Droits humains au Cambodge, le travail des ONGs sous pression

Publié le 04.05.2016

Partenaire depuis une vingtaine d’années du CCFD-Terre Solidaire, l’association pour les droits de l’Homme et le développement au Cambodge (ADHOC) est l’une des ONG phare pour la défense des droits humains dans ce pays. Une défense plus que nécessaire, mais de plus en plus difficile à exercer selon son président, Thun Saray.

Quelles sont les questions qui préoccupent aujourd’hui l’ADHOC ?

En tant que militant des droits de l’Homme, nous sommes particulièrement attentifs à la question de l’espace démocratique au Cambodge, les libertés d’expression, d’association, de réunion, d’assemblée. Or aujourd’hui, on constate que le gouvernement cherche à réduire cet espace. Il y a une nouvelle loi sur les ONG, un projet concernant les syndicats et l’on entend aussi dire que le gouvernement veut contrôler Internet et les réseaux sociaux.

À côté de cela, il y a toujours la question des conflits fonciers entre les paysans ou les communautés indigènes et les grandes entreprises qui ont obtenu des concessions économiques.

Concessions qui ont souvent tout d’un accaparement des terres ?

Le problème, c’est le grand écart entre la loi et l’application de la loi. Avant d’accorder un contrat à une entreprise privée, le gouvernement doit, par exemple, faire une évaluation sociale et une évaluation environnementale. Mais, de fait, les entreprises s’installent et commencent à défricher les terres sans se préoccuper de savoir si elles sont déjà occupées.

Quant aux communautés indigènes, notre loi foncière leur reconnaît la propriété collective des terres, mais le processus d’enregistrement reste lent. Moins d’une dizaine de communautés, sur plus d’une centaine, ont pu faire enregistrer leurs terres et, avec l’attribution de concessions, il en reste de moins en moins susceptibles d’être enregistrées en tant que propriété collective.

Cette disparition de terres n’est-elle pas sans conséquence pour les populations ?

Aujourd’hui, les Cambodgiens quittent leur pays parce qu’ils n’ont plus de terre pour nourrir leur famille. Environ un million vit en Thaïlande et des dizaines de milliers d’autres en Malaisie. Ils y sont souvent sans papier, exploités, leurs droits sont bafoués et certains tombent entre les mains de trafiquants, pour l’exploitation sexuelle, le travail forcé.

Pourquoi acceptent-ils de telles conditions et ne restent-ils pas travailler au Cambodge alors que, selon le Premier ministre Hun Sen, le pays a besoin de mains-d’œuvre ? Parce que les salaires y sont plus bas que chez nos voisins, quand les prix sont eux, plus élevés.

Quid de la loi adoptée en août 2015 concernant les associations et les ONG ?

Les ONG doivent maintenant soumettre chaque année un rapport au ministre de l’Intérieur. Rapport à la fois financier et détaillant leurs activités. Cela permet au gouvernement de mettre le nez dans les comptes des associations et, pourquoi pas, de questionner certains de leurs choix, voire de fabriquer des fausses preuves pour les décrédibiliser.

D’autre part, alors que jusque-là, on pouvait organiser des activités sans avoir besoin de l’autorisation des autorités – il suffisait juste de les en informer – les associations doivent maintenant obtenir cette autorisation quelles que soient les activités proposées. Enfin, il faut être « neutre », sous peine de se voir obligé de fermer boutique.

Comment l’ADHOC peut-elle être « neutre » ?

Nous sommes neutres parce que nous ne sommes pas affiliés à tel ou tel parti. C’est-à-dire que nous restons impartiaux et indépendants. Pour autant, si nous sommes neutres à l’égard des partis, cela ne veut pas dire que nous le sommes vis-à-vis de certains problèmes sociaux. Nous sommes très clairs là-dessus et nous voulons pouvoir critiquer tel mauvais acte ou telle mauvaise décision commis ou prise par les autorités gouvernementales. Parce qu’en tant que défenseur des droits de l’Homme, nous cherchons à améliorer la situation pour que notre pays aille dans la bonne direction et construire une société dans laquelle tout le monde puisse vivre.

Ce qui ne doit pas être évident dans un tel contexte ?

Il faut avoir du courage, mais aussi être flexible. Ne pas hésiter à faire un pas en arrière, s’arrêter un moment, pour mieux repartir. Savoir quelles sont les limites à ne pas franchir, même si cela n’est pas toujours évident à mesurer. Il faut savoir prendre des risques. Chaque cas est une bataille, mais ce n’est pas la guerre. On peut perdre une bataille, mais on ne veut pas perdre cette guerre pour une société qui respecte les droits de l’Homme, respecte la loi, l’État de droit. C’est un travail à long terme et nous ne pouvons pas sacrifier notre organisation pour un cas particulier.

Vous subissez des menaces ?

On reçoit des lettres, des coups de fil anonymes. J’ai moi-même reçu un courriel me demandant si je préférais être « tué lors d’un accident ou par un voyou ». Nous sommes surtout victimes de harcèlements judiciaires, accusés de diffamation envers les entreprises, d’avoir incité les gens à se rebeller contre l’ordre public.
J’ai ainsi dû aller plaider auprès d’une juge d’instruction pour qu’un collègue échappe à l’arrestation et à la détention en échange de son transfert vers une autre province. Un autre a dû être « évacué » vers la Thaïlande et il m’arrive parfois aussi d’aller faire un petit tour là-bas pour une ou deux semaines.

Comment travaillez-vous ?

Nous travaillons à la protection des droits de l’Homme à travers des informations, des interventions, des conférences de presse, des interviews avec les médias pour dénoncer tels ou tels actes de violation de ces droits, en nous tenant aux côtés des victimes et en leur apportant notre aide.

En même temps, chaque année, nous sensibilisons une cinquantaine de communautés aux droits de l’Homme et formons leurs représentants aux techniques de plaidoirie, sur certaines lois relatives à la démocratie, à la législation foncière. Ces notions de base les aident ensuite à mieux protéger leurs droits et intérêts. Des rencontres au niveau provincial et régional leur permettent de constituer des réseaux et de communiquer à travers le pays.

L’ADHOC est-elle souvent sollicitée ?

Nous recevons chaque année à peu près un millier de plaintes considérées comme « sérieuses ». Une moitié relève de violences à l’encontre des femmes et des enfants, avec des cas de viols, de trafics d’êtres humains, de violences domestiques graves. D’autres concernent des victimes de travail forcé.

En 2015, nous avons également enregistré 185 demandes d’aide pour des problèmes fonciers. À la différence des premières, souvent limitées à quelques personnes, celles-ci peuvent impliquer des centaines de familles et prendre beaucoup de temps. À cela s’ajoute tout un tas de sollicitations qui ne tombent pas sous notre mandat, de petits litiges auxquels nous répondons juste par quelques conseils juridiques.

Propos recueillis par Patrick Chesnet

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