Cop 21 : Lettre ouverte des ONG à François Hollande

Publié le 10.11.2015| Mis à jour le 08.12.2021

A moins de trois semaines de l’ouverture de la COP 21, les ONG s’inquiètent de la présence d’initiatives qui s’immiscent dans les négociations en promouvant les énergies fossiles et l’agriculture industrielle au détriment de la transition énergétique.


Objet : Pour un « Agenda de l’action Lima-Paris » de la transition énergétique et de la résilience, sans promotion des énergies fossiles et de l’agriculture industrielle fortement émettrice de gaz à effet de serre.

Monsieur le Président de la République,

Nous vous communiquons par la présente notre profonde inquiétude concernant certaines initiatives de l’Agenda de l’action Lima-Paris (LPAA), l’un des piliers de la Conférence de Paris sur le climat. La future présidence française de la COP21 est l’un des quatre co-pilotes de ce nouvel agenda sectoriel.

Pour limiter le réchauffement planétaire en deçà de 1,5 ou 2°C, l’accord de Paris sur le climat doit permettre d’enclencher rapidement la transition mondiale d’une économie fortement dépendante des combustibles fossiles et incapable de lutter contre les trappes à pauvreté et la faim, à une société sobre, reposant sur une énergie 100% renouvelable, garantissant le développement et le bien-être, l’égalité des genres et les droits des peuples, y compris le droit à l’alimentation.

Dans ce contexte, le LPAA doit avoir pour ambition d’accompagner, de refléter et d’amplifier concrètement les solutions existantes et d’avenir, pour la transition énergétique et écologique mondiale et pour un monde plus résilient. Nous n’accepterons pas que des initiatives qui ne répondent ni à cet impératif, ni aux indications de la science, fassent leur entrée dans cet agenda.

Nous sommes ainsi très inquiets de la présence d’initiatives portées par TOTAL et d’autres entreprises d’énergies fossiles, ou par l’agriculture industrielle fortement émettrice de gaz à effet de serre. La reconnaissance par le LPAA de ces initiatives enverrait un très mauvais signal à la COP21. Elle risquerait de porter tort aux solutions vertueuses et aux acteurs alignés sur la science, réunis au sein de cet agenda.
Cette reconnaissance renierait ainsi la mise en œuvre des vraies et bonnes solutions, bloquant leur déploiement, et ce, avec la caution de l’ONU et du gouvernement français.
Il est donc urgent de renforcer les fondations du LPAA, sur la base des principes de la Convention de l’ONU sur le climat et de la science, au risque de voir la société civile le délégitimer avant même son opérationnalisation.
L’Agenda de l’action Lima-Paris aurait le potentiel de mobiliser tous les acteurs, au-delà des négociations, et d’avancer concrètement dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Ce, en appuyant des initiatives « transformationnelles » contribuant réellement à la réduction rapide, durable et profonde des émissions de gaz à effet de serre, et/ou à l’amélioration de la résilience des sociétés. D’ailleurs, plusieurs initiatives à fort potentiel pour relever le défi mondial du changement climatique y figurent déjà.

Monsieur le Président de la République, nous demandons à la France de bien vouloir s’assurer de l’exclusion immédiate du LPAA des initiatives qui ne contribuent pas à réduire notre dépendance aux combustibles fossiles,
comme l’initiative sur le torchage (Oil and Gas Methane Partnership), dont font partie TOTAL et d’autres groupes pétroliers et gaziers.
Conformément à la science, vous avez déjà souligné qu’il fallait laisser 80% des réserves connues d’énergies fossiles dans les sous-sols pour avoir une chance de tenir la limite des 2°C. Or, le cœur de métier de TOTAL se situe toujours dans l’exploration et la vente d’énergies fossiles.
De plus, TOTAL n’a toujours pas démontré qu’il envisageait une sortie des énergies fossiles à horizon 2050, ni qu’il prenait des engagements conformes à une trajectoire de réchauffement de moins de 2°C.
Enfin, une nouvelle étude montre que TOTAL se classe au deuxième rang mondial du double discours en matière de climat, car ses activités réelles de lobbying s’inscrivent en faux de ses déclarations et communications dans ce domaine.

D’autre part, nous n’accepterons pas l’inclusion dans le LPAA de l’« Alliance globale pour l’agriculture intelligente face au climat », ni du concept d’« agriculture intelligente face au climat » quand il est promu par des multinationales de l’agriculture industrielle fortement émettrice de gaz à effet de serre, comme Monsanto.
C’est l’objet de la demande de 355 organisations de la société civile, qui ont déjà appelé les chefs d’Etats à ne pas inclure ce type d’initiatives dans la COP21 (« CSA concerns »).
Autre inquiétude : le « 4 pour 1000 », porté par le Ministre de l’Agriculture, ne contient pour l’instant aucun critère clair en termes de modèles agricoles à privilégier, bien que le Ministre nous ait assuré de sa volonté de faire rayonner l’agro-écologie.
Le LPAA doit être le moyen de mettre en avant non pas des concepts « fourre-tout », mais les pratiques agricoles qui permettront vraiment de répondre aux défis de la faim et des dérèglements climatiques.

Ainsi, les principes de mise en valeur par le LPAA sont tellement faibles qu’ils ne garantissent pas la sélection des initiatives en amont, au travers de critères stricts, mesurables et transparents.
Ces principes et critères devraient permettre d’exclure les approches ou technologies qui perpétuent notre dépendance aux énergies fossiles, et/ou ne permettent pas de réduire durablement les gaz à effet de serre, ni d’améliorer la résilience de nos sociétés, et/ou font peser des menaces réelles sur les populations locales (droits humains, souveraineté alimentaire) et les écosystèmes. Ils éviteraient aussi de valoriser les opérations de greenwashing menées par certains acteurs, qui brouillent l’engagement réel d’autres acteurs vertueux.

Monsieur le Président de la République, nous demandons donc à la France, avant la COP21 :

D’exclure de l’Agenda de l’action Paris-Lima les initiatives qui comptent des entreprises comme Total productrices d’énergies fossiles et fissiles ; et en particulier l’initiative « Oil and Gas Methane Partnership » ;

De garantir la non-inclusion au LPAA de toute initiative impliquant le recours à une agriculture industrielle intensive mettant en péril les agricultures paysannes, l’environnement, la biodiversité et la souveraineté alimentaire des populations vulnérables (OGM, agrocarburants, « climate smart agriculture », etc.), comme l’ont plusieurs fois demandé des centaines d’organisations de la société civile mondiale ;

De renforcer, en lien avec la société civile, les principes de gouvernance et les critères de sélection des initiatives en amont, ainsi que le cadre de redevabilité pour éviter que de fausses solutions risquées et/ou non transformationnelles ne fassent leur entrée dans la plateforme, et donc que les vraies initiatives ne perdent de leur impact.

Les organisations de la société civile signataires de cette lettre posent la garantie de ces trois éléments essentiels comme prérequis à toute discussion sur la reconnaissance et l’institutionnalisation du LPAA, qui doit d’ailleurs associer la société civile.
Il s’agit là d’un enjeu majeur pour le succès de la COP21, et sa capacité à enclencher les transformations urgentes dont nous avons besoin pour répondre à la crise climatique.

Nous nous tenons à votre disposition pour échanger à ce propos. Avec nos respectueux hommages, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Organisations signataires :

Action contre la faim,
Agronomes et vétérinaires sans
frontières,
Amis de la Terre France,
ATTAC,
CARE France,
CCFD-Terre Solidaire,
Confédération paysanne,
France Nature Environnement,
Coordination SUD,
Gevalor,
GERES,
Greenpeace France,
Peuples Solidaires-Action Aid France,
Oxfam France,
Réseau Action Climat France,
Women in Europe for a Common Future,
WWF France.

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