En Cisjordanie, l’agroécologie est porteuse d’alternatives
En Cisjordanie l’agriculture paysanne palestinienne est entravée par le poids de l’occupation, l’accaparement des terres les plus fertiles et le manque d’eau. L’association Adel, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, parvient à assurer aux producteurs des revenus stables en vendant leurs produits localement.
C’est une boutique qui ne dépareillerait pas dans un quartier bobo d’une grande ville européenne. Cette échoppe minuscule propose des produits issus de l’agroécologie et locaux, uniquement.
Des fruits et des légumes frais, des œufs, du fromage à la coupe et en bocal, des sirops, de l’huile d’olive, des infusions, soigneusement alignés sur des étagères.
La comparaison s’arrête là.
La boutique donne sur une grande avenue qui se termine en un cul-de-sac poussiéreux et embouteillé. Et sur un paysage urbain apocalyptique : le checkpoint de Qalandiya, à la sortie de Ramallah, la « capitale » administrative et économique de Cisjordanie.
Un fatras de murs de béton de huit mètres de haut, de tours de garde maculées de peinture, de chicanes, de tourniquets, de guérites.
Chaque jour, des milliers de voitures, mini bus, camions et piétons y font la queue, parfois pendant des heures, pour passer de la Cisjordanie à la partie arabe de Jérusalem après avoir montré leurs papiers aux soldats israéliens.
C’est dans cet embouteillage gigantesque que l’association Adel (« justice », en arabe), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, a installé sa vitrine. L’association Adel, immatriculée auprès de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, n’a en effet pas le droit de s’implanter à Jérusalem, ni même d’y exporter ses produits. Or, les habitants de Jérusalem-Est peuvent encore venir faire leurs courses à Ramallah, de l’autre côté du mur. Jihad Abdo, son directeur, explique ainsi le choix du checkpoint:
« Nous voulions être au plus près de nos clients de Jérusalem. »
Une association récente et dynamique
Née de la volonté de trois personnes – un formateur, une responsable associative et un avocat –, l’association est encore jeune, six ans tout juste. Elle soutient les petits producteurs palestiniens, très fragiles face à la concurrence des grosses exploitations israéliennes. Elle les appuie et les forme à l’agroécologie, qui les dispense d’utiliser fertilisants chimiques et pesticides. Elle leur garantit aussi des prix d’achat fixes toute l’année.
« Ça n’a pas été facile de faire accepter ce principe aux agriculteurs au début, se souvient Jihad. Ils voyaient le prix des tomates s’envoler l’hiver, et ils touchaient, avec nous, la même somme qu’en été. Mais ils ont vite compris que, l’un dans l’autre, ils ne perdent pas d’argent et que la stabilité des revenus leur apporte beaucoup de confort. Les consommateurs y gagnent aussi. Le commerce équitable doit l’être pour tout le monde. »
Et ça marche, car il existe en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une frange de la population sensible aux questions sanitaires et désireuse de favoriser l’économie palestinienne.
« Je cherche pour mes enfants des produits sains, explique Christine Hadid, une architecte de Ramallah rencontrée sur le petit marché hebdomadaire d’Adel. Et j’essaie autant que possible de ne pas acheter de produits israéliens. »
Favoriser l’économie palestinienne
Les clients sont de plus en plus nombreux : Adel tient aussi un marché à Beit Jala, près de Bethléem, et va en ouvrir un bientôt à Naplouse, la grande ville du nord de la Cisjordanie. Jihad se réjouit :
« Nous avons plus de 2 000 clients fidèles. Nous avons commencé avec sept producteurs, nous travaillons aujourd’hui avec 140. »
Portrait d’une jeune pionnière de l’agroécologie
Iman Turkman, jeune femme de trente ans, fille et petite-fille d’agriculteurs, a exercé pendant trois ans le métier d’enseignante. Mais la terre lui manquait. Elle voulait retrouver son indépendance et les collines de son village de Beit al-Hassan, entre Naplouse et la vallée du Jourdain.
Son sourire chaleureux et têtu accroché aux lèvres, elle s’est lancée dans la culture du thym bio. Le thym est l’ingrédient principal du zaatar, ce mélange très utilisé dans la cuisine orientale. Les habitants de Beit al-Hassan s’étonnaient de la voir quitter un emploi stable. Puis elle a rencontré l’association Adel et est passée à l’agroécologie. Pour le village, elle est devenue « Iman la folle ».
Dans cette région du nord-ouest de la Cisjordanie située, comme la plupart des zones rurales, en zone C, on sait la dureté de la condition paysanne sous occupation. Les paysages sont somptueux, entre gorges verdoyantes et pentes douces soigneusement cultivées. Mais les meilleures terres, celles de la vallée du Jourdain toute proche, ont été confisquées à 90 % par des colonies israéliennes. Les colons pratiquent une agriculture intensive, très consommatrice de l’eau – si rare dans la région –, de fertilisants et de produits chimiques, et largement subventionnée par l’État hébreu. Leurs produits, très compétitifs, inondent le marché palestinien. « Un dicton dit que nous, Palestiniens, sommes la poubelle des mauvais produits israéliens », résume Jihad.
Les agriculteurs palestiniens ont perdu la guerre de l’eau : ils ne peuvent pas creuser de puits artésiens [[ Un puits artésien est un puits dont l’eau jaillit spontanément sans avoir besoin de pompage, après le forage d’une couche de sol imperméable ou de roc solide. C’est l’eau souterraine isolée entre deux couches de sol ou de roc qui est exploitée. Grâce à ce système qui exploite l’aquifère, l’eau émerge de la profondeur spontanément.]] sans l’autorisation de l’Administration civile israélienne [administration en fait militaire qui contrôle les zones C, NDLR], rarement, sinon jamais, accordée. « Les mesures prises par les autorités d’occupation privent les agriculteurs palestiniens de leurs terres fertiles et d’un approvisionnement en eau suffisant », déplore le dernier rapport de PARC, l’Association pour le développement de l’agriculture palestinienne, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Il souligne également l’absence de soutien de l’Autorité palestinienne au secteur agricole.
Mais « Iman la folle » a réussi à convaincre son village de lui attribuer pour quinze ans et gratuitement une parcelle de terre. Elle a commencé par une serre de 250 mètres carrés. Elle y a marié les semences, tomates, fenouil, piment, sur un sol paillé qui réduit de moitié les besoins en eau, protège du froid et favorise la vie bactérienne. Trois femmes l’ont rejointe pour monter une coopérative : « Les femmes travaillent traditionnellement dans les champs, mais ce sont les hommes qui récupèrent l’argent. Là, nous sommes indépendantes », affirme Iman, qui a, pendant plusieurs années, présidé l’association des femmes de Beit al-Hassan. Elle refuse de se marier :
« car socialement, je devrais quitter ma ferme. C’est ce que le village attendrait. Une femme ne peut commander à son mari. »
Une deuxième serre a vu le jour, puis des cultures en pleine terre où se mêlent petits pois, choux, fèves, melons, piments, bongos, fenouil… « Nous plantons jusqu’à cinq variétés différentes par sillon, explique Iman. Elles se protègent naturellement les unes les autres des insectes nuisibles. Ainsi, nous n’utilisons pas de produits chimiques. »
Pour Iman, c’est un gain d’argent, mais aussi un acte politique :
« Tous les intrants viennent d’Israël. Nous, nous renforçons l’économie palestinienne, pas l’économie israélienne ! »
Assis au soleil, une de ses petites-filles sur les genoux, Jamil, le père d’Iman rit dans sa courte barbe. Lui aussi appelait sa fille « Iman la folle ». Cinquante ans durant, il a cultivé la terre. Il a travaillé chez un colon israélien qui, raconte-t-il, « mettait de la levure dans les fertilisants pour faire grossir les concombres ».
Aujourd’hui, c’est le plus fervent défenseur de sa fille :
« Il faut que toute l’agriculture palestinienne se tourne vers ce modèle. Il nous débarrasse des poisons qui abîment la santé de nos enfants et il donne du travail. La monoculture utilise les machines, l’agroécologie les mains des humains. Et nous, nous sommes avant tout des paysans. »
Le 10 juin 1967 Israël remportait contre les armées arabes une victoire se traduisant par la conquête de nouveaux territoires : Jérusalem Est (dont la vieille ville), la Cisjordanie, Gaza, le Golan, et le Sinaï.
A l’exception du Sinaï qui sera restitué à l’Egypte, les habitants de ces territoires vivent depuis cinquante ans sous occupation et/ou domination israélienne.
De juin à décembre 2017, le CCFD-Terre Solidaire relaie les initiatives de ses partenaires palestiniens et israéliens qui font face à cette situation.
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