Défendre les droits de l’Homme au Chiapas : une mission à haut risque

Publié le 21.10.2011| Mis à jour le 08.12.2021

La sécurité et l’intégrité des acteurs de la société civile au Chiapas n’a jamais été aussi alarmante. Des actes de répression que le partenaire du CCFD-Terre Solidaire dénonce sans relâche.


L’Etat mexicain assure que les droits de l’homme sont respectés dans le pays. Mais les acteurs de la société civile, à l’image du Centre des Droits de l’Homme Fray Bartolomé de las Casas (FRAYBA) au Chiapas, dénoncent la criminalisation de leur travail et les violences dont ils sont victimes.

Venues témoigner leur soutien à Alberto Patishtan, leader indigène condamné, en juillet 2000, à soixante ans de prison pour un crime qu’il n’a pas commis, la quarantaine de personnes représentant de nombreuses organisations civiles, parmi lesquelles le Centre des Droits de l’Homme Fray Bartolomé de las Casas (FRAYBA) et le Service et Conseil pour la Paix (SERAPAZ) -toutes deux partenaires du CCFD-Terre Solidaire- s’impatiente:

« Voilà plus de deux heures que la délégation attend devant les portes du Centre de détention n°5 de San Cristobal de las Casas, dans l’Etat du Chiapas, au sud du Mexique. « 

Diego Cadenas, directeur du FRAYBA, déplore :

« Cela fait une semaine que nous avons obtenu les autorisations de visite de la part du gouverneur de l’Etat, mais le directeur de l’établissement ne veut pas nous laisser entrer. »

Cette situation et surtout l’incarcération abusive d’Alberto Patishtan sont symboliques des difficultés que rencontrent les organisations de défense des droits de l’homme et les acteurs des mouvements sociaux et indigènes pour effectuer leur travail dans l’Etat du Chiapas, poursuit cet avocat de formation.

« Car ici, comme dans le reste du Mexique, revendiquer ou simplement défendre ses droits est devenu un acte dangereux, un « crime» que certains payent au prix fort. »

La sécurité et l’intégrité des acteurs de la société civile au Chiapas n’a en effet jamais été aussi alarmante dans une région du Mexique pourtant marquée par dix ans de conflit armé (1994-2004) entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) et l’Etat central.

« Depuis 2006 et l’élection de Felipe Calderon comme président de la république, la situation est devenue préoccupante, confirme Agniezka Raczynska, Secrétaire Exécutive du Réseau national des organisations civiles des droits de l’homme.

«L’Etat, sous prétexte de faire de la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé un axe central de sa politique, utilise les forces de l’ordre pour empêcher les acteurs des mouvements sociaux d’organiser une résistance civile. »

Begona Barretxe, du FRAYBA, décrit comment l’armée et la police déployées sur le territoire sont utilisées pour encadrer voire juguler les actes de revendications sociales :

« L’Etat entretient sciemment une confusion des genres, en faisant passer les acteurs de la société civile pour des membres de la délinquance organisée. »

Une stratégie qui ouvre la porte à tous les abus.

A ce titre, la fréquence des actes violents dont sont victimes les partenaires locaux du FRAYBA est  édifiante. Diego Cadenas le raconte.

« Le harcèlement, les fouilles de domicile et les intimidations font désormais partie du quotidien des représentants des organisations des droits de l’homme et des mouvements sociaux du Chiapas. Et la situation s’est encore aggravée avec la multiplication des enlèvements, des actes de torture, des emprisonnements abusifs et même des assassinats. »

Les victimes ?

« Ceux et celles qui défendent le droit à la terre, à la préservation des ressources naturelles, à la souveraineté alimentaire et à leur culture. Ou qui refusent tout simplement le modèle néolibéral que l’Etat Mexicain cherche à imposer, à travers le développement des investissements de multinationales étrangères dans les secteurs des mines, de la construction civile ou du tourisme.»

Des actes de répression que le partenaire du CCFD-Terre Solidaire dénonce sans relâche sur son site Internetes et auprès des instances internationales, comme la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH). Avec un double objectif : attirer l’attention de la communauté internationale sur une réalité que le pouvoir s’évertue à dissimuler et lutter contre des médias de masse qui cherchent à discréditer les acteurs sociaux.

Le travail est titanesque. D’autant que les perspectives ne sont guère optimistes. « Cette criminalisation dont nous sommes victimes à travers les médias ne va pas s’arrêter, car ces derniers sont de plus en plus dépendants des budgets publicitaires de l’Etat », estime Gubidcha Matus Lerma, le responsable de la communication au sein de FRAYBA.

Mais il y a pire. Des documents récents produits par des membres du Centre d’Intelligence et de Sécurité de la Défense Nationale (CENSA), les Renseignements Généraux mexicains, démontrent que le Centre des Droits de l’Homme Fray Bartolomé de las Casas serait l’objet de surveillance et d’espionnage. Dans ces rapports, le FRAYBA y est notamment qualifié de « mouvement subversif » planifiant des « actes de déstabilisation » pour 2010.

« Pour l’Etat mexicain, FRAYBA est un objectif militaire qu’il faut neutraliser », assure Diego Cadenas. Comment ? « En l’empêchant d’assurer la mission telle que l’a imaginée Monseigneur Samuel Ruiz, l’ancien évêque de San Cristobal de las Casas et fondateur de la structure : accompagner les communautés indigènes dans leur quête d’autonomie et dénoncer le non-respect des droits de l’homme. » Une mission devenue particulièrement risquée pour les acteurs de la société civile du Chiapas.

Jean-Claude Gerez Mexique, le 27 août 2010

Photo : Attente de la délégation des acteurs de défense des droits de l’homme, venus rendre visite à Alberto Patishtan. Sur la photo, on peut voir la fille de ce dernier (tenant la photo de son père), à ses côtés, Diego Cadenas, le directeur du FRAYBAes.

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