Développement : «Il est temps de lever l’ambiguïté»

Publié le 22.06.2021| Mis à jour le 15.01.2022

Dès sa création, le CCFD-Terre Solidaire défend une vision du développement qui doit permettre à chaque personne de se réaliser dans ses dimensions : économiques, culturelle, spirituelle et citoyenne. 60 ans plus tard, dans un monde où le profit est roi, quelle est la position de l’association ? Esquisse de réponse avec le directeur de partenariat international, Nicolaas Heeren.


Échos du monde : Le mot « développement » est central dans l’histoire et l’orientation du CCFD-Terre solidaire. Pourtant, il fait l’objet de critiques depuis longtemps. Où en est-on aujourd’hui ?

Nicolaas Heeren : En effet, à l’origine, quand le « D de développement » a été ajouté au nom de Comité catholique contre la faim, en 1964, il s’agissait d’aller au-delà de la campagne mondiale contre la faim et de donner une perspective « positive ». L’idée était d’inscrire la solidarité internationale dans la durée pour transformer, développer les pays pauvres afin que leurs populations accèdent à des conditions de vie dignes.

Mais pour nous, cette transformation ne devait pas se limiter à une dimension de « développement économique ». Suivant l’inspiration du père Lebret (1897-1966), le développement devait bénéficier à « tout homme et à tout l’homme ». Il était déjà indissociable d’une exigence de justice sociale et devait permettre à chacun de s’accomplir dans toutes ses dimensions : matérielle, mais aussi culturelle, spirituelle, citoyenne… Une orientation consacrée par l’encyclique Populorum Progressio en 1967.

La critique du « développement » n’est donc pas nouvelle pour le CCFD-Terre Solidaire.

Les termes de cette analyse ont-ils évolué depuis les années 1960 ?

Depuis, les enjeux se sont dramatisés.

Comme l’a énoncé le pape François dans l’encyclique Laudato Si’, en 2015, « l’utilisation irresponsable et l’abus des biens que Dieu a déposés » dans « notre mère la Terre » ont fini par concrétiser la catastrophe écologique redoutée par ses prédécesseurs. Le changement climatique, l’épuisement de la biodiversité, la pression sur les ressources hydriques… ont des effets sur les populations humaines et compromettent les objectifs de justice sociale et des conditions de vie digne pour une grande partie de l’humanité.

Le développement, au sens conventionnel, renvoie à un modèle centré sur la production et le profit, qui considère la terre comme une ressource que l’on peut exploiter sans limites. Il détruit à la fois l’être humain et la nature. Toutes les crises, climatique, écologique, économique, migratoire et même politique font système. Le patriarcat aussi est l’une des causes structurelles de la pauvreté et de la faim, comme nous le mentionnons dans notre rapport d’orientation 2021-2026. Il est nécessaire de changer de paradigme, c’est un constat que nous partageons avec les autres organisations de la CIDSE[[La Coopération internationale pour le développement et la solidarité (CIDSE) regroupe des organisations de développement catholiques d’Europe et d’Amérique du Nord qui œuvrent pour la justice sociale]] .

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Les partenaires partagent-ils cette vision ?

Bien sûr. Nos partenaires et leurs bénéficiaires subissent les conséquences des projets menés au nom du « développement » par les États ou les grandes entreprises, et ils se mobilisent. Via Campesina, par exemple, qui rassemble des organisations paysannes sur tous les continents, a obtenu des Nations unies en décembre 2018 une « Déclaration sur les droits des paysans et paysannes » qui inclut aussi les peuples indigènes, les pêcheurs. En Asie du Sud-Est, Focus on the Global South fédère des organisations mobilisées autour des biens communs, de la démocratie… Nous assistons également le WFFP (le Forum mondial des peuples de pêche) qui porte une autre vision centrée sur la mer et la préservation de ses ressources. En préservation de ses ressources. En Afrique, nous soutenons le réseau Women in Mining (Womin) qui considère que « la destruction de la nature et la domination des femmes sont liées au capitalisme, au patriarcat et au colonialisme » (voir p. 22).

Le CCFD- Terre Solidaire appuie cette mise en réseau qui permet de faire circuler les idées et les alternatives. Au sein de Global Dialogue for Systemic Change, beaucoup de nos partenaires échangent leurs pratiques et analyses.

Mais ce n’est pas seulement une critique intellectuelle. Sur le terrain, nous apportons notre soutien à des organisations de pêcheurs en Indonésie ou en Inde, affectées par des projets de développement du tourisme, ou de pêche industrielle qui menacent leur activité. À Bornéo et en Amérique latine, nous avons des partenaires qui résistent aux projets d’extraction ou de déforestation. Nous sommes engagés dans un programme de transition vers une agroécologie paysanne au service de la souveraineté alimentaire (Tapsa).

Si des changements à la marge pour traiter des problèmes immédiats peuvent avoir un impact très positif sur les populations – et il ne faut pas les négliger –, on doit plus que jamais travailler sur les causes structurelles du « mal-développement » et à une
transformation sociale, économique, écologique pour changer de modèle.

Faut-il abandonner ce terme de « développement » ?

La question c’est : le développement au profit de qui ? Quand on rase une forêt pour une plantation de palmiers à huile pour l’industrie alimentaire internationale ou les agrocarburants, quand on détruit un écosystème pour construire une route pour transporter des matières premières destinées à l’exportation, c’est un développement
au profit des investisseurs et dont les retombées positives sur la population sont très incertaines. Quant au Brésil, où le président Javier Bolsonaro justifie la destruction de l’Amazonie par la souveraineté de l’État brésilien, de quelle souveraineté s’agit-il ? Même
si, aujourd’hui, l’extraction profite souvent à une élite nationale, elle s’inscrit dans la même logique que la prédation coloniale des ressources. Les populations concernées ne sont ni consultées ni « bénéficiaires », au contraire, elles sont réprimées.

La question se pose donc de savoir si le même mot peut encore servir pour désigner ce que nous entendons par «développement ». Je ne suis évidemment pas habilité à répondre à cette question pour le CCFD-Terre Solidaire.

Faut-il abandonner le mot dont le sens est capturé par une conception extractiviste ou bien faut-il s’en réapproprier le sens ? Quand on parle de développement local et participatif, il reste chargé d’une signification positive et mobilisatrice. Mais le mot « développement » recouvre des réalités tellement opposées qu’il faut sans doute lever l’ambiguïté.

Propos recueilli par ThierryBrésillon

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