Covid-19 : en Tunisie, des associations de migrants impulsent la solidarité
Etudiants, migrants en transit, victime des trafics de traite, les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne encaissent durement les effets sociaux des mesures de confinement. L’association Alda mobilise la solidarité des Tunisiens en leur faveur et négocie avec les autorités les moyens de régler leur situation.
La Tunisie reste relativement épargnée par la pandémie : au 24 avril, le bilan s’élève à 38 décès. En revanche, l’impact social des mesures de confinement instaurées depuis le 22 mars, est redoutable pour les plus modestes. Les migrants subsahariens en Tunisie, victimes en originaire de préjugés et d’agressions racistes, sont particulièrement touchés.
Expulsés de leur logement
Si, jusqu’à maintenant, aucun cas de contamination n’a été signalé parmi eux, ils encaissent la crise sociale sans aucun filet de protection. Incapables de payer leur loyer, certains ont même été impitoyablement expulsés de leur logement.
Sébastien Lupeto, coordinateur adjoint de l’association pour le leadership africain (Alda), partenaire du CCFD-Terre solidaire, s’alarme. « Des amis de la communauté les recueillent pour éviter qu’ils ne se retrouvent à la rue. Mais eux-mêmes partagent déjà de très petits logements où ils cohabitent à quatre ou ne cinq. En période d’épidémie, c’est très dangereux !
La nuit dernière, poursuit-il, j’ai été appelé par une femme qui avait accouché depuis deux semaines et que son propriétaire menaçait d’expulsion. Comme il lui restait un peu d’argent, je lui ai dit « paie ton loyer, nous allons trouver de quoi vous nourrir toi et ton bébé » ».
Une solidarité d’urgence
Depuis le début de la crise, l’Alda se mobilise pour organiser une solidarité d’urgence. Avec une autre association reconnue, l’association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie, elle a créé une « cellule de solidarité africaine, Covid-19 Tunisie ».
« D’abord nous essayons de sensibiliser aux bonnes pratiques pour éviter la contamination, explique Sébastien Lupeto. Mais l’essentiel de notre action est de mobiliser des moyens pour venir en aide aux personnes migrantes. Nous stockons des produits alimentaires que nous distribuons en priorité aux plus vulnérables, notamment les femmes enceintes et les mères célibataires d’enfants de moins de deux ans. Nous avons aussi demandé du matériel de protection médical pour nos bénévoles (gants, masques, gel), mais nous n’avons toujours rien obtenu ».
Le collectif, avec d’autres organisations notamment le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, aussi soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, est intervenu auprès des autorités. « Nous avons été reçus, le 16 avril, par le ministre des droits de l’Homme et des relations avec la société civile. Le gouvernement nous a promis que les migrants pourraient bénéficier de l’allocation de 200 dinars (65 euros) accordées aux Tunisiens les plus pauvres. Mais pour que cette aide soit versée, les autorités vont collecter les informations personnelles des migrants, leur adresse, les données de leur passeport. Même si le ministère de l’Intérieur nous a rassurés, nous avons peur qu’elles soient ensuite utilisées pour procéder à des expulsions massives du territoire. »
Basculer dans l’illégalité
Les subsahariens sont en effet pour la plupart en situation irrégulière en Tunisie. On peut sommairement distinguer trois types de situation : les étudiants, les migrants et ceux enrôlés par des réseaux que Sébastien Lupeto n’hésite pas à qualifier de « traite humaine ».
Via des recruteurs sur place, ou des réseaux sociaux, on promet généralement à des jeunes femmes, mais aussi des hommes, des emplois de personnel de maison ou d’ouvriers agricoles. « L’employeur paie le billet, mais arrivés sur place, leur passeport est confisqué, ils doivent travailler plusieurs années, sans salaire, pour rembourser leur dette. »
Les migrants arrivés d’eux-mêmes sont dans une situation à peine plus enviable. Accessible avec un visa de tourisme de trois mois, la Tunisie est un pays de transit. Ceux qui veulent tenter de passer en Europe, espèrent y gagner de quoi financer la suite du parcours. Mais devant les difficultés croissantes pour traverser la Méditerranée, l’étape se prolonge et les migrants basculent rapidement dans l’illégalité.
En théorie les étudiants bénéficient d’un cadre plus protégé. Mais dans les faits, ils n’obtiennent d’abord qu’un visa de trois mois et ce n’est qu’une fois arrivés en Tunisie qu’ils peuvent solliciter un titre de séjour de neuf mois supplémentaires. « Les documents exigés sont très difficiles à obtenir. Les bailleurs rechignent à leur fournir des contrats qui les obligerait à verser une taxe, déplore Sébastien Lupeto. Beaucoup d’étudiants renoncent à faire les démarches de peur d’être expulsés et se retrouvent à leur tour en situation irrégulière. »
Des migrants piégés
Cette dette peut atteindre un montant astronomique. Et en cas d’expulsion, le vol est à la charge du migrant, qui reste détenu jusqu’à ce qu’il puisse rassembler l’argent.
La suppression de ces pénalités, qui allégerait considérablement le coût du retour, est une vieille revendication des associations de subsahariens en Tunisie.
Durant la crise sanitaire, et à compter du 1er mars, le collectif a obtenu du ministère de l’Intérieur la prolongation de la durée des visas jusqu’à la réouverture des frontières. Une mesure utile mais qui ne règlera pas la situation des milliers de migrants piégés en Tunisie.
Par Thierry Brésillon
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