En Argentine, l’habitat populaire comme un espace de citoyenneté

Publié le 14.01.2015| Mis à jour le 07.12.2021

Créée en 1988 par un groupe d’architectes et de travailleurs sociaux, l’ONG Canoa, partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis tout juste vingt ans, travaille au développement de l’Habitat Populaire dans les quartiers défavorisés de Santa Fé, en Argentine.


A quelques centaines de mètres à peine d’un ensemble de pavillons cossus, Rosa Larras montre la maison, composée de planches de bois et de tôles ondulées, qu’elle occupe avec ses deux enfants. « Ma mère est venue s’installer dans ce quartier il y a plus de quarante ans, explique cette femme de 31 ans. A l’époque il n’y avait rien ici, ni eau courante, ni électricité. Le terrain n’avait aucune valeur immobilière. » Mais depuis 2007, les choses ont changé. « La Municipalité lorgne sur ces terres pour y construire des ensembles immobiliers de luxe. Du coup, elle nous interdit d’agrandir ou simplement d’améliorer nos logements. Nous avons même reçu des menaces d’employés de la Mairie, assurant que nous n’avions pas le droit de vivre ici. Mais nous ne céderons pas, car nous savons que nous sommes dans notre droit. »

Bienvenue à Playa Norte, un quartier de la ville argentine de Santa Fé, capitale de la province éponyme. Situé en bordure de la Laguna Setubal, au nord de cette ville de 350 000 habitants, Playa Norte accueille quelques 200 familles, soit près de 1500 personnes. « Toutes ces familles sont venues s’installer ici avec l’espoir de se construire une vie plus digne », explique Juan Picatto, coordinateur de l’ONG Canoa, partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis janvier 1995.
Quitte à occuper des emplois précaires, tels qu’employées de maison, jardiniers, maçons ou vendeurs ambulants. « La plupart n’ont pas de titres de propriété, admet Juan Picatto. Mais la loi permet à des personnes qui occupent pacifiquement un terrain, à fortiori pour s’y loger, de continuer à y vivre si le propriétaire n’a pas réclamé sa terre dans un délai de sept ans. »
Mieux, face aux pressions exercées par la Municipalité, Canoa a décidé d’accompagner l’association du quartier dans sa demande de mise en place d’infrastructures, telles que la création d’un réseau de tout à l’égout et le revêtement des rues.


Accompagner le développement des quartiers

Fondée en 1988 par un groupe d’architectes et de travailleurs sociaux, Canoa s’est en effet fixée comme objectif d’aborder différentes problématiques de l’Habitat Populaire. « Nos domaines d’intervention sont nombreux, détaille Juan Picatto. Nous nous efforçons d’apporter une assistance technique et sociale sur le thème de l’urbanisation, de l’habitat et du logement. Nous organisons aussi des sessions de formation destinées aux dirigeants de quartier pour l’élaboration et la gestion de projets d’habitat populaire, toujours à partir des demandes formulées par les habitants. » Une démarche qui se décline sous la forme de différents programmes, mais qui répond à une philosophie unique. « Dans un pays marqué par la pauvreté et l’exclusion, nous voulons contribuer à consolider une société démocratique, participative et solidaire. »

L’un des projets phare de Canoa se situe à Santa Rosa de Lima, le plus gros quartier de Santa Fé -20 000 habitants- situé à l’ouest de la ville. « Ce quartier a été fondé dans les années 1920, indique Maria Belen Rivero, travailleuse sociale, au sein de Canoa. Au fil du temps, il s’est « auto urbanisé », dans la mesure où les habitants se sont eux-mêmes chargés de délimiter les parcelles pour les logements, de tracer les rues et de gérer les services de voirie. » Résultat ? Une identité de quartier très forte et un tissu d’organisations sociales très présentes. Mais aussi des problèmes liés à la croissance parfois anarchique du quartier, notamment lors des dernières décennies. D’où la volonté des habitants de travailler sur l’amélioration du quartier et planifier de manière participative sa croissance future. Une démarche accompagnée par Canoa depuis 1999.

Le large spectre de l’Habitat Populaire

C’est aussi à Santa Rosa de Lima que Canoa développe différents programmes plus ciblés, comme « Habitat et Jeunesse». « Dans leur quête d’autonomie et d’émancipation du contexte familial, les jeunes se retrouvent souvent confrontés à l’absence de logement, précise Marcos Barberis, psychologue social. Nous avons donc développé, avec les principaux intéressés, un programme de construction de maisons grâce à l’accès à des micro crédits permettant aux jeunes, avec l’aide de professionnels, de construire eux-mêmes leur maison. »
A ce jour, une douzaine de jeunes, essentiellement des femmes, ont eu accès à ce programme. « Les femmes se mobilisent d’avantage sur la question du logement et de la vie du quartier en général, admet Marcos Barberis. Nous profitons de cette initiative pour renforcer le leadership et la participation des femmes dans les processus de décision qui concernent tous les aspects de la vie quotidienne. »
Car pour les membres de Canoa, l’Habitat Populaire ne se limite pas à avoir un toit. Cela implique de travailler aussi sur des domaines aussi divers que le travail, la santé, les services aux citoyens, l’environnement ou encore la construction d’une identité sociale et de quartier. « Nous considérons l’Habitat Populaire comme un espace physique et social, résume Juan Picatto. Un espace que chaque personne, famille ou groupe social a le droit de construire et développer. »

Jean Claude Gérez

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