Brésil : Portrait d’un défenseur des migrants qui a du migrer

Publié le 24.07.2020| Mis à jour le 09.12.2021

Paulo Illes a été coordinateur du Centre des Droits humains et de Citoyenneté du Migrant (CDHIC), un partenaire du CCFD-Terre Solidaire, situé à Sao Paulo, au Brésil. Avec l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro il a dû s’exiler au Portugal. Portrait d’un défenseur des migrants qui a dû migrer.


Paulo Illes a réalisé que sa vie allait changer en rentrant dans le taxi pour l’aéroport. « Mon fils assis à côté de moi, j’ai appelé mon père pour lui dire au revoir. Et j’ai craqué. J’ai pleuré ». Les larmes ont encore coulé à l’aéroport de Sao Paulo, face à la porte d’embarquement du vol pour Lisbonne. « Voir mon fils de 14 ans dire au revoir à sa mère, elle aussi en pleurs, a été déchirant ».

L’ex-coordinateur du Centre des Droits humains et de Citoyenneté du Migrant (CDHIC), un partenaire du CCFD-Terre Solidaire, avait lutté pour accueillir dignement les étrangers au Brésil. Il se retrouvait, à 44 ans, dans la peau du migrant, obligé de quitter son pays face aux menaces devenues trop lourdes depuis l’élection de Jair Bolsonaro.

Enfant, sa famille émigre du Brésil au Paraguay

« Je suis petit-fils de migrants venus d’Europe de l’Est pour travailler la terre », raconte Paulo Illes. Paulo nait au Brésil en 1975, et un an plus tard, poussé par la crise économique, sa famille s’installe au Paraguay « J’ai reçu une éducation rigide mais remplie d’amour, se souvient-il. Mes parents étaient analphabètes, mais ils m’ont inculqué l’honnêteté et le respect d’autrui. »

Aux travaux des champs, Paulo préfère l’école. Mais son plus grand plaisir ce sont les matches de foot, en fin de journée.
« Généralement, c’était le Paraguay contre le Brésil, rigole-t-il. Moi, j’étais toujours dans le camp des étrangers, des brésiliens ! »

Sans papiers pendant 15 ans

Ironie du sort, ses parents n’avaient pas eu le temps de lui faire établir sa carte d’identité avant de partir. « J’ai vécu sans papier au Paraguay jusqu’à mes 15 ans. J’ai alors décidé d’aller au Brésil me donner une identité ».
Lors de ce séjour, Paulo découvre la congrégation des scalabriniens, tournée vers les migrants.

La dimension religieuse interpelle l’adolescent. « De retour au Paraguay, j’ai choisi de rentrer au Séminaire en 1992, avec l’accord de mes parents eux-mêmes catholiques ».

De l’engagement religieux à l’action sociale pour les migrants

Quelques mois plus tard, Paulo obtient ses papiers paraguayens. D’autres séminaristes brésiliens ont moins de chance. « Ils payaient des fortunes des intermédiaires pour obtenir ces documents qu’ils attendaient longtemps ».

Paulo Illes quitte le Paraguay deux ans plus tard pour poursuivre son cursus au Brésil.
Le jeune homme s’implique aussi dans une pastorale sociale proche des communautés pauvres en mal de logement. « La démarche était religieuse, mais il n’y avait pas le choix : il fallait d’abord lutter pour faire respecter les droits de ces personnes ».
Un engagement qui fait dire un jour au curé du Séminaire : « Paulo, tu ne seras pas prêtre ». « Il avait raison ! », s’esclaffe Paulo. Paulo quittera le Séminaire en 2002.

De l’action sociale à la défense des droits humains

Durant six ans, Paulo Illes collabore avec le journal du Mouvement des Travailleurs Sans Terre puis œuvre au sein de la Pastorale des Migrants, rattachée à la Conférence Nationale des Évêques du Brésil.
« À cette période, seule l’Église travaillait avec ces populations, souligne-t-il. Face à l’arrivée massive des migrants, il fallait que des organisations de défense des droits humains s’impliquent ».
D’où la création, en 2008, du Centre des Droits humains et de Citoyenneté du Migrant (CDHIC), à Sao Paulo, dont les actions encourageront d’autres ONGs à s’engager à leur tour.

En quatre ans, le travail accompli est énorme, mais il a ses limites. « La reconnaissance des droits des migrants passait par l’adoption de politiques publiques municipales. Sauf que nous n’étions pas écoutés ».


Des droits humains à l’engagement politique local

Il rejoint alors, pour les élections municipales de Sao Paulo d’octobre 2012, la liste de Fernando Haddad, du Parti des Travailleurs (PT), ex-ministre de l’Éducation de Lula et finaliste malheureux des dernières élections présidentielles.

Le visage de Paulo Illes s’illumine lorsqu’il évoque le bilan de ces quatre années passées au sein de la municipalité de Sao Paulo jusqu’en 2016. « Nous avons travaillé à la formation politique des migrants et créé la campagne « Ici je vis, Ici je vote ».


Sao Paulo ville accueillante pour les migrants

Sao Paulo est aujourd’hui la seule ville au Brésil et l’une des rares dans le monde dotée d’une loi municipale pour la migration ». Sa plus grande satisfaction est que « la municipalité a développé une politique structurelle que l’on retrouve dans toutes les politiques publiques comme la santé, l’éducation ou la culture ».

Lire aussi : « > Alerte sur les droits humains au Brésil

Amer, il détaille les décisions du gouvernement de Bolsonaro « dignes d’un régime dictatorial » : « réduction drastique des budgets des universités de sciences humaines et du ministère de la Culture, suppression de la plupart des 700 « Conseils » qui constituent les rouages de la démocratie brésilienne. Ouverture des portes de l’Amazonie à l’Agrobusiness au mépris des droits des peuples indigènes. Ou encore la création d’un Secrétariat d’État destiné à contrôler les ONG, géré par un général ! »

Ce climat pousse Paulo à quitter le pays.

Le combat pour une Citoyenneté universelle

Avec l’aide du CCFD-Terre Solidaire et d’Emmaüs International, il est désormais responsable des relations extérieures de l’Organisation pour une Citoyenneté Universelle (OCU).

Ce mouvement milite pour la liberté de circulation et d’installation des personnes à l’échelle mondiale et sur la construction d’une gouvernance alternative des migrations, et notamment d’une alliance entre société civile et autorités locales.

« Il ne devrait pas y avoir de frontières. C’est un concept philosophique et ma profonde conviction ».

Pas vraiment une surprise pour un homme qui confie n’avoir jamais eu de patrie. « Parce qu’au fond, je me suis toujours senti de l’autre côté de la frontière. »

Jean-Claude Gerez

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