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Briser le silence d’une occupation qui ne dit pas son nom

Publié le 15.02.2015| Mis à jour le 10.09.2021

Le livre noir de l’occupation israélienne rassemble les témoignages de cent quarante soldats israéliens qui ont servi dans les Territoires occupés. Leurs récits ont été compilés par d’anciens militaires aujourd’hui membres de l’organisation israélienne Breaking the Silence. Les témoignages révèlent comment un discours sécuritaire préventif masque une politique d’annexion territoriale.


La réalité de l’occupation est là. Elle défile au rythme des mots des soldats décrivant leur mission et leur vécu, entre 2000 et 2010.
Le livre noir de l’occupation israélienne* n’est pas un ouvrage qu’on lit d’une traite. Chaque témoignage résonne d’une manière particulière, frappant par la violence des scènes décrites : destructions de maisons, séances d’humiliations collectives et individuelles, passages à tabac, construction du mur et désespoir des Palestiniens, contrôles interminables aux barrages, morts violentes, arrestations arbitraires, tirs, perquisitions nocturnes dans des familles terrorisées, utilisation de boucliers humains…
Un condensé des pires heures de l’Intifada montrant la réalité implacable de l’occupation et la souffrance des Palestiniens. Or, ce ne sont pas eux qui racontent.

Des soldats ont eux mêmes rassemblés des témoignages

La spécificité du Livre noir est de faire témoigner les jeunes soldats israéliens qui se sont retrouvés chargés de mettre en œuvre cette politique d’occupation qui ne dit jamais son nom.
En Israël, État né dans la guerre, le service militaire – de trois ans pour les garçons et deux ans pour les filles – fait figure de rite de passage. En intégrant les « forces de défense israélienne », les jeunes, encouragés par leur famille et toute la société, contribuent à la protection de leur pays.
Yehuda Shaul, aujourd’hui directeur de Breaking the Silence, fut l’un d’entre eux. Kippa, chemisette blanche et petite barbe noire, cet ancien étudiant d’une école religieuse aurait pu, pour ce motif, éviter de faire son service militaire. Mais il a tenu à le faire par esprit civique.
Son idéalisme s’est heurté à une réalité différente, faite d’actes d’humiliations et de violences contre une population perçue comme une menace permanente. À Hébron, les murs d’une maison palestinienne enduits des excréments des soldats provoquent un électrochoc.

Face à l’indifférence de sa hiérarchie et des médias qu’il alerte en vain, Yehuda Shaul commence à rassembler, avec quelques autres camarades, des photos et des témoignages des exactions des soldats à Hébron.
En 2004, tout juste sortis de l’armée, ils décident d’en réaliser une exposition à Tel Aviv afin de s’adresser à l’opinion publique et montrer la réalité choquante des actions de soldats passées sous silence. Breaking the Silence est née.

Un silence pesant

« Quand on fait quelque chose de mal, on a tendance à ne pas s’attarder dessus. En France, c’est plus facile d’entendre les récits de Breaking the Silence, car vous ou vos proches n’êtes pas impliqués. C’est beaucoup plus difficile pour des Israéliens parce que nos proches participent à ce genre de choses. C’est pourquoi les soldats ne parlent pas beaucoup », explique Yehuda.
Surtout que l’armée jouit d’un prestige inégalé. Critiquer l’armée en Israël, bien plus qu’ailleurs, c’est toucher aux fondements de la société.

L’exposition de Tel Aviv a rencontré un certain retentissement en Israël. Les médias en ont parlé, de nombreux visiteurs sont venus, dont d’anciens soldats qui, jusque-là, avaient gardé le silence. Les membres de l’association ont décidé de poursuivre leurs enquêtes.
Après l’opération « Plomb durci » à Gaza en 2009, Breaking the Silence jette un nouveau pavé dans la mare en dénonçant les crimes de guerre commis par l’armée israélienne. L’accusation choque. Malgré les preuves accumulées, l’association déclenche l’opprobre général et devient persona non grata sur les plateaux de télévision.

Une armée qui présente ses actions toujours comme défensives

Publié en 2010 en Israël, Le Livre noir reprend cent quarante des sept cents témoignages recueillis entre 2000 et 2010 par l’association. Ils émanent de soldats ayant servi à Gaza et à Hébron, mais aussi à Qalqilya, Jénine, et dans les villages de Cisjordanie.
Ils font apparaître la rhétorique de l’armée qui présente toujours sa mission comme défensive, estompant ainsi le caractère offensif de ses actions : « Les témoignages ne laissent planer aucun doute : si l’appareil sécuritaire a indéniablement dû répondre à des menaces concrètes au cours des dix dernières années, notamment des attaques terroristes contre les citoyens, les actions d’Israël ne sont pas uniquement d’ordre défensif. Au contraire, elles ont systématiquement conduit à l’annexion effective de grandes parties de la Cisjordanie à travers l’expropriation de résidents palestiniens, un contrôle resserré de la population civile et une politique d’intimidation », souligne l’introduction

La violence se banalise dans le quotidien des soldats

Les récits bruts immergent le lecteur dans le vécu des soldats et témoignent du glissement qui s’opère dans leur esprit avec des limites sans cesse repoussées : « Opération “changement d’adresse“, c’est comme ça qu’ils appelaient l’intervention pour faire sauter une maison. Au début, c’était contre des gens qui menaient des activités terroristes. Ensuite, c’était contre “son oncle“. Puis “quelqu’un qui le connaît“… », raconte l’un d’eux.

En lisant leurs témoignages, on est ainsi frappé de voir comment la violence se banalise dans le quotidien des soldats. Une jeune femme décrit la coupure qui s’est opérée dans son esprit : « C’est un monde complètement différent là-bas, avec des règles complètement différentes. Dans ce monde-ci, cette histoire est inacceptable, en tout cas pour moi. Là-bas, c’est tellement naturel. Personne ne comprend ça, à moins d’y être allé. »

Certains soldats n’ont pas d’état d’âme : « Tu entrais dans une maison, tu t’installais quelques jours, et tu laissais l’endroit complètement ruiné. Ouais, il y avait du pillage bien sûr. » D’autres voient leur conscience s’enliser : « Depuis ce jour où je me suis engagé, je voulais empêcher ce genre de choses, et voilà que je ne fais rien… Est-ce que c’est acceptable ? Je me rappelle cette réponse : oui, c’est acceptable. Il frappe un Arabe, un gamin, et je ne fais rien. J’avais conscience de ne rien faire parce que j’avais peur du commandant, et puis qu’est-ce que je pouvais faire ? » Ou encore un autre : « La vérité quand j’y pense, c’est que j’aurais vraiment dû les arrêter. Mais là-bas, on ne pense pas comme ça. »

Dénoncer l’occupation, un devoir moral

Pour Breaking the Silence, mettre à nu ce glissement de la rhétorique militaire et dénoncer la stratégie d’une politique d’occupation jamais avouée constitue : « Un devoir moral et une condition nécessaire à l’établissement d’une société plus juste. »

Selon Yehuda Shaul : « La seule chose que nous pouvons faire est de nous lever et prendre notre part de responsabilité. Nous, nous parlons à tous ceux qui veulent bien entendre. »

En Israël, le livre a été diffusé à 1 000 exemplaires, ce qui est beaucoup pour un ouvrage traitant de ce sujet. À l’étranger, des éditeurs indépendants ont contacté l’association pour traduire le livre en allemand, en anglais, en néerlandais, en suédois et maintenant en français.
Mais Yehuda reste pessimiste sur la prise de conscience de la majorité des Israéliens : « L’occupation n’existe pas dans le débat public aujourd’hui. » Il a le sentiment de courir un marathon et d’en être seulement au deuxième kilomètre.

Lorsqu’on lui demande ce que les Européens peuvent faire, Yehuda Shaul reste fidèle à sa ligne de conduite, appelant à la responsabilité personnelle : « Je ne suis pas ici pour dire aux Européens ce qu’ils doivent faire. C’est le boulot du CCFD-Terre Solidaire (partenaire de Breaking the Silence) de proposer quelque chose. Et à chacun de décider ce qu’il doit faire… »

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