Cameroun, la société civile s’organise

Publié le 02.04.2014| Mis à jour le 07.12.2021

En une décennie, la société civile a appris à s’organiser et commence à peser dans le débat public. Cette maturation a été accéléré par sa participation au programme de suivi sur l’allégement des dettes.


A cinquante-cinq ans, Jean-Marc Bikoko, président de la Centrale syndicale du secteur public, a derrière lui plus de vingt années de lutte pour faire respecter les droits des salariés. Mais le combat dont ce Camerounais est le plus fi er est d’avoir activement participé à la naissance d’une société civile puissante dans un pays peu en pointe sur ce sujet il y a dix ans…
« En 2002, nous avions dressé un diagnostic plutôt catastrophique, se souvient Bruno Angsthelm, chargé de mission Afrique au CCFD-Terre Solidaire. Les associations étaient rongées par les conflits ethniques et de pouvoir. Il n’y avait aucune concertation entre les différents mouvements qui organisaient leurs propres activités. Les syndicats étaient, quant à eux, marginalisés. »
Il n’aura fallu que trois ans pour inverser cette tendance. C’est en effet en 2005 que Jean-Marc Bikoko se rapproche d’autres acteurs, dont Caritas, pour créer « Dynamique citoyenne », un réseau qui fédère cent soixante-deux ONG, syndicats et mouvements d’Église organisés autour de dix coordinations régionales, qui a fait de l’interpellation des pouvoirs publics sur la gestion des deniers publics, sa marque de fabrique. « Depuis, nous remettons chaque année un rapport où nous analysons le budget de l’État et les investissements publics. Notre objectif : pointer les dysfonctionnements et rappeler au gouvernement que la lutte contre la pauvreté doit rester le principal objectif », explique celui qui n’hésite pas non plus à porter sur le devant de la scène les récriminations de la population contre la hausse des prix des aliments de première nécessité ou des carburants.
Dernière initiative en date : le lancement d’une pétition demandant au président Paul Biya de déclarer ses revenus. Elle devait être présentée au grand public, le 9 décembre, journée internationale de la lutte contre la corruption. En 2010, la société civile avait déjà inscrit à son actif la mise en place d’un Observatoire sur les droits de l’homme qui a publié son premier rapport. Impliqué au niveau local, le réseau Dynamique citoyenne est également présent dans les commissions où se discutent les investissements publics et surveille les secteurs sensibles tels les projets hydrauliques dans la région de Douala.
Conséquence de la rencontre de quelques visionnaires, la montée en puissance de la société civile camerounaise a été favorisée par des événements extérieurs : en 2006, le Cameroun, un des quarante-deux pays concernés par l’initiative internationale pour l’allègement de la dette des pays pauvres les plus en endettés (résultat de la mobilisation Jubilée 2000), signe avec la France son premier C2D (Contrats de désendettement et développement).
Ce dispositif, mis en place par l’Hexagone pour gérer ses propres créances après avoir discuté du montant des allègements, repose sur le principe suivant : le pays créditeur continue à rembourser ses dettes, mais les fonds collectés lui sont reversés sous forme de subventions destinées à des secteurs et actions prioritaires arrêtés conjointement. Le suivi est assuré par un Comité franco- camerounais où siègent deux représentants de la société civile, un pour chaque pays. « Il y a eu des manoeuvres de la part de notre gouvernement pour nommer une association qui lui était favorable mais grâce à l’appui de la société civile française, et du CCFD-Terre Solidaire via la Plate-forme sur la dette, nous avons obtenu gain de cause », rappelle Jean-Marc Bikoko qui siège depuis 2007 dans cette instance.


Un contre-pouvoir citoyen

« La participation de Dynamique citoyenne à ce processus a permis à la société civile camerounaise d’évoluer : elle est passée de la contestation à un positionnement de contre-pouvoir citoyen capable de faire des contre-propositions », poursuit Bruno Angsthelm. Ces changements ne se sont toutefois pas faits en un jour… Première étape : une formation des principaux acteurs pour développer leur expertise, notamment en matière budgétaire. « Il nous fallait montrer au gouvernement que nous étions crédi bles pour instaurer un véritable rapport de force », note Jean-Marc Bikoko. Autre priorité : construire des mécanismes de … col laboration avec le pouvoir camerounais mais aussi avec l’administration française et les Institutions fi nancières internationales qui déploient des programmes au Cameroun. Pour la société civile camerounaise, les enjeux sont de taille : dès 2006, on sait que l’affectation de 863 millions d’euros transitant par les C2D devra être décidée dans les dix années à venir, environ 80 % de l’APD (Aide publique au développement), les sommes redistribuées ne s’ajoutant pas aux subventions accordées par l’Hexagone mais s’y substituant.

Effet boule de neige

Dynamique citoyenne a ainsi pu pointer l’importance disproportionnée des projets liés aux infrastructures et obtenu une plus grande prise en compte des secteurs de l’éducation, la santé ou l’agriculture. Sans pour autant remettre fondamentalement en jeu ces arbitrages. Car la société civile camerounaise ne participait pas à toutes les instances de décisions, se limitant surtout à effectuer le suivi indépendant…
Cependant, depuis octobre 2011, Jean-Marc Bikoko participe au Comité technique bilatéral du C2D où sont défi nies les orientations, même s’il n’a que le statut d’observateur. « Nous avons accès à l’information, ce qui nous permet de travailler sur nos propositions ou d’alerter la presse locale sur des projets qui ne seraient pas en lien avec la réduction de la pauvreté », souligne l’intéressé.
Malgré les résultats en demi-teinte, la participation de la société civile au suivi du programme sur l’allègement des dettes a créé un détonateur : en 2010, l’Union européenne décide d’accorder des fonds pour aider la création et la structuration d’une plate-forme nationale camerounaise qui fédère associations, syndicats et mouvements d’Église en une trentaine de réseaux thématiques : de l’analyse des politiques publiques aux droits humains en passant par l’étude du code électoral.
« Les campagnes sont lancées par ces réseaux qui bénéfi cient de l’appui de tous les membres de la plate-forme qui déclinent les actions au niveau régional et local. Cette mutualisation nous permet de gagner en visibilité. Nous avons également commencé tout un travail pour renforcer notre activité de plaidoyer », insiste Jean-Marc Bikoko.
Pour relayer ces actions, outre un site Internet, Dynamique citoyenne a une page sur Facebook. « L’arrivée de militants jeunes, branchés sur les réseaux sociaux et ouverts sur le monde, soucieux de transparence et souhaitant un État impartial, offre de nouvelles perspectives. Même si elle a réussi en partie son pari en instaurant une autre relation avec l’État et les partenaires extérieurs, la faiblesse de cette société civile est en effet de ne pas encore arriver à mobiliser au-delà des réseaux associatifs », pointe Bruno Angsthelm. « Pour faire davantage bouger les lignes, la balle est dans notre camp », reconnaît d’ailleurs Jean-Marc Bikoko.
Pour Dynamique citoyenne, la prochaine étape serait, au-delà du Cameroun, de créer des réseaux entre sociétés civiles de pays en développement pour échanger leurs analyses et expériences afin de peser davantage dans leurs relations avec les bailleurs de fonds.
Une main tendue saisie par Solange Koné, directrice d’Asapsu (Association de soutien à l’autopromotion sanitaire et urbaine), une ONG ivoirienne, membre de la plateforme Dette de Côte d’Ivoire et partenaire du CCFD-Terre Solidaire : « Ce qu’a fait le Cameroun est un exemple pour notre pays. Nous devons avancer ensemble car seuls, on ne peut pas tout faire », ajoute celle qui lance aussi un appel à la société civile française pour épauler les sociétés civiles africaines dans cette voie.

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