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En Asie, Somboon Chungprampree promeut un bouddhisme engagé
Portrait d’une personnalité spirituelle engagée
Somboon Chungprampree est un bouddhiste engagé, qui, à la différence d’autres traditions, valorise l’engagement dans la société sur les questions sociales et écologiques. Portrait d’un bouddhiste qui entend changer le monde.
Somboon Chungprampree est content d’être revenu à Paris, nous retrouver enfin et nous voir en vrai, après en un an et demi d’épidémie de Covid.
Cela fait 35 ans qu’il monte des projets en partenariat avec le CCFD-Terre Solidaire. Il dirige le SEM (Spirit in Education Movement), une association qui propose des programmes de formation à destination de tous ceux qui ont déjà des responsabilités ou sont appelés à en avoir. Ces formations s’adressent autant à des moines, qu’à des responsables d’associations ou des représentants d’autorités locales. Tous portent des initiatives et structures locales engagées dans la lutte contre la pauvreté et l’écologie.
Somboon explique : « Nous nous concentrons sur l’éducation à la vie, à la société, à la nature. Notre approche est holistique, c’est-à-dire que nous voulons prouver qu’il est possible de concilier la spiritualité et un engagement dans le monde ».
« Dans les pays occidentaux, le Bouddhisme a souvent séduit des gens aisés qui y trouve un mode de développement personnel. Ce n’est pas le cas en Asie » souligne-t-il.
Un financier impressionné par les luttes paysannes
Somboon est originaire d’un village thaïlandais proche de la frontière cambodgienne. Ses grands-parents étaient des Chinois qui avaient fui la misère et la guerre civile. Ses parents ont fondé une clinique privée, qui prospère. « Ma famille a baigné dans le confucianisme et le bouddhisme ».
Après un diplôme universitaire en finance, « j’ai décidé de m’engager pour la société, en mettant mes compétences au service des autres, pas seulement au service de ma famille. »
Il est alors marqué par la mobilisation des paysans thaïlandais contre le programme de barrages lancé par le gouvernement. « C’était un enjeu environnemental majeur dans plusieurs provinces. J’avais appris enfant à être proche de la nature et je voulais contribuer à la faire respecter. »
« J’aime l’équilibre entre l’activisme et la spiritualité »
Il quitte la finance, sans hésiter. « Je savais que l’argent de ma famille suffirait à m’apporter une certaine sécurité en cas de pépin. Je n’avais pas besoin de plus. » Il suit alors les pas de Sulak Sivakasa, un intellectuel bouddhiste qui a milité pour la démocratie en Thaïlande.
Somboon entre au SEM, créé en 1995 par son mentor. Il s’agit de former des bouddhistes pour les accompagner dans leur développement personnel et les encourager à s’engager dans la transformation de la société.
Les formations du SEM abordent la spiritualité, comme les questions sociales, l’environnement et la mondialisation. « J’aime la notion d’équilibre entre l’activisme et la spiritualité. Les deux sont compatibles » assure celui qui dirige maintenant le SEM.
Il y a une dizaine d’années, Somboon a envisagé d’être moine bouddhiste. Il s’est plié à une retraite spirituelle de trois mois dans un monastère, avant de renoncer à cet engagement. « Ce n’était pas pour moi. Je tiens à mes deux piliers : le monde et le spirituel. »
Des stages qui permettent de comprendre la diversité culturelle et religieuse
Le SEM propose ses stages de formation à des leaders communautaires en Thaïlande. Le but est de « rechercher plus de justice dans un monde moderne où l’agent et le pouvoir creusent les inégalités. »
Pour cette activité, il ne fait pas appel à des financements étrangers, la Thaïlande étant maintenant un pays émergent. « En revanche, l’appui du CCFD-Terre Solidaire est déterminant dans le développement de notre activité au Myanmar. Chaque année, nous proposons à une quarantaine de Birmans de suivre nos formations. »
L’approche est interreligieuse, les partenaires de SEM pouvant être baptiste, catholique, musulman ou bouddhiste. « Le stage dure trois mois et permet de mieux comprendre la nature, la beauté, les relations interpersonnelles dans le travail et la conduite d’équipes multiculturelles » explique Somboon.
« Rien n’est permanent »
Il aime comparer les différentes religions et spiritualités avec lesquelles il travaille. « Le bouddhisme n’inclue pas le concept de Dieu, mais celui de vérité ultime. Il est aussi plus décentralisé, dans sa structure, que la religion catholique.
Par exemple, l’organisation des bouddhistes au Myanmar est beaucoup plus démocratique qu’en Thaïlande. En revanche, il existe 300 moines femmes dans ce dernier pays, aucune au Myanmar ou au Laos » détaille-t-il.
Cette diversité des spiritualités lui va bien. Elle rime avec le mouvement de la vie.
Somboon en appelle à Bouddha qui évoque l’impermanence nécessaire et inévitable. « Il n’est pas réaliste d’espérer que rien ne change dans nos vies. Rien n’est permanent. Cette pensée n’a rien de stressant pour moi » conclut-il dans un large sourire.
Pierre Cochez
Lire aussi :
- Au Laos, des bouddhistes éveillent à l’engagement sociétal
- Qu’est ce que le bonheur national brut ? une interview de Somboon Chungprampree
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Timor-Leste : des solutions pour lutter contre la faim climatique (vidéo)
Au Timor-Leste, les dérèglements climatiques causent régulièrement des catastrophes naturelles extrêmes qui menacent la souveraineté alimentaire du pays. Face à ces enjeux, notre partenaire, Permatil, soutient de nombreuses initiatives pour permettre à la population de retrouver sa sécurité alimentaire.
Cyclones, inondations, sécheresses … ces évènements météorologiques récurrents au Timor-Leste, mettent en péril les récoltes et déstabilisent l’économie.
Notre organisation partenaire local, Permatil, soutient la réhabilitation des bassins versants permettant de s’adapter aux fortes pluies et de stocker l’eau en cas de sécheresse.
Elle aide également les paysans à engager des démarches agro-écologiques durables pour régénérer les sols et retrouver leur sécurité alimentaire.
Grâce à son action, une loi inédite a été adoptée en 2015, permettant d’intégrer la permaculture et l’aménagement des jardins potagers dans les programmes scolaires.
Faim climatique, changeons les prévisions !
Pour aller plus loin :
L’agroécologie vue du Timor Leste : des potagers en permaculture dans toutes les écoles ? -
Au Maroc : lutter contre les préjugés qui menacent les droits des femmes
Pour la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, Alice Champseix, chargée de mission Maghreb, nous fait découvrir l’action de notre partenaire, Quartiers du Monde, qui se mobilise auprès des femmes marocaines, trop nombreuses à être victimes d’abus.
Une société discriminante envers les femmes
Au Maroc, plus de 60 % des femmes ont subi des violences physiques, sexuelles, économiques ou psychologiques, en 2009.
Face à cette situation critique, de nombreuses associations de défense des droits des femmes ont mené une lutte conjointe qui a permis l’obtention, en 2018, d’une loi pour leur apporter plus de protection. Une loi qui reste néanmoins lacunaire, notamment sur le financement des réformes.
La violence à leur égard est aussi alimentée, par le poids des normes sociales qui entravent leur liberté dans tous les domaines et notamment professionnel. Au Maroc, le taux de participation des femmes à la vie active, est l’un des plus bas du monde et régresse. Et pour la plupart de celles qui travaillent, leur emploi est synonyme de précarité.
« Au cours d’une de mes missions au Maroc, j’ai rencontré des ouvrières agricoles qui travaillent jusqu’à 14h par jour, avec des rémunérations au-dessous du seuil légal, sans couverture sociale, sans congé maternité, sans retraite ».
Faire évoluer les mentalités grâce à la pédagogie
Notre partenaire local, Quartiers du Monde, se mobilise pour faire respecter le droit des femmes et permettre une amélioration de leurs conditions d’existence.
L’association agit aussi bien au niveau des politiques publiques pour faire bouger les lois, qu’au niveau sociétal et individuel pour faire évoluer les mentalités.
Par exemple, l’association a développé un jeu pédagogique à destination de collégiens, pour les amener à se questionner et à déconstruire les stéréotypes discriminants qu’ils intériorisent dès leur plus jeune âge.
A terme, Quartiers du Monde, vise l’inclusion de ces outils dans les programmes scolaires.
Pour aller plus loin :
Au Maroc, jouer pour comprendre les enjeux de l’émancipation des femmes -
Des nouvelles du Paraguay : la communauté San Jorge lutte pour protéger ses terres
Floriane Louvet, chargée de mission, est allée à la rencontre de la communauté paysanne San Jorge, victime de l’accaparement de ses terres et de violences policières. Avec notre partenaire local, l’OLT, nous nous mobilisons à leurs côtés pour défendre leurs droits et leurs moyens de subsistance. Depuis Caazapá, elle témoigne.
La communauté paysanne San Jorge souffre d’un manque de terres pour pouvoir continuer à se nourrir et à se loger. Pendant ce temps, un grand producteur allemand s’est accaparé 3 000 hectares pour y cultiver des cultures transgéniques.
Face à l’inefficacité des voies légales et à la corruption, la communauté est contrainte de passer par l’occupation de ces terres mal acquises pour pouvoir continuer à faire vivre les familles.
Un paysan sans terre, ce n’est personne. Ta terre, c’est ton mode de vie. C’est ton identité, ta dignité. Donc, on préfère mourir en luttant plutôt que de renoncer à nos terres.
Quotidiennement, elle se retrouve confrontée aux débarquements nocturnes de la police, qui intervient dans la violence et au prétexte de fausses accusations pour les chasser.
“C’est le cas de milliers de familles paysannes au Paraguay, qui quand elles réclament un bout de terre qui leur est dû, se retrouvent confrontées à cette immense violence. (…) On est dans un pays où 85% des terres sont entre les mains de 2% de propriétaires”.
Floriane nous partage sa rencontre avec les membres de la communauté, contraints de se cacher ou incarcérés en prison. Avec l’Organisation de Lutte pour la Terre (OLT), elle intervient pour soutenir la communauté, les écouter et les accompagner juridiquement.
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A Beyrouth, soutien aux petites entreprises pour se reconstruire après l’explosion
Après l’explosion sur le port de Beyrouth, l’organisation libanaise MADA, soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, s’est fortement mobilisée pour apporter une aide d’urgence.
Elle a également développé un programme d’appui aux petites entreprises qui a déjà permis à 33 d’entre elles de se reconstruire.Reportage à Beyrouth
Un an après, son garage peut fonctionner normalement
Tony Lawandos est adossé à un mur, à côté d’une Mini Cooper rouge fraichement repeinte. Le regard malicieux, il discute avec un ami.
Il se tient à l’entrée de son garage automobile, entièrement réhabilité depuis que ce dernier fut sévèrement endommagé par la double explosion du 4 août 2020.
A notre arrivée, il nous emmène au fond de la pièce pour montrer le dernier équipement qu’il a reçu : un compresseur d’air pour refaire les carrosseries.
Fanny Kaikati, coordinatrice du projet, et Elie Assi, ingénieur et architecte, écoutent Tony.
Le garagiste a eu de la chance : son atelier se situe à quelques centaines de mètres du port, dans le quartier de Mar Mickaël.
Au moment de l’explosion, il était dans le sous-sol de son voisin.
Ils ont été protégés.Plus d’un an après, le garage peut fonctionner normalement mais la crise ralentit sérieusement l’activité : « Il n’y a que les riches qui ont désormais les moyens de s’occuper de leur voiture », regrette Tony.
Entre les quartiers de Mar Mickaël et de Bourj Hammoud, Fanny et Elie s’arrêtent visiter le couple Kokejian.
Le magasin Cyclosport a pu réouvrir
Vera et son mari Wartan tiennent le magasin de vélos Cyclosport, lui aussi très endommagé par l’explosion.
Warta explique que son mari a été blessé mais qu’ils ont réouvert 15 jours après. « Nous avons commencé par réinstaller des fenêtres et une porte, explique Vera Kokejian. Il nous a fallu à peu près deux mois pour finir les travaux. Le gouvernement ne nous a pas aidé. Heureusement que les ONG étaient-là ! »
“On garde le sourire et l’énergie”
Pour ce magasin, MADA est intervenue après la réhabilitation en fournissant des vélos.
Pourtant là-aussi, la crise n’aide pas les commerçants à se relever : « Nous avons désormais un magasin et des produits à vendre, mais il n’y a plus de clients ! » regrette Véra Kokejian. Sur le pas de la porte, elle précise : « On garde le sourire et l’énergie mais ce n’est pas facile, nous avons aussi perdu notre maison dans l’explosion ».
Le 4 août 2020, c’est tout le quotidien des Kokejian qui a été soufflé.
Deux catastrophes simultanées
Dans les bureaux de l’association, située à Ain El Remmaneh, Fanny Kaikati et Elie Assi expliquent comment le projet a débuté à la mi-novembre 2020 pour identifier les besoins réels des commerçants.
L’ONG a développé une grille de notation très précise après avoir fait des visites sur le terrain. Une liste initiale de 129 entreprises a été établie et a permis de lever des critères de vulnérabilité. Ensuite, un comité de sélection s’est réuni afin de choisir les 33 entreprises bénéficiaires.
« Nous avons travaillé en coopération avec d’autres ONG, souligne Fanny Kaikati. Parfois, l’une s’occupait de la réhabilitation, et nous arrivions pour l’équipement. »
Le projet soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, et financé par le Centre de crise et de soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, est pensé en trois temps :
- aide à la réhabilitation,
- aide pour l’équipement
- aide au renouvèlement du stock.
Le projet a été retardé en raison de la crise économique que traverse le Liban. « Le pays a vécu deux crises graves en simultané : la double explosion du port et la crise économique », explique Fanny Kaikati.
« Certaines entreprises n’ont pas réouvert, d’autres patrons se sont adaptés en ouvrant à capacité réduite, en télétravail, ou en occupant un autre emploi le temps que la situation s’améliore ».
Les confinements, les coupures d’électricité et les pénuries de matières premières ont aussi ralenti les chantiers. L’électricité pose surtout un problème pour les magasins alimentaires. « Nous réfléchissons à fournir des batteries ou des panneaux solaires », expliquent-ils.
Prochain défi : adapter les activités à la crise
Le projet avec le CCFD-Terre Solidaire propose aussi un volet « soft-skills ». D’ici l’automne 2021, entre 5 et 10 entreprises seront choisies pour suivre le programme qui vise à adapter leurs capacités en temps de crise économique grâce à une aide comptable ou marketing.
Ce sera par exemple le cas de l’entreprise Garlidoux, qui a breveté une crème d’ail plus facile à digérer. « Nous avons aidé à la réparation de l’usine située en face du port, dans le quartier de la Quarantaine [un des quartiers les plus gravement touchés], ainsi qu’à renouveler le stock d’ail et d’huile, explique Elie. L’entreprise a réouvert mais le contexte économique est peu favorable à ce produit de niche. C’est typiquement le genre d’usine qui pourrait bénéficier du programme Soft skills ».
Sidonie Hadoux
A lire aussi : Liban : six personnes racontent leur quotidien face à la pénurie d’énergie
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Liban : six personnes racontent leur quotidien face à la pénurie d’énergie
Depuis quelques mois le Liban s’enfonce dans une crise économique sans précédents. Avec des coupures d’électricité quotidiennes de plusieurs heures par jour, et la pénurie d’essence, le quotidien de la population est bouleversé. Alors que nous accroissons notre soutien à nos partenaires sur place, nous avons voulu laisser la parole à plusieurs personnes pour témoigner de leurs difficultés quotidiennes. Plongée dans une société qui vit un véritable effondrement
Naïm, programmeur informatique
Que ferons-nous pendant trois heures dans la pénombre ?
Les coupures d’électricité nous affectent plus que ce que vous pouvez imaginer.
Quand la coupure intervient, je suis contraint d’arrêter de travailler.
La batterie de mon ordinateur ne tient pas suffisamment pour me permettre de travailler sans électricité.
Quand nous passerons à l’heure d’hiver, il fera nuit à 16h00, heure à laquelle ca coupe systématiquement. Que ferons-nous pendant trois heures dans la pénombre ?
Récemment, je me suis aperçu que les compagnies de paiement en ligne ont arrêté de travailler avec les entreprises libanaises.J’ai travaillé pendant plusieurs semaines sur la construction d’un site internet marchand, et je ne peux pas le terminer.
Nisrine, fonctionnaire municipale
Les frigos se coupent plusieurs heures par jour
Les prix de la nourriture ont flambé.
Certains produits de base deviennent inaccessibles.
Certaines marques auxquelles nous étions habituées disparaissent et sont remplacés par des nouvelles que nous n’avions jamais vues avant, évidemment de moins bonne qualité.
Il faut aussi penser à acheter des produits qui se conservent malgré les coupures d’électricité parce que les frigos se coupent plusieurs heures par jour.
Pour la viande, en dehors du prix, je n’en achète presque plus. Je crains trop d’être malade. C’est quasiment sûr que la chaîne du froid n’a pas été respectée.
Nathalie – enseignante à l’université
Mon salaire vaut désormais 75$
Je dois envisager mes heures de travail en fonction des heures de lumière. Par exemple, je sais que j’ai trois heures devant moi pour faire une machine à laver, préparer à manger, effectuer mon travail personnel, repasser le linge, etc.
Comme je donne des cours en ligne, je suis en recherche continue d’un espace avec électricité et Internet. Cette recherche se fait à pied parce que l’essence coûte trop cher.
Et il faut faire la queue pendant des heures.
Mon salaire qui est en livres libanaises vaut désormais 75$.
Les relations familiales et affectives sont tendues. Les conversations entre amis commencent à s’unifier sur le thème de « quoi faire ». Les réseaux sociaux ne font que parler de la crise. Ici on ne vit pas, on survit.
Raphaël – directeur de centre social
Chaque jour tu apprends une nouvelle pénurie
La vie quotidienne depuis février 2019 est un vrai calvaire.
Pour un célibataire comme moi c’est un peu mieux que pour les couples avec enfants car mes dépenses peuvent être davantage orientées vers mes besoins personnels.
Pour les familles, c’est pire, surtout si les enfants sont en bas âge en raison des pénuries de couches, lait, vaccins.Pour moi, l’effet principal de la crise c’est le stress, la nervosité et la dépression.
Chaque jour tu te réveilles et tu apprends une nouvelle pénurie.
Mohammad – directeur d’une ONG
La crise est politique avant tout
Pour moi, la crise est systémique et permanente. Notre vie est un chaos, mais on s’adapte. Tout prend beaucoup plus de temps, mais il n’y a pas d’autres alternatives pour le moment. Les institutions publiques ne fonctionnent pas à cause du confessionalisme qui interfère dans toutes les sphères de la vie. La crise est politique avant tout : les élus à la tête du pays bloquent le bon fonctionnement de l’état pour assouvir leurs intérêts. La solution ne viendra pas du gouvernement, mais d’un nouveau mouvement inclusif non confessionnel porté par la jeunesse.
Depuis 2019, le pays s’enlise dans une situation chaotique aggravée récemment par la levée des subventions étatiques entrainant une flambée des prix et de graves pénuries d’essence, d’électricité, de médicaments, et de certains produits alimentaires. Las de devoir s’adapter à l’impensable, certains libanais font la queue pendant des heures devant la Sureté générale pour obtenir leurs passeports. Le nombre de demande a augmenté de 50% en 2021 selon l’administration. Les départs sont massifs. A l’intérieur du pays, les inégalités économiques s’intensifient. Plus de la moitié de la population a basculé dans la pauvreté selon la Banque Mondiale. La classe moyenne disparait petit à petit.
À lire aussi : A Beyrouth, se reconstruire malgré tout
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Un manuel pour aider les communautés paysannes africaines à défendre leurs droits
Ce manuel en forme de boite à outil donne des clés aux organisations paysannes pour défendre leur droits économiques et sociaux lorsque des politiques publiques les mettent en difficulté
Pour permettre aux organisations paysannes de se défendre et de se mobiliser pour l’accès à leurs droits, le CCFD-Terre Solidaire les accompagne à travers un soutien financier et des formations.
C’est lors d’une de ces formations que les participants ont émis le souhait de fabriquer un manuel en forme de boîte à outil pour les accompagner dans leurs revendications à faire respecter leurs droits économiques et sociaux.
Ce manuel des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) s’adresse à tous les acteurs de la société civile et en particulier aux représentants des groupements de paysannes et paysans d’Afrique.
Sous forme didactique il est la synthèse des contenus d’une formation organisée en collaboration avec Human Dignity en octobre 2019 dans le cadre du programme TAPSA co-financé par l’Agence Française de Développement.
L’ambition est de donner les clés d’engagement pour permettre aux populations de défendre leur droits et d’accéder à une vie digne.
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A Madagascar, le jeune Toavina lutte pour la justice climatique #générationclimat
Toavina Rasolofoson fait partie de cette génération qui partout dans le monde s’engage pour la justice climatique. Avec l’organisation Craad Oi, soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, il alerte sur l’impact du développement des industries extractives, consommatrices d’eau et de terres à Madagascar. Notamment dans le sud du pays en proie à une sécheresse historique.
En 2015, à 23 ans, Toavina Rasolofoson suit, par Internet, tous les travaux de la conférence de Paris sur le climat, la COP 21. Il prend conscience de l’urgence d’agir et de s’engager pour son île.
Une année plus tard il fait la connaissance de Zo Randriamaro, une sociologue malgache, l’une des fondatrices de l’ONG Craad Oi. « Elle sensibilisait les populations aux projets étrangers d’extraction de minerais rares qui induisent des risques climatiques importants » poursuit Toavina.Prouver aux communautés qu’elles peuvent faire valoir leurs droits
© CRAAD-OI / CCFD-Terre Solidaire Aujourd’hui, il assure à son tour des formations pour les adhérents du Craad Oi (Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement dans l’océan indien). L’organisation, qui a été créée en 2012, regroupe 6 000 membres, issus en majorité du monde ouvrier et paysan.
« Nous expliquons aux communautés les raisons du changement climatique et comment obtenir justice face aux dommages dont elles souffrent. Nous voulons prouver aux communautés locales qu’elles peuvent revendiquer leurs droits » explique Toavina.
C’est certain, ce jeune malgache prend sa vie au sérieux. Il n’y a qu’à voir son regard droit et grave, sa concentration durant les formations qu’il assure. Il achève, en même temps, son Master 2 de sciences politiques à l’université d’Antananarivo, après des études de droit.Les “terres rares”, des minerais indispensables aux nouvelles technologies et dont l’exploitation est catastrophique
Taovina habite l’un des plus pauvres pays au monde. En même temps, le sous-sol de son île renferme des richesses qui intéressent le monde entier. Comme ces « terres rares » utilisées pour la fabrication des écrans d’ordinateur et omniprésentes dans les nouvelles technologies. « Les Allemands se sont intéressés à leur exploitation. Maintenant, ce sont les Chinois » constate Toavina.Ces exploitations minières, très gourmandes en énergie et en eau, accentuent la sécheresse et le manque d’eau.
Elles occupent des terres précieuses dans un pays où 80% de la population vit de l’agriculture.
« Nos terres sont fertiles et nous nourrissent. La rareté de l’eau et des terres crée des tensions ethniques et provoque des migrations de population » résume Toavina.
« Nous devons protéger nos terres. Les jeunes que je rencontre sont conscients des effets du changement climatique et persuadés que nous n’en sommes qu’au début de ce changement. Notre rôle est de les former et de les motiver à s’organiser pour faire entendre leur voix. »Les grands états reconnaissent le changement climatique, leurs entreprises l’accentuent
© CRAAD-OI / CCFD-Terre Solidaire Dans le sud de l’île, la situation est encore plus critique avec la sécheresse qui sévit depuis des mois. L’extraction de composants chimiques près de Tuléar nécessite beaucoup d’eau et cela contribuera à assécher la nappe phréatique.
Au sud toujours, QMM – filiale du groupe minier anglo-australien Rio Tinto – entreprend l’exploitation de l’ilménite, dans une zone où les équilibres agricoles sont fragiles.Des pétitions, des marches, des procédures juridiques
Craad Oi défend la lutte des communautés riveraines du site minier de QMM-Rio Tinto pour l’indemnisation de leurs terres. Par des pétitions, des marches, des procédures juridiques et des alertes à la communauté internationale.
En 2015, Taovina avait été impressionné par l’unanimité des pays à la COP 21. Tous reconnaissaient les effets négatifs du développement économique sur le climat et leur responsabilité.
« Mais les grandes entreprises des grands pays ont, sur le terrain, des comportements différents, notamment en multipliant les activités extractives. On nous annonce des taux de croissance mirobolants avec ces activités. Mais l’important pour nous c’est de continuer à avoir des aliments pour manger et vivre sainement. »
Taovina se forme sur la justice climatique sur You tube, est membre de groupes de discussions sur internet, grâce à sa maîtrise de l’anglais et du français. Une manière « de porter la voix des jeunes malgaches. »Pierre Cochez
A lire pour en savoir plus sur le combat de Craad Oi :
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En Afrique : pollueurs et pilleurs, le droit de dire NON (film d’animation)
En Afrique, les femmes paysannes s’unissent pour lutter contre l’avarice destructrice de l’industrie extractive qui piétine les droits humains et l’environnement. Le collectif Womin Africa soutient leur lutte et partage à travers ce film d’animation, qui nous émeut autant qu’il nous indigne, leur histoire et leur combat.
Pollueurs et pilleurs : Les racines des crises africaines. Un film présenté par Womin Africa Riche en ressources minières et gazières, le continent africain attire la convoitise de l’industrie extractive. Pendant que les multinationales s’enrichissent, les populations locales paient le prix fort d’une crise climatique causée par le pillage et la pollution de leurs ressources.
Les femmes sont celles qui portent le fardeau le plus lourd : contraintes de marcher toujours plus loin à la recherche d’eau potable et de moyens de subsistance pour nourrir leurs familles, pendant que la violence à leur égard s’accentue.
Le collectif Womin Africa, que nous soutenons, se mobilise pour porter leurs voix et dénoncer les agissements et les conséquences d’une industrie qui agit depuis trop longtemps dans l’impunité.
Ce film d’animation nous raconte l’histoire de ces vies brisées par la violence et l’accaparement de leurs ressources.
Mais il nous raconte surtout l’histoire d’une résistance portée par les femmes et les communautés qui se lèvent pour dire NON à l’oppression des pilleurs pollueurs et défendre une justice climatique.
© Womin Africa A propos de ce film :
Womin Africa est un réseau d’organisations sud-africaines et régionales qui travaille sur les conséquences de l’industrie extractive sur la vie des femmes.
Ce film d’animation est le premier volet d’une série qui aborde les multiples crises imbriquées en Afrique ainsi que la résistance collective des peuples. Cette série s’inscrit dans la campagne #TheRight2SayNO portée par de nombreuses associations de la société civile africaine. Elle témoigne des visions portées par les femmes et leurs communautés, porteuses d’alternatives pour le développement en Afrique.
Pour aller plus loin :
Quand féminisme et écologie se rencontrent -
A la frontière franco-italienne : la solidarité s’exprime
Direction les Hautes-Alpes pour le troisième épisode de notre série Migrations. Ce nouveau podcast nous embarque au cœur de la réalité migratoire, à la frontière franco-italienne. Dans un contexte de militarisation grandissante, nous découvrons le travail des organisations et des bénévoles qui tentent de venir en aide aux personnes migrantes.
Depuis 2015, les dispositifs de surveillance et les effectifs de police se renforcent à la frontière franco-italienne pour contrôler les passages de populations en migrations. Le territoire aux abords du Col de Montgenèvre, a été foulé par près de 14 000 personnes exilées ces cinq dernières années. Elles sont accueillies par de nombreux bénévoles, parfois venus des quatre coins de la France pour participer à l’élan de solidarité qui s’est organisé dans le briançonnais.
Tous Migrants
Depuis 2015, l’association citoyenne, [Tous Migrants->https://tousmigrants.weebly.com/], mène des actions de sensibilisation et de plaidoyer pour le respect des droits fondamentaux des personnes exilées dans la non-violence.
Elle coordonne également les maraudes organisées pour aller porter secours aux personnes migrantes en difficultés dans les montagnes.
L’Anafé
L’Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Étrangers (Anafé) effectue régulièrement des missions d’observation et recueille des témoignages des personnes migrantes pour documenter les pratiques illégales opérées sur les étrangers aux frontières.
Grâce à ces informations, et avec trente années d’expertise, l’association vient en aide aux personnes illégalement détenues ou refoulées, et renforce son plaidoyer pour réformer les législations et les pratiques abusives aux frontières.
Lire aussi : Aux frontières, l’Anafé lutte contre les violations de droits des personnes exilées
D’autres épisodes de Solidarité chronique sur les migrations
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Aux frontières, l’Anafé lutte contre les violations de droits des personnes exilées
Face au durcissement des politiques migratoires européennes et à la militarisation des frontières, notre partenaire, l’Anafé, milite contre les conditions, trop souvent indignes et illégales, d’enfermement aux frontières et contre les pratiques d refoulement expéditif des personnes exilées. Une équipe du CCFD-Terre Solidaire a participé à une mission d’observation à la frontière franco-italienne et a été témoin de ces abus. Récit.
Poste-frontalier de Montgenèvre. © Ophélie Chauvin Montgenèvre, 22 juin 2021.
Il est 21h30. Dans les Hautes-Alpes, la nuit tombe sur la ville de Montgenèvre, plongée sous un épais nuage de brouillard. L’attractivité touristique de la ville s’est endormie et le silence surplombe les rues désertes.
Cette ville frontalière est aujourd’hui un point de passage important, où chaque jour, des dizaines de personnes tentent de franchir la frontière par le Col de Montgenèvre pour rejoindre Briançon, situé à 12 kilomètres d’ici.
Cahiers et stylos en main, des salariés et des bénévoles du CCFD-Terre Solidaire assistent Emilie de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), pour réaliser une mission d’observation de nuit à la frontière.
Deux groupes –l’un posté devant le poste de la Police aux Frontières (PAF), et l’autre sur le parking en face de la gare routière– observent les mouvements des forces de l’ordre et les procédures de contrôles qu’elles effectuent.
Les dispositifs humains et matériels sont conséquents. Tout au long de la nuit, police aux frontières, police nationale, militaires et gendarmes patrouillent le long des sentiers de montagnes, et dans le centre-ville, à la recherche de personnes migrantes.
Les forces de l’ordre sont équipées d’une large panoplie de véhicules ; 4×4, quad, voitures banalisées, fourgonnettes … Et disposent de tout un dispositif de matériel de surveillance : peu avant minuit, deux gendarmes s’engagent à pied dans un sentier de randonnée, équipés de caméras thermiques.
Cette nuit-là, trois personnes seront refoulées vers l’Italie, mais le nombre est sans doute plus conséquent. Il est presque minuit, lorsque cinq policiers redescendent en fourgonnette vers la PAF et racontent à leur collègue : « on a traversé le Col et on les a choppé (…) ils étaient 15 », en déchargeant de leur coffre des sacs à dos et des tapis de sol.
Les observateurs ont réitéré une mission d’observation le lendemain matin, jusqu’à 15 h, au même endroit. Au cours de celle-ci, cinq personnes seront interpellées et conduites au poste de la PAF.
A écouter aussi : Podcast : immersion à la frontière franco-italienne avec les associations engagées pour le droit des personnes migrantes
Le constat d’une frontière militarisée
C’est cinq dernières, près de 14 000 personnes exilées ont foulé les sentiers transalpins à la frontière franco-italienne.
Déterminée, mais de manière non-avouée, à endiguer cette immigration, la police aux frontières a renforcé depuis 2015 sa surveillance et ses contrôles dans la zone.
Dans son rapport d’observation, Persona non grata, l’Anafé porte le constat d’une frontière « militarisée » où subviennent de multiples violations de droits. Ce rapport résulte de nombreuses missions d’observation et de recueil de témoignages de personnes migrantes, menés entre 2017 et 2018 à la frontière franco-italienne.
Lire le rapport : Persona non grata – Conséquences des politiques sécuritaires et migratoires à la frontière franco-italienne
Les personnes migrantes sont généralement refoulées de manière expéditive, après des interpellations liées à des pratiques de contrôles bien souvent discriminatoires, sans respect de leurs droits et sans avoir pu déposer une demande d’asile pour celles qui le souhaitent.
Certaines peuvent être enfermées pour des durées plus ou moins longues dans des locaux attenants au poste de la PAF de Montgenèvre. Ces locaux, dépourvus de cadre légal, sont présentés comme des zones dites de “mise à l’abri” par l’administration.
Elles y sont souvent détenues pendant plusieurs heures, sans eau ni nourriture, dans des locaux dégradés. Aucun mobilier ne leur permet de se reposer ou de dormir. Et la séparation entre hommes et femmes ou entre mineurs et majeurs n’est pas toujours respectée. A cela s’ajoute, des violences physiques et verbales, et des contrôles souvent discriminatoires.
Poste de la PAF de Montgenèvre. A gauche, la zone de “mise à l’abri” © Ophélie Chauvin /CCFD-Terre Solidaire En 2019, l’Anafé a saisi le Conseil d’Etat pour demander la fermeture définitive de ces zones de « mise à l’abri » que l’association caractérise comme des zones de « privation de liberté », et poursuit toujours ce combat.
Trente années de mobilisation, un combat qui se poursuit
Grâce aux informations recueillies, l’Anafé lutte contre les abus opérés aux frontières par une action multidimensionnelle.
L’association aide les personnes maintenues aux frontières à faire valoir leurs droits et effectue des suivis des personnes refoulées. Elle vise également à sensibiliser l’opinion publique sur ses pratiques abusives et illégales, et à renforcer son plaidoyer au niveau des instances nationales et internationales pour réformer les législations et les pratiques aux frontières.
De par ses trente années d’expertise aux frontières et son dévouement sur le terrain pour les personnes exilées, l’Anafé a reçu en 2019, la mention spéciale du Prix des Droits de l’Homme de la République Française.
Pour aller plus loin
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Balkans : le vivre-sensemble au-delà des mots
Comment redonner corps au « vivre-ensemble » ? Une question, plus que jamais d’actualité dans les Balkans rongés par le nationalisme, à laquelle s’attaquent plusieurs acteurs de la société civile. Leurs armes ? Des actions concrètes visant à rapprocher les communautés.
Finis les discours incantatoires, place à l’action… Telle pourrait être la ligne directrice des programmes lancés par plusieurs partenaires du CCFD-Terre Solidaire dans les Balkans. Car, si la situation semble apaisée par rapport aux années 1990 où les tensions entre communautés étaient à leur paroxysme dans l’ex-Yougoslavie, la propagande nationaliste a laissé des traces durables, conduisant au repli sur soi. « Quand on interroge les gens, ils disent ne pas avoir de problèmes avec les autres. En réalité, ils ne les connaissent pas, parce qu’ils ne les fréquentent pas, explique Tamara Cvetković, une des chevilles ouvrières des programmes destinés aux jeunes du Groupe 484, partenaire du CCFD-Terre Solidaire en Serbie. Face à cette indifférence, les incantations à dépasser les blocages n’ont aucune prise, puisque personne ne reconnaît qu’ils existent. »
Nous avons tous reçu cette diversité en héritage, même si aujourd’hui certains semblent l’avoir oubliée.
Tamara T Cvetković, du Groupe 484L’ONG a donc décidé de changer son fusil d’épaule en s’adressant aux nouvelles générations, avec une proposition basée sur le « faire-ensemble », première étape vers le « vivre-ensemble ». « Nous travaillons avec les lycéens et les étudiants, car ils sont à un âge où il est plus facile de se détacher de l’emprise des parents ou du jugement qui pourrait être porté sur leurs comportements », ajoute Tamara. Une trentaine d’étudiants serbes en sciences sociales, mais aussi des Bosniaques volontaires ont donc été invités, il y a un an, à suivre un séminaire de quatre jours destiné à expérimenter cette nouvelle approche.
Ana, qui souhaite travailler, après ses études, dans l’éducation, a immédiatement répondu à l’appel : « Nous avons commencé à nous interroger mutuellement sur notre identité. Nous avons découvert qu’au-delà de nos différences, nous partagions en réalité un grand nombre de valeurs qui étaient bien plus larges que les cases dans lesquelles on voulait nous enfermer. » Rien de plus normal, pourrait-on ajouter, dans une zone géographique où les mélanges de population ont toujours été la règle. « Car nous avons tous reçu cette diversité en héritage, même si aujourd’hui certains semblent l’avoir oubliée », complète Tamara.
Un terreau commun
C’est pour renouer avec ce passé multiculturel que le groupe d’étudiants a ensuite mené une recherche historique dans six villes où cohabitent plusieurs communautés. À Vranje, c’est un Slovène qui a créé le premier hôpital de la ville, deux Américaines qui ont fondé le premier orphelinat et un ambassadeur turc qui a donné aux enfants au début du xx e siècle, l’envie de jouer au tennis…
Mais les grands hommes ne sont pas les seuls à constituer ce terreau commun. À Loznica, par exemple, l’usine, principal employeur de la ville, a été un lieu de brassage – toutes les communautés y ont travaillé – et une source de souvenirs partagés. Autour de ces histoires, plusieurs « visites touristiques » ont été organisées, auxquelles ont ensuite été conviés des lycéens venant de différents établissements. Les jeunes ont été encouragés à créer, pour chaque étape, des sortes de mini-performances artistiques laissant place à leur créativité. Une expérience ludique de collaboration sur un terrain culturel partagé visant à retisser des ponts. « Leur regard, au bout de trois jours, n’avait rien à voir avec celui du début du séminaire où ils se découvraient. Car, même s’ils avaient un âge équivalent, ils ne s’étaient jamais rencontrés, chacun évoluant dans des parties différentes de la ville », sourit Ana.
Les projets ludiques et artistiques menés dans les lycées visent à retisser les ponts. © Groupe 484 Une stigmatisation des Roms qui nuit à leur intégration
Nous montons un projet sur trois ans pour les jeunes Roms de 9 à 12 ans pour leur prouver qu’il y a un autre chemin possible que la marginalisation.
Christina Bala de SteaPartout dans les Balkans, le plaisir ou le challenge de « faire » peut déplacer les montagnes, comme le montre le programme imaginé par Cristina Bala, responsable de Stea, autre partenaire du CCFD-Terre Solidaire, qui accompagne les populations les plus fragiles en Roumanie. L’épicentre de son activité ? Le village de Sătmărel, intégré à la ville de Satu Mare, aux confins de la Roumanie, de la Hongrie et de l’Ukraine.
« Ce quartier, situé à plus de 10 kilomètres du centre-ville, est l’une des zones où vivent depuis cinq à six générations, une minorité rom extrêmement marginalisée, raconte-t-elle. Ces anciens domestiques des nobles hongrois installés à l’époque en Transylvanie sont stigmatisés par les Roumains qui leur reprochent de parler hongrois, mais aussi par les Hongrois qui les considèrent comme des individus de seconde catégorie. » Une stigmatisation insupportable qui ne laisse pas à cette population sédentarisée depuis de nombreuses décennies, la possibilité de réellement s’intégrer… En témoigne notamment ce qui se passe à l’école : alors que les Roms représentent 70 des 103 élèves scolarisés, les cours sont en roumain, une langue inconnue des enfants. « Cela ne facilite pas leur intégration et encourage même leur déscolarisation », poursuit la responsable. Et les filles qui s’accrochent pour terminer le primaire ne peuvent pas continuer leurs études à l’extérieur de Sătmărel. Car leursparents les marient au plus vite pour éviter qu’elles ne fassent de « mauvaises rencontres » en dehors de leur communauté ! De quoi entretenir une spirale infernale…
Un projet pour renforcer l’estime de soi
Pour briser cette exclusion, Stea a eu l’idée avec un partenaire hongrois d’organiser un tournoi d’échecs de part et d’autre des frontières, ouvert à tous les jeunes, quelles que soient leurs communautés d’origine. Pour battre les Hongrois, les Roumains de Satu Mare n’ont pas hésité une seconde à coacher les jeunes Roms… Un étrange compagnonnage où chacun s’est trouvé valorisé : les Roms, parce qu’ils ont pris confiance en eux, encouragés par les Roumains ; et les Roumains, car ils étaient fiers de voir leurs conseils suivis avec succès par les Roms. « À l’issue de ce tournoi, certains Roumains ont même demandé à leurs parents de poursuivre cet accompagnement afin de continuer à faire progresser leurs camarades roms », se félicite Cristina.
Pour aller plus loin, Stea met la dernière main à un projet visant à renforcer l’estime de soi des jeunes Roms de Sătmărel – et donc à favoriser leur intégration. « En nous inspirant d’une expérimentation menée aux Pays-Bas, nous sommes en train de monter un projet sur trois ans pour les jeunes de 9 à 12 ans afin de leur prouver qu’il existe un autre chemin possible que la marginalisation. Nous allons leur faire découvrir des métiers avec des professionnels qui les exercent. » Avec la certitude pour Steaque ces professeurs joueront un rôle de levier comparable à celui des joueurs d’échecs.
« La transformation des individus est encore plus forte quand les personnes à l’origine de ces avancées ont des parcours exemplaires montrant que la réconciliation peut être source d’épanouissement », approuve Tamara. De mère bosniaque originaire de la région de Mostar et de père serbe, elle a appris elle-même dès le plus jeune âge à aller vers les autres et à s’enrichir à leur contact. Une seconde nature qu’elle cherche à faire partager.
Laurence Estival.