Contre l’exploitation des migrants
Victor Ruiz est bénévole au sein du RED, Réseau nicaraguayen de la société civile pour les migrations qui travaille à la défense du droit des Nicaraguayens qui ont migré au Costa Rica, et au soutien des familles restées au pays.
La migration des Nicaraguayens qui vont chercher du travail au-delà des frontières est un problème national. Ma propre famille est dispersée, au Danemark, en Italie, aux États-Unis et au Costa Rica. Ce dernier pays est la destination favorite des migrants : on estime à 450 000 le nombre de nos ressortissants, hommes et femmes, qui sont partis s’y installer, au moins provisoirement. C’est le chiffre officiel, et il est déjà énorme pour un pays de 5 millions d’habitants. Mais il y en a certainement beaucoup plus, car il s’agit d’une immigration en grande partie illégale, et donc dissimulée. Près de 40 % d’entre eux seraient sans papier au Costa Rica, donc dépourvus de droits et à la merci des autorités et des employeurs.
Le phénomène a commencé à prendre de l’ampleur au début des années 1990, avec la pression des politiques néolibérales, et la privatisation d’entreprises nationales. Notamment les chemins de fer, ce qui a eu pour conséquence la fermeture de certaines lignes « non rentables », et l’isolation de nombreux villages. Pour eux, la crise économique est devenue très aiguë.
Polarisation politique
À ce contexte se sont ajoutées les conséquences économiques de la catastrophe de l’ouragan Mitch de 1998, mais aussi une polarisation absurde de la vie politique, entre les sandinistes et les libéraux : à chaque nouveau gouvernement, on assiste à des licenciements massifs, ainsi qu’à l’approbation de nouvelles lois, sensées marquer le territoire du vainqueur, et soutenues par des instruments juridiques coûteux, mais qui restent inefficaces tant la corruption fait aussi partie du « jeu ». La politique, au Nicaragua, est devenue un facteur de précarité économique, et l’absence de formation centriste, dont l’émergence a plusieurs fois avorté, complique sérieusement l’organisation de la société civile et des ONG…
Pour les gouvernements précédents, l’immigration n’était pas perçue comme un problème : les sommes renvoyées au pays dépassent le montant des investissements étrangers ou des exportations de café ! Et si ces expatriés rentraient tous, on risquerait l’explosion sociale. Quant au Costa Rica, il n’a pas l’intention d’expulser les illégaux, car ils jouent un rôle économique important dans la production caféière et fruitière ou la construction. C’est une main d’œuvre peu chère et rendue docile par son statut précaire. Cette coïncidence d’intérêts nous a poussé à intervenir aussi du côté costaricien pour défendre les droits de ces personnes.
Dérèglements sociaux
Au pays, les conséquences sont importantes. Le départ des parents crée des troubles notables chez les enfants. Beaucoup d’entre eux restent à charge de grands-parents, ou de frères et sœurs plus âgés. Des confusions psychologiques apparaissent, avec des problèmes de comportement. Les filles sont surchargées de travail, des problèmes sociaux surgissent — délinquance, etc.
Le nouveau gouvernement de gauche a un an d’existence. Que va-t-il se passer ? Je ne vois toujours pas d’actions concrètes sur le dossier des immigrés. Nous avons tenté d’approcher la commission chargée des questions de population à l’Assemblée nationale, mais on ignore s’il existe une volonté politique de prendre le problème à bras de corps. Les organes de la société civile sont généralement perçus de manière équivoque par les politiques, ils redoutent les manipulations par l’opposition.
Notre réseau veut avant tout apparaître comme une force de propositions. Nous avons lancé une campagne de sensibilisation auprès des candidats maires aux prochaines élections municipales de novembre prochain. Quelques-uns d’entre eux — surtout dans les régions de Leon, Sur, ou Esteli, parmi les plus touchées par le phénomène —, ont déjà repris nos propositions pour les migrants — octroi de papier, protection sociale, respect du droit du travail, soutien aux familles restées au pays.
Propos recueillis par Patrick Piro
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