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Cambodge, le long combat des femmes de Boeung Kak

Publié le 13.12.2013| Mis à jour le 10.09.2021

Il pleut averse et la nuit est déjà tombée quand une clameur de joie s’élève de la foule massée devant la grille de la prison : la voilà ! Le 22 novembre 2013, après plus d’un an passé en détention, Yorm Bopha, militante anti-expulsion de la communauté de Boeung Kak, vient d’être enfin libérée.


La lutte des habitants de Boeung Kak commence en 2007, quand la municipalité de Phnom Penh concède une centaine d’hectares à la société Shukaku Inc, pour la mise en œuvre d’un projet immobilier. Le terrain, situé en plein cœur de la capitale, s’étend sur le lac Boeung Kak et les quartiers riverains… où résident quelque 4.000 familles à bas revenus.

« Personne ne voulait quitter Boeung Kak, explique Tep Vanny, porte parole de la communauté, parce que nous sommes à proximité des commerces, de l’école, de l’hôpital et qu’il est facile de trouver du travail ». Mais la société immobilière appartient à un sénateur membre du parti au pouvoir et, en 2008, des milliers de tonnes de sable sont déversées dans le lac qui est presque totalement comblé. Ces travaux provoquent l’inondation de nombreuses habitations et d’autres sont détruites au bulldozer. Dans les mois et les années qui suivent, plus de 3.000 familles seront finalement expulsées. « Certaines ont accepté l’indemnisation offerte par la compagnie, continue Tep Vanny, mais ça ne leur permettait pas de racheter un bout de terre et d’y reconstruire leur maison ; d’autres ont été déplacées loin de la capitale, loin de l’école, loin de tout et sans opportunité d’emploi… » Mais d’autres encore – quelques centaines de foyers – s’accrochent. « Nous sommes décidées à sacrifier nos vie plutôt que de bouger d’ici, surtout maintenant que nous avons vu ce qui est arrivé à ceux qui sont parti ».

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Très vite, la lutte s’organise, non violente, et ce sont les femmes qui prennent la tête du mouvement. Masques, visages peints, prières, maisons de cartons portées en procession… elles ne manquent jamais d’imagination et militer devient pour certaines une activité à plein temps. « Depuis 2007, raconte Tep Vanny, nous manifestons presque tous les jours ». Dès le début, les femmes de Boeung Kak obtiennent le soutien d’ONGs nationales et internationales ainsi que d’organisations de défense des droits humains, grâce auxquelles leurs voix sont entendues bien au delà des frontières du Cambodge. Et la pression de l’opinion internationale porte ses fruits : en 2011, la Banque Mondiale décide de geler ses prêts au Cambodge jusqu’au règlement du conflit de Boeung Kak. Dans les mois qui suivent, la municipalité accorde 12 hectares de terrain censés permettre aux irréductibles de rester sur place. Mais trente-deux familles ne reçoivent pas de titre de propriété et la communauté décide de continuer sa lutte.

Parallèlement à Phnom Penh, les expulsions se multiplient et l’exemple de Boeung Kak fait des émules. « Mais le gouvernement ne nous écoute pas, s’insurge Tep Vanny, il riposte par la violence et nous jette en prison ». Arrêtée le 22 mai 2012, avec quatorze autres femmes de la communauté qui manifestaient pacifiquement, elle passe un mois derrière les barreaux. « Ils cherchent à nous faire taire, dénonce-t-elle avant d’ajouter : au Cambodge, la justice n’est pas indépendante, elle est au service des riches et des puissants ». Le 4 septembre 2012, c’est au tour de Yorm Bopha, une autre militante de Boeunk Kak, d’être interpellée. Pour l’ADHOC, qui réclame sa libération : « cette jeune mère de 30 ans a été emprisonnée et condamnée à trois ans de prison pour violence intentionnelle avec circonstances aggravantes, sans aucune preuve et sur la foi de témoignages inconsistants ». Mais les femmes de Boeung Kak ne plient pas.

La libération de Yorm Bopha, intervenue quelques semaines après que la municipalité de Phnom Penh ait promis terre et titres de propriété aux trente-deux familles qui n’en avaient pas encore sont-ils les signes annonciateurs d’une solution prochaine ? « Ils nous ont menti tellement souvent que nous n’avons plus confiance, hésite Tep Vanny, mais cette fois, peut-être… surtout maintenant que Yorm Bopha a été libérée ».

Remise en liberté sous caution, Yorm Bopha doit cependant être rejugée (à une date indéterminée) et peut être de nouveau arrêtée à tout moment. « C’est une menace pour faire pression sur les femmes de Boeung Kak », estime Tep Vanny. Mais il en faudrait plus pour les intimider et, à peine sortie de prison, Yorm Bopha participait à une manifestation contre la violence faite aux femmes. « Nous ne manifestons pas seulement pour Boeung Kak, seulement pour nos familles, affirme Tep Vanny – qui, bien sûr, était elle aussi de la partie – : nous manifestons pour tous, pour que justice soit faite à tous les cambodgiens. Pour que les droits des femmes soient respectés, pour qu’on ne puisse plus nous expulser de nos maison, nous chasser de nos terres… Et le gouvernement a beau nous emprisonner, nous continuons à manifester, et d’autres communautés nous rejoignent qui savent maintenant comment défendre leurs droits ».

Philippe Revelli

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