En Indonésie, des paysans dans la rue

Publié le 06.10.2015| Mis à jour le 15.01.2022

Pour la journée nationale des paysans en Indonésie, Serikat Petani Indonesia (SPI), une organisation paysanne partenaire du CCFD-Terres Solidaire, a mobilisé des dizaines de milliers de ses membres. Objectif : faire savoir au gouvernement de Jokowi, dont elle a soutenu la candidature en 2014, que le monde paysan l’attend de pied ferme sur la mise en œuvre de ses promesses électorales.


Lundi 21 septembre 2015 : dans les quinze provinces des Iles de Sumatra, Java, Lombok et Flores où est implanté la Serikat Petani Indonesia (SPI), une union d’organisations paysannes partenaire du CCFD-Terres Solidaire, ce sont des dizaines de milliers de paysans qui ont défilé dans les rues demandant l’accélération de la réforme agraire en faveur de la souveraineté alimentaire. Martelés à tue-tête par les manifestants et sur les banderoles des cortèges, des slogans du type « donnez nous des terres pour vivre », « Faisons de nos villages des puissances économiques » ou encore « fin aux importations alimentaires » donnent la teneur des revendications. Dans certaines localités des artistes se sont joints à l’événement donnant aux manifestations un air festif. Ailleurs, ce sont des étudiants, en particulier des étudiants en agronomie qui ont tenu à montrer leur solidarité avec la cause paysanne en s’associant aux débats organisés. « Ça fait un demi-siècle que la réforme agraire est négligée par les gouvernements indonésiens. Cette année, la paysannerie a de grandes attentes vis-à-vis du Président Joko Widodo » a déclaré Henry Saragih, président de la SPI.

L’esprit de la loi

La première loi indonésienne de réforme agraire remonte à 1960 sous la présidence de Sukarno, figure de proue du mouvement indépendantiste et premier président de l’Indonésie. Outre le fait qu’elle prévoit une redistribution des terres, cette loi, parce qu’elle considère la terre comme une ressource à faire fructifier pour nourrir les populations et non comme un capital propre aux spéculations financières est restée une référence pour les luttes paysannes. Mais avec l’arrivée au pouvoir de Suharto en 1967, pour une dictature qui durera trente-trois ans, elle tombe aux oubliettes. Il faudra attendre 2013 pour qu’une nouvelle loi, conforme à l’esprit de la première, voie le jour. Appelée « Loi pour la protection et le renforcement du pouvoir des paysans », elle reconnaît pleinement le rôle économique et environnemental des paysans et paysannes, lesquelles constituent 40 % de la population active de l’Indonésie. L’enjeu est de taille dans ce pays où, tandis que 50 % des paysans possèdent moins d’1 demi hectare ou pas de terres du tout, une grande partie des terres cultivables continuent d’être accaparées pour la production d’huile de palme, l’exploitation minière ou des projets immobiliers. Mais là encore, l’application de la loi restera lettre morte. L’arrivée au pouvoir en juillet 2014 de Jokowi, qui a fait sienne la vision de la souveraineté alimentaire défendue par la SPI et intégré une partie des propositions de l’union dans son programme, ravive les espoirs. « Jokowi a été porté au pouvoir avec le soutien des ONG. Un peu à la manière de Lula en 2003 au Brésil » rappelle Nicolaas Heeren, chargé de mission pour la région au CCFD-Terres Solidaires.
Plus d’un an après son arrivée à la présidence, les changements sont loin d’être fulgurants – la question des exactions policières notamment, à l’occasion d’occupation de terres par les paysans reste sensible – mais le gouvernement a montré quelques signes encourageants. Parmi eux, on observe de sa part une plus grande volonté à faire respecter le moratoire sur les permis de déforestation et le ministère de la justice, fait innovant, a engagé des poursuites contre certaines sociétés y contrevenant. Le rappel à l’ordre est essentiel dans un contexte où les incendies criminels, alternatives bon marché au défrichage mécanique, ne cessent de ravager le pays. Ce mois-ci encore, les feux de forêt ont pris une telle ampleur que leurs fumées ont gagné Singapour et la Malaisie, contraignant les autorités malaisiennes, devant l’intensité de la pollution, de fermer les écoles et de distribuer des masques aux personnes les plus vulnérables.

Les enjeux de la décentralisation

Pour autant, l’archipel indonésien, dont la superficie représente près de trois fois et demie celle de la France, est un pays très décentralisé et les décisions prises à Jakarta n’ont aucune chance d’aboutir si elles ne sont pas relayées au niveau local. D’où la stratégie de la SPI, à l’occasion de cette journée internationale des paysans, de s’adresser directement aux gouverneurs, les représentants des provinces, ou aux régents, les représentants des kabupaten (subdivisions de la province).
Ainsi, dans la province « Sumatra du Nord », les manifestants ont demandé au gouverneur d’annoncer sans délai le décret d’application de la loi de 2013 et de fournir un minimum de 2 ha de terre pour chaque paysan comme l’exige la réforme agraire.
Dans la province de Riau (au centre de Sumatra), les membres du SPI ont également insisté sur le devoir du gouverneur de révoquer le permis des sociétés qui enfreignent les réglements environnementaux et qui pratiquent l’accaparemment des terres. Dans le Bengkulu (sur la côte sud-ouest de Sumatra), l’accent a été mis sur la nécessaire implication du gouverneur dans la gestion des conflits agraires. Ce dernier aurait d’ores et déjà accepté de financer l’identification de terres à redistribuer. A Yogyakarta (au centre de l’île de Java), la question des moyens pour lutter contre les effets de la sécheresse qui s’annonce était au cœur des discussions…
Quant au président Jokowi, il avait promis de célébrer cette Journée nationale, le 27 septembre aux côtés des paysans de Cibaliung, une localité dans l’Ouest de l’île. Un jour auparavant, il y renonçait sans donner d’explication. Le gouverneur local s’y serait-il opposé ? interroge Henry Saragih.

Bénédicte Fiquet

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