait vocation à sécuriser et militariser la frontière mexico-guatémaltèque : multiplication des points de contrôle et des centres de rétention, augmentation des déportations massives, police volante… Nina Marx, chargée de mission migrations internationales au CCFD-Terre Solidaire]]. Et il le fait par la violence. Les agents de la migration stoppent les migrants en les abandonnant au crime organisé.

Cela fait partie des politiques publiques [avec la complicité des autorités, nationales et locales, et des narcotrafiquants, ndlr] : la violence est devenue un moyen de contrôle des populations et de la migration.

Retrouvons une conscience sociale

En tant que pasteur de l’Église catholique, je pense que nous devrions avoir une parole plus forte. C’est notamment ce que fait le pape pense faisant le porte-parole des pauvres. Nous devons retrouver une conscience sociale ancrée dans les droits humains et l’éthique car la classe politique mondiale est soumise aux élites riches.
Au Mexique, le gouvernement travaille pour les riches, il n’y a pas d’accès à la justice pour les pauvres.

C’est pour cela qu’il est très important pour nous qu’en Europe vous braquiez le projecteur des médias sur la situation au Mexique. Nous avons besoin d’une pression plus forte de la communauté internationale sur les autorités mexicaines. De notre côté, nous travaillons avec et pour le peuple afin de construire une génération plus mûre politiquement.»

Propos recueillis par Violaine Plagnol

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