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Brésil : A Rio de Janeiro, la police tue en toute impunité

Publié le 02.03.2020| Mis à jour le 02.01.2022

Le Baromètre des résistances de la société civile brésilienne 2019 a été lancé fin janvier 2020 par 17 organisations, dont le CCFD-Terre Solidaire, pour alerter sur les atteintes à la démocratie au Brésil, au cours des deux dernières années. Le racisme et les violences policières, notamment à Rio de Janeiro, sont l’un des thèmes les plus sensibles. Reportage.


Ce 14 mai 2014, Jonathan Oliveira Lima, 19 ans, était venu apporter un gâteau à sa grand-mère qui vivait près de chez lui, dans la favela de Manguinhos, dans la zone nord de Rio de Janeiro. Mais, sur le chemin du retour, l’adolescent s’est retrouvé coincé au milieu de jeunes qui fuyaient les tirs des agents de l’Unité de police pacificatrice (UPP), implantée depuis 2013 dans ce bidonville de 35 000 personnes.

Alors qu’il courait se mettre à l’abri, Jonathan a été atteint d’une balle dans le dos. Transporté aux urgences par les habitants, il a succombé à une hémorragie interne. « Lorsque son oncle a voulu déposer plainte au commissariat local, il s’est retrouvé face aux policiers de l’UPP de Manguinhos, explique Ana Paula, sa mère. Ils venaient de déposer une main courante et assuraient que Jonathan était mort après avoir résisté aux forces de l’ordre. »

Près de six ans après le drame, Ana Paula a toujours les larmes aux yeux en évoquant l’assassinat de son fils. Mais son combat a désormais pris une nouvelle dimension. « Avec d’autres mamans du quartier dont les enfants ont été tués par des policiers, nous avons créé, en 2016, l’association : les Mères de Manguinhos. Nous voulons obtenir justice pour nos enfants. Et dénoncer les violences des policiers qui entrent dans les quartiers, tirent sans sommation et tentent ensuite de justifier leurs actes en présentant les victimes comme des criminels. »

Ana Paula, Fatima et Eliene, les trois fondatrices des Mères de Manguinhos, sont unanimes sur un point : « Si nous sommes traités ainsi, c’est parce que nous sommes noirs, pauvres et que nous vivons dans les favelas. » La violence a toujours existé dans ces quartiers, mais elles sont formelles : « Depuis l’an dernier, la situation a empiré. »

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Le gouverneur de Rio dans les pas de Bolsonaro

Surnommée la « Cité merveilleuse » pour la beauté de ses paysages, Rio de Janeiro a battu un funeste record en 2019. D’après les chiffres publiés par l’Institut de sécurité publique du gouvernement de Rio (ISP), la police a tué 1 810 personnes, soit 18 % de plus que l’année précédente.

« Cette moyenne de cinq homicides quotidiens par des forces de l’ordre est une première depuis la création de ces statistiques en 1998, assure Silvia Ramos du Centre de recherches sur la sécurité et la citoyenneté (Cesec) de l’université Candido Mendes. Cela représente 30,3 % des homicides commis à Rio l’an dernier. Ces dernières années, dans cette ville, les grandes opérations policières sont devenues la principale forme d’intervention des forces de l’ordre. Un autre facteur important, c’est le sentiment d’impunité qui prédomine parmi les policiers. Ils ne sont quasiment jamais poursuivis par la justice pour leurs actes. »

« Les forces de l’ordre sont encouragées par les politiques à tuer les citoyens ! » dénonce pour sa part Patricia Oliveira. La responsable du Réseau de communautés et mouvements contre la violence [[Ce réseau réunit des habitants des favelas, survivants et membres de familles de victimes de violences policières ou militaires.]] fait référence aux multiples déclarations de Wilson Witzel, gouverneur de l’État de Rio, élu en octobre 2018, en grande partie en raison de son alignement sur la politique sécuritaire du président Jair Bolsonaro. « Witzel a promis de donner carte blanche aux policiers. Il a assuré que les criminels armés de fusils devaient mourir d’un tir dans la tête, et que des snipers étaient déjà positionnés autour des favelas dans ce but. »

En mai 2019, le « psychopathe », comme le surnomment ses détracteurs, s’est même filmé à bord d’un hélicoptère de la police civile survolant une favela de la région, assis à côté d’un policier pointant son fusil sur les toits des maisons.

Politique d’extermination des jeunes dans les favelas

« Nous sommes confrontés à une véritable politique d’extermination des jeunes Noirs, pauvres, vivant dans les favelas, relève Glaucia Marinho, de l’ONG Justiça Global, une organisation de défense des droits humains. Cette politique n’est certes pas nouvelle, mais elle s’est renforcée avec l’arrivée du gouvernement d’extrême droite, ouvertement raciste et homophobe. »

Pour Glaucia Marinho, « l’adoption par le Sénat en décembre dernier de la loi anti-crime a sonné comme la nouvelle étape d’une politique toujours plus sécuritaire, favorisant la manipulation par la peur que les responsables au pouvoir cherchent à imposer ».

Face aux multiples dérives du régime de Jair Bolsonaro, la société civile est entrée en résistance. « Les publics avec lesquels nous travaillons, à Rio comme dans le reste du pays, explique Rachel Barros de la Fédération d’associations de solidarité et d’éducation (Fase), un partenaire historique du CCFD-Terre Solidaire, sont souvent en situation d’extrême pauvreté. Dès lors, suite aux menaces de démantèlement des politiques publiques, la lutte pour une vie meilleure s’est transformée en résistance, comme en Amazonie face aux conséquences pour les populations locales de la destruction de l’environnement. »

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S’unir pour résister

Mais résister à un gouvernement autoritaire comporte des risques. « Les acteurs de la société civile sont confrontés de plus en plus souvent à des attaques et des menaces de la part des gouvernants qui cherchent à nous discréditer ou à nous empêcher de travailler, poursuit Rachel Barros. Nous travaillons pour faciliter le rapprochement des organisations afin qu’elles collaborent dans la construction de la résistance. »

C’est le cas du Forum social de Manguinhos, qui regroupe différentes organisations du quartier : religieuses, sociales et de riverains. Sans oublier les « Mères de Manguinhos » soutenues par la Fase sur des actions ponctuelles, comme dans l’accompagnement administratif des enquêtes en cours pour les homicides de leurs fils.

Dans les débats, l’association des mères explique aux habitants que les violences qu’ils subissent sont policières mais aussi économiques : tuer des jeunes dans les favelas, ne plus accorder de « bourse famille » aux plus démunis, ne pas construire d’école ou de postes de santé relèvent de la même logique d’oppression et de violence, explique Monique Cruz, assistante sociale, spécialiste du thème « violence institutionnelle et sécurité publique » et coordinatrice du Forum social de Manguinhos. « Nous insistons sur l’importance de fédérer les luttes. »

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À ce titre, le Baromètre des résistances de la société civile brésilienne 2019 : Le Brésil résiste. Lutter n’est pas un crime, lancé le 30 janvier par dix-sept organisations de la Coalition solidarité Brésil, dont fait partie le CCFD-Terre Solidaire, a été bien accueilli.

« Cette mobilisation française est une précieuse reconnaissance des difficultés affrontées par les organisations et les populations au Brésil, admet Rachel Barros. Et elle nous donne du courage. »

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Monique Cruz espère que ce genre d’initiative « incitera les organismes internationaux comme l’Organisation des États américains (OEA) et l’Onu à interpeller les autorités brésiliennes sur les violations des droits humains perpétrées dans ce pays ».

Comme celles qui amènent des policiers à tuer cinq personnes par jour dans les favelas de Rio de Janeiro.

Par Jean-Claude Gérez

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