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Centrafrique : Les Peuhls, au défi de la réintégration

Publié le 17.08.2016| Mis à jour le 08.12.2021

Les éleveurs peuhls ont particulièrement souffert de la crise. Les transhumances avaient déjà créé une longue histoire de contentieux avec les cultivateurs et leur nationalité a toujours été remise en question, comme pour tous les musulmans centrafricains. Leur réintégration sociale va demander beaucoup d’efforts et de temps.


“Lorsque nous avons appris que les anti-balaka approchaient de notre région en semant la terreur sur leur passage, nous avons rassemblé nos bœufs et nous nous sommes mis en route vers le Cameroun. Pendant plusieurs semaines, nous avons erré en brousse en essayant de leur échapper. Mais le 25 mars 2014, nous sommes tombés dans une embuscade. Pour nous défendre, face aux anti-balaka qui avaient des armes de guerre, nous n’avions que nos archers traditionnels. Une de mes trois femmes et huit de mes quinze enfants ont été tués. Dans notre groupe, plus de trente personnes sont mortes. J’ai perdu aussi mes 337 vaches. J’ai reçu des coups de machette sur la tête et j’ai été laissé pour mort. Après plusieurs heures, j’ai repris conscience. J’ai rampé au milieu des corps, j’ai vu le corps de ma femme enceinte décapitée… »

Saidou Bouba (voir photo ci-dessous) porte encore les stigmates de ce calvaire, trois entailles profondes, sur la nuque, le crâne et le visage. Assis devant les abris de toile construits par l’Union européenne à Boda, à 200 kilomètres à l’ouest de Bangui, il livre son témoignage, entouré d’un groupe où tous partagent des souvenirs semblables.

Après avoir fui pendant des semaines, ces Peulhs ont finalement trouvé refuge dans cette petite localité devenue le symbole de la déchirure centrafricaine. Séparés par l’ancien quartier commerçant transformé en champ de ruines, chrétiens et musulmans vivent depuis janvier 2014 de part et d’autre de frontières invisibles. Les habitants chrétiens s’étaient rassemblés autour de la paroisse, les musulmans étant confinés dans un périmètre surveillé par les anti-balaka. C’est grâce à la protection des troupes de l’opération Sangaris, puis du contingent congolais, qu’ils n’ont pas été exterminés.

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Au terme d’un parcours d’épouvante, un autre groupe de Peuhls avait trouvé refuge dans une localité plus au nord, à Yaloke. Escortés par un groupe d’anti-balaka qui trouvaient sans doute leur compte à cette protection, ils avaient néanmoins été l’objet de multiples attaques où plusieurs dizaines d’entre eux ont trouvé la mort. La quasi-totalité de leurs cinq mille bœufs ont été tués ou vendus pour une bouchée de pain. Arrivés finalement à Yaloke à la mi-avril 2014, ils ont été confiés aux autorités, puis installés à plus de six cents personnes dans les locaux abandonnés de la sous-préfecture.

Ravitaillés au compte-gouttes, ils se sont retrouvés piégés dans ce refuge devenu vite insalubre où sévissaient le paludisme et la tuberculose. Ils ne pouvaient pas sortir en ville sans risquer la mort et les autorités refusaient de leur donner les moyens de regagner le Cameroun pour ne pas contribuer à la logique de nettoyage ethnique.

Les liens entre communautés se retissent lentement

Aujourd’hui, les Peuhls bénéficient de la détente relative du climat politique. À Boda, les liens entre les deux communautés se retissent lentement. Chrétiens et musulmans tiennent leur marché de part et d’autre de l’ancien quartier commerçant, et les clients commencent à se mêler sans incident.

« Nous pouvons circuler dans la localité, mais régulièrement, on jette des pierres sur nos tentes. Le mois dernier, une femme, qui était sortie de la ville pour chercher du bois, a été tuée », assure l’un des Peuhls du camp de déplacés.

À Yaloke, en juin 2015, un camp de maisons en dur a été aménagé un peu à l’écart de la ville, avec des conditions sanitaires et d’intimité plus dignes qu’à la sous-préfecture. Comme à Boda, il n’y a plus de danger à circuler en ville, mais la situation en brousse reste encore trop incertaine pour s’y aventurer.

Préparer le retour aux villages

Quand, à l’automne 2015, notamment après la visite du pape, la situation s’est sensiblement apaisée, beaucoup des Peuhls confinés dans les enclaves comme Boda ou Yaloke ont finalement rejoint le Cameroun où sont installés une douzaine de camps de réfugiés. Mais cela reste une solution d’attente. «Les réfugiés au Cameroun ne peuvent pas circuler librement et ils n’ont pas le droit de transporter leurs bêtes pour les vendre. Conséquence : la peau se vend plus cher que la viande et 90 % du bétail est mort », explique Housseini Bouba Waziri, président de l’AIDSPC [[ L’Association pour l’intégration et le développement social des Peuhls de la Centrafrique, créée en 1998 pour mettre en place un cadre de représentation de l’ensemble des vingt-et-unes communautés peuhles de Centrafrique]] , une association partenaire du CCFD-Terre Solidaire qui aide et fait du plaidoyer au profit des Peuhls. Il faut donc préparer les conditions d’un retour.

« Nous comptons beaucoup sur les nouvelles autorités, poursuit Waziri. Il faut d’abord garantir aux Peuhls leur sécurité et leur donner les moyens de reconstituer les troupeaux. Pour l’avenir, il est essentiel de pouvoir scolariser nos enfants et que l’État mette en place une organisation adaptée à la vie en brousse et à la transhumance. »

La réinsertion des Peuhls dans la vie sociale va demander la renégociation de tout un contrat avec le reste de la population. À Kaga Bandoro et à Bossangoa, l’association Acord, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, a mis en place un comité de gestion des conflits après des assises communautaires, organisées en avril et mai 2015. « Les responsables peuhls comme les chefs anti-balaka ont pu s’y exprimer, explique Yolande Ngbodo, coordinatrice d’Acord-RCA. Ces assises ont permis au sous-préfet de recommencer à exercer son autorité. Un pacte a été conclu entre les deux parties : les Peuhls n’approchent plus les villages et les anti-balaka qui commettent des exactions sont sanctionnés.» Un petit pas supplémentaire dans la reconstitution d’une société apaisée.

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