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Brésil : une mère obtient justice pour son fils, jeune noir des favelas, assassiné (témoignage)

Publié le 24.07.2017| Mis à jour le 02.01.2022

Marcia de Oliveira Silva Jacintho a perdu son fils de 16 ans assassiné en 2002 par des policiers de Rio de Janeiro. Accompagnée par la Fase, une organisation partenaire du CCFD-Terre Solidaire, elle s’est battue pour obtenir justice.

« Le cas de cette mère est emblématique de la multiplication des assassinats de jeunes noirs dans les favelas au Brésil. Son parcours est très beau.» Floriane Louvet, chargée de mission Amérique latine au CCFD-Terre Solidaire.

Mon nom est Márcia de Oliveira Silva Jacintho. On m’appelle Marcia Jacintha. Je suis la mère de Hanry Silva Gomes da Siqueira. Mon fils avait 16 ans en 2002, lorsque, le 21 novembre, il a été exécuté par des policiers de Rio de Janeiro alors qu’il rentrait chez nous.

Au départ, cela a été difficile ! Nous avons dû mettre de côté toute notre vie. Nous étions hantés par la question « pourquoi ? ». Alors j’ai pris un avocat et nous avons commencé les recherches.

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« J’ai mené l’enquête »

A la commission des droits humains du ministère public, j’ai obtenu la copie de la déposition des policiers. Cela n’a fait qu’amplifier ma douleur, ma révolte et mon indignation. Ils avaient en effet raconté que mon fils était trafiquant et qu’il avait tiré sur eux. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me battre pour rétablir l’honneur de mon fils et lui faire justice.

J’ai alors rendu visite à de nombreuses institutions. J’ai fait la connaissance d’autres mères et, en 2003, je suis devenue membre du mouvement « La Rede de comunidades et movimentos contra a violência » (le réseau des communautés et mouvements contre la violence). J’ai aussi été appuyée par des organisations comme la Fédération d’Associations de Solidarité et d’Education (Fase), partenaire du CCFD-Terre Solidaire. J’ai rencontré des médias, des hommes politiques et religieux…

Impunité contre dignité

Pour montrer les travers de la justice, j’ai acheté un petit enregistreur et j’ai commencé à enregistrer les personnes. Je suis allée sur le lieu du crime. J’ai rassemblé beaucoup de preuves, comme un casse-tête. Eux, ils n’ont jamais fait l’expertise légale ni le recueil des témoignages et des preuves. Les policiers ont inventé de toutes pièces un échange de tirs et la présence d’une arme et de drogue… pour plaider la légitime défense. C’est leur stratégie. Totale impunité, crime parfait. Seulement, ils sont tombés sur nous. Mon fils était d’une famille pauvre, noire, mais pleine d’honneur et de dignité.

J’ai réussi à être entendue au niveau du Ministère public. J’ai même eu très peur pour ma vie. Je sortais de ma favela et j’allais dans de nombreux lieux, seule. Je n’arrivais plus à dormir. Je suis allée à Brasilia, avec d’autres mères, donnant peu à peu une visibilité et une crédibilité à ma lutte. Heureusement, j’ai sans cesse été soutenue par l’affection et l’amour de ma famille et de ma communauté.

Moi qui étais considérée comme la mère d’un trafiquant, et de surcroît noire, de la favela, je n’aurais jamais imaginé, qu’en moi, il y avait cette personne capable de tout cela. Auparavant, j’étais peureuse mais quand il est question de tes entrailles, de ton fils, de cet être que tu as porté avec tant d’amour et de tendresse…

Mon fils, je l’ai élevé avec beaucoup de difficulté, mais j’ai réussi à en faire quelqu’un de bien. Jamais il n’a porté une seule cigarette à ses lèvres. Et j’ai réussi à prouver son innocence, j’ai réussi à casser tous leurs discours. En 2008, ils ont été condamnés définitivement. Mon fils a été rétabli dans sa dignité de citoyen.

Un crime contre la population noire des favelas

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Le crime n’a pas été commis seulement contre mon fils, ce fut un crime contre toute la population noire des favelas, contre une classe sociale. Ce crime a une cible, qui porte un nom : les pauvres des périphéries… Ils disent que c’est contre des jeunes trafiquants, mais c’est un mensonge !

Ce qu’ils appellent « balles perdues », moi j’appelle cela « impunité », tout comme quand ils parlent « d’auto-résistance ». Aujourd’hui beaucoup des mères sont déjà mortes, d’autres essaient de survivre chaque jour. Certaines étudient le droit, car il faut avoir des connaissances pour entrer dans cette lutte, pour être respectée comme mère et non comme une « noire, mère d’un délinquant ». C’est notre lutte quotidienne.

52,3 millions d’habitants : c’est le nombre d’habitants des favelas au Brésil selon l’Onu

« Je n’ai pas combattu onze policiers, j’ai combattu un système ! »

Aujourd’hui, j’ai deux fils, cinq petits-enfants, qui sont ma raison de vivre. J’ai un mari qui m’aime et qui m’appuie. J’ai été accompagnée par une psychologue. Elle m’a montré comment survivre.

En 2009, j’ai gagné le prix « Faz diferença » (Cela fait la différence) délivré par la télévision « Globo ». Car je n’ai pas combattu onze policiers, j’ai combattu tout un système. Maintenant, nous sommes là pour dire que nos enfants ont une voix, nous sommes la voix de nos morts. On nous qualifie souvent de guerrières. Mais oui : être une mère, c’est affronter la faim, la fatigue des transports, pour être le porte-voix de nos fils dignes et citoyens du bien. Nous aussi, nous avons notre honneur. Une mère qui perd son fils reste avant tout une mère.

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Propos recueillis par Floriane Louvet, chargée de mission Amérique latine


La Fédération d’associations de solidarité et d’éducation (Fase)

L’organisation brésilienne Fase, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, accompagne depuis de nombreuses années des mouvements et organisations des favelas des villes de Rio de Janeiro. Elle dénonce la multiplication des assassinats des jeunes noirs dans ces quartiers périphériques, la plupart des mouvements parlant même de « génocide ». Les mères de ces jeunes ne se résolvent pas à laisser invisibles et impunis ces crimes, elles se sont donc organisées en mouvements et réseaux pour faire justice à leurs enfants. Marcia Jacintha est l’une d’entre elles.

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