« Droits des femmes, c’est toujours très difficile de militer au Cambodge »
Créée en 2012, United Sisterhood Alliance (Us) est une organisation de la société civile cambodgienne active dans la défense et la promotion des droits des femmes, notamment sur leur lieu de travail. Pisey Ly facilitatrice de programmes, elle témoigne…
Pourquoi avoir créé United Sisterhood Alliance ?
Lorsque nous avons fondé Us en 2012, il y avait au Cambodge plusieurs organisations qui, de manière indépendante et sur des thématiques qui leur étaient propres, travaillaient sur des questions liées aux conditions de vie des femmes. Notre idée était de faire en sorte que, tout en respectant l’indépendance de chacune, des revendications communes puissent être défendues de manière collective. Comme, par exemple, l’accès aux soins et à la santé. Nous pensons en effet que cette thématique transversale est très importante car elle permet de renforcer les liens entre organisation afin de bâtir une stratégie plus efficace. C’est pourquoi, au-delà des femmes, nous faisons aussi partie d’un réseau d’organisations qui comprend aussi bien des associations paysannes, des pêcheurs que des jeunes de milieu rural ou urbain.
Comment fonctionne United Sisterhood Alliance ?
United Sisterhood Alliance est aujourd’hui subdivisé en quatre groupes. Le Centre d’information des travailleuses (WIC), qui se concentre sur les salariées du textile et les aide à s’émanciper et à prendre des responsabilités au sein de leur entreprise. Le Réseau pour l’unité des femmes (WNU), qui apporte un soutien juridique aux employées du secteur du divertissement victimes d’abus en tous genres, y compris de viols, et s’occupe de l’inscription de leurs enfants à l’école. Le Messenger Band, un Girls’ Band monté avec des ouvrières, dont les chansons portent des messages, basés sur les réalités locales, permettant d’aborder de manière divertissante des sujets comme la destruction des ressources naturelles, l’exploitation des travailleurs, les violences envers les femmes… Enfin, l’Action Sociale pour le Changement (SAC), qui s’intéresse plus particulièrement aux politiques nationales concernant les droits humains et les conséquences du développement et du libre échange pour les travailleurs.
Quelle est aujourd’hui la place de la femme dans la société cambodgienne ?
Le poids des traditions culturelles reste fort. Dès leur plus jeune âge, les filles apprennent à se sacrifier pour la famille et à accepter leurs conditions, quelles qu’elles soient. Peu importe si elles vont à l’école ou pas puisque leur rôle se cantonnera à élever leurs enfants et à s’occuper de leurs parents. Cette conception prédomine encore largement dans nos campagnes. Mais tout cela est aujourd’hui en train de changer. Du fait de la pression économique que subissent les parents, de nombreuses jeunes femmes sont obligées de partir chercher un travail en ville pour aider leurs familles. Là, elles se font exploiter sans vergogne alors que leur contribution à l’économie nationale est loin d’être négligeable. Si l’on prend l’exemple de l’industrie textile, sur les quelque 700 000 employés du secteur, 90 % sont des femmes !
Quels sont les problèmes auxquels ces femmes doivent faire face ?
L’un des gros points noirs reste la question du salaire. Il a été porté à 128 dollars par mois en janvier dernier, mais cela ne suffit pas. Une étude gouvernementale a en effet montré que, pour vivre à Phnom Penh, la capitale, il fallait entre 150 et 160 dollars. On est donc loin du compte. À cela s’ajoutent des conditions de travail difficiles, manque d’aération, peu de toilettes, et, surtout, une précarisation des emplois à travers le recours de plus en plus fréquent à des CDD. Les employeurs établissent désormais des contrats renouvelables de 3 ou 6 mois. Du coup, ces femmes sont exclues des dispositifs préconisées par le droit du travail et ne peuvent pas se syndiquer ou s’organiser pour présenter leurs revendications.
De quelle « force de frappe » disposez-vous aujourd’hui ?
À travers le WIC, nous avons une base de 200 militantes actives et pouvons compter sur environ 2 000 personnes. De son côté le WNU peut mobiliser jusqu’à 1 700 femmes. En général, avant de lancer une campagne, nous commençons par discuter en petits groupes afin d’élaborer une stratégie, puis les actions à mener seront ensuite débattues à un niveau supérieur, lors de forums qui se tiennent à huis clos ou sont ouverts au public. En 2012, lors de notre assemblée populaire, nous avons ainsi pu réunir plus de 4 000 participants venus des campagnes ou des villes.
Comment réagit le gouvernement ?
C’est toujours très difficile de militer au Cambodge. Vous pouvez prendre une balle n’importe quand. Au mieux, vous vous retrouvez en prison pour n’importe quelle raison. Et il y a toujours les menaces, les intimidations. La police s’invite ainsi régulièrement à nos réunions pour savoir ce que l’on fait, pour nous demander d’évacuer les lieux ou pour nous arrêter lorsque nous organisons une marche… Nos téléphones sont régulièrement sur écoute, je dois d’ailleurs changer régulièrement de numéro à chaque fois que nous organisons quelque chose. Nous essayons de ne pas nous déplacer seuls mais à plusieurs et évitons de rentrer trop tard le soir.
Propos recueillis par Patrick Chesnet
avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE
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