Dans Gaza asphyxiée, ils construisent l’espoir
« Nous avons vécu trois semaines d’angoisse. Le pire, c’était la nuit, entre 4 et 6 heures du matin. Le ciel était noirci de F16 et les tirs redoublaient. Nous attendions la levée du jour avec impatience. » Chargée de mission, je retourne dans la Bande de Gaza en février, un peu plus d’un mois après la fin de la guerre. J’y retrouve les cinq partenaires du CCFD*.
Dès la fin de l’opération israélienne– et même pendant, pour le PMRS (Société de secours médical palestinien) – les partenaires ont commencé la distribution de nourriture, de couvertures, de vêtements. Dans les files d’attente devant la tente du PMRS, je sens l’épuisement, la lassitude, une pauvreté toujours plus apparente au fil des ans. Le traumatisme vécu par les enfants se lit dans leurs yeux : un mélange de tristesse et d’indescriptible, fait de pourquoi, qui en dit long sur les incertitudes de l’avenir.
Pourquoi ? Au-delà du choc inhérent à toute guerre, cette question est prégnante. Tous mes interlocuteurs ont été heurtés par l’acharnement mis à démolir et à dégrader les maisons utilisées comme base par l’armée et par les graffitis racistes sur les murs : « mort aux Arabes ». Comme une volonté de rayer de la carte cette zone définie par Israël en 2008, comme « entité hostile ».
J’ai visité avec notre partenaire, le Parc (Comité de secours agricole palestinien), des zones complètement rasées au nord-est de la Bande de Gaza : la route qui sépare les quartiers de Touffah et de Jabalia est aujourd’hui un terrain vague truffé de maisons détruites et de tentes. Les champs ont été retournés, les arbres fruitiers enterrés. Après cette guerre sans nom, je suis profondément marquée par la dignité des habitants, leur sens de l’accueil, leur solidarité. Dans la journée, des familles viennent se faire soigner, chercher les rations alimentaires, dans les tentes installées par des organismes internationaux. Mais en plein hiver, la majorité n’y dort pas, ils ont trouvé refuge auprès de leurs familles ou d’amis. Partage de couvertures, de nourriture, animations pour enfants assurées par des bénévoles dans les centres de l’UNRWA (Organisme des Nations unies pour les réfugiés au Proche-Orient) qui accueillent les déplacés. La solidarité a joué à fond tout au long de la guerre et dans les semaines qui ont suivi.
Les partenaires maintiennent des espaces de liberté d’expression
C’est aussi la force de ceux qui oeuvrent dans les associations que nous soutenons, et de bien d’autres, qui me vient à l’esprit. Depuis des années, Majda, Abu Akram, Ahmed, Aed, Constantin, Jamal, Houssam… construisent de l’espoir, à travers les projets de leurs associations. Ils maintiennent des espaces de liberté d’expression, d’activités culturelles pour des enfants et des adolescents. Ils continuent à lutter pour un développement de la Bande de Gaza, en menant des projets de solidarité. J’ai vu la joie de jeunes dans les centres de CPL (Culture et Pensée libre) jouant une pièce de théâtre, leur plaisir intense à être ensemble; la créativité extraordinaire des adolescents qui ont organisé une exposition de photos d’artistes et de jeunes photographes prises pendant la guerre ; le sourire des enfants qui inventent des histoires avec des marionnettes, et y expriment aussi leurs souffrances.
J’ai pu constater l’importance du projet du Parc « de paysans pauvres à familles pauvres ». Le Parc achète à des agriculteurs, souvent réunis en coopératives, des pommes de terre, tomates, zatar, boulgour, huile d’olive, oeufs, figues… qu’il revend à prix modique à des familles très défavorisées. Il leur permet ainsi de se nourrir, sans dépendre de la charité, tout en soutenant l’agriculture locale.
À l’image de cette femme rencontrée en juin 2008, qui me montrait avec un sourire plein de fierté la serre achetée grâce à un crédit du Parc, de nombreuses personnes insistent : « Nous ne voulons pas vivre de rations alimentaires, mais du fruit de notre travail. » Depuis des années, les acteurs que nous soutenons se sont battus pour créer les bases de la souveraineté d’un État palestinien et favoriser la construction d’institutions démocratiques. Le changement de mentalité et le retour aux traditions, imposés par le Hamas, sont contraires à la vision qu’ils portent de la société. Mais nos partenaires insistent tous sur le caractère démocratique des élections. Pour eux, le plus douloureux reste la lutte intestine inter palestinienne et les crimes commis, notamment par le Hamas pendant la guerre contre des militants du Fatah battus, séquestrés… « Les heurts entre Hamas et Fatah sont une honte pour nous », est un sentiment qui prévaut.
Aujourd’hui, la Bande de Gaza reste fermée. Comment reconstruire la clinique de DSPR à Shoujaya, comment réhabiliter les bureaux du Parc saccagés à Beit Hanoun, comment faire face aux difficultés d’approvisionnement en médicaments, comment replanter alors que les semences n’entrent pas ? La première des urgences, c’est l’ouverture des points de passage pour les marchandises et les personnes. Pour permettre un développement économique, mais aussi pour lutter contre l’enfermement imposé aux esprits tant à Gaza, qu’en Israël.
Les possibilités de vivre ensemble sont suspendues à cette ouverture.
Emmanuelle Bennani-Caillouët
Chargée de mission Maghreb-Machrek.
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